Interview

Interview exclusive d’Ali Farhat, spécialiste Bundesliga chez So Foot

Cette semaine, nous avons eu la chance de nous entretenir avec Ali Farhat, journaliste Bundesliga chez So Foot, au sujet de la compétitivité de football allemand. Modèle économique, droits TV, saison difficile du Borussia Dortmund, difficultés économiques du HSV… tous les sujets chauds de Bundesliga ont été passés en revue afin de mieux décrypter un championnat qui ne cesse de se positionner comme le principal challenger de la Premier League dans les années à venir.

Ali, pouvez-vous nous présenter votre parcours ? Comment cette passion pour la Bundesliga a-t-elle pris racine ?

A l’époque, à moins d’avoir Canal+, il n’y avait pas beaucoup de foot européen à la télé. J’ai découvert le Borussia Dortmund en 1997, lors de leur victoire en Ligue des Champions. J’étais fasciné par leur maillot jaune fluo (et noir). En 1999, je suis parti en voyage de classe à Mannheim. Mon correspondant était fan du BVB, il m’a transmis le virus. D’un point de vue général, j’ai toujours beaucoup aimé l’Allemagne et les Allemands. J’ai fait une classe européenne, avec Allemand et Anglais en LV1. J’ai fait un Bac L, ma meilleure note, c’était en Allemand.

A la fac, j’ai suivi un double cursus, Allemand-Histoire (Paris III-Paris VII). A la fin de ma licence en 2006, je suis parti travailler comme assistant de prof de français. Je suis resté deux ans. Puis je suis rentré en France, où j’ai obtenu mon Master 1 Allemand-Histoire. J’ai commencé un Master 2 dans cette branche, mais j’ai laissé tomber. Je me suis dirigé vers un Master 2 professionnel « Formation à la pratique du journalisme européen – mention franco-allemand » (Paris III). J’ai obtenu mon diplôme en septembre 2010, j’ai commencé à bosser pour So Foot trois mois plus tard. Et j’ai commencé à faire des allers-retours en Allemagne, et aujourd’hui, voilà un an que je suis à Bonn.

La Bundesliga est un championnat qui a le vent en poupe en ce moment avec une finale de C1 100% allemande en 2013 et une réduction de l’écart au coefficient UEFA avec la Premier League. Cette hausse des performances sportives est-elle uniquement expliquée par des critères économiques ?

Pas forcément. Après le naufrage à l’Euro 2000 (un naufrage déjà annoncé, suite à l’élimination de la Nationalmannschaft en ¼ de finale de la CDM 1998), les différents dirigeants du football allemand se sont réunis et ont décidé de revoir de fond en comble leur football. Ils ont décidé de tout réformer, à commencer par la base: la formation des jeunes. Ils sont allés voir ce qui se faisait dans les pays d’à côté (France, Pays-Bas…), et ont adapté tout ça à leur sauce. Ça leur a pris un peu de temps, mais aujourd’hui, ils récoltent les fruits de leur travail. La preuve : tous les ans, de nouveaux joueurs sortent des centres de formation. Des jeunes qui ont leur chance en Bundesliga. Des jeunes qui ont la possibilité de devenir des cadres malgré leur jeune âge. Par exemple: Bernd Leno (Bayer, 23 ans), Max Meyer (Schalke 04, 19 ans), Timo Horn (FC Cologne, 21 ans) ou encore Johannes Geis (Mayence, 21 ans). Et il y en a plein d’autres…

La Bundesliga a récemment dévoilé un chiffre d’affaires de 2,446 milliards d’euros pour la saison 2013-14, en hausse pour la 10ème saison consécutive. Comment expliquez-vous l’écart actuel avec la Ligue 1 dont le budget prévisionnel 2013-14 dévoile un CA de 1,340 milliard d’euros ?

Pour faire simple: en Allemagne, quand on soutient un club, on le soutient jusqu’au bout, quelque soient les résultats. Les gens sont très fidèles à leurs couleurs (comme en Angleterre, d’ailleurs). Du coup, ils font tout pour prouver leur attachement au club. Et généralement, cela passe par la case marketing : achat de maillots et autres produits dérivés. De plus, le prix des places est assez abordable, ce qui fait que les gens vont au stade dès qu’ils le peuvent. Comme la mentalité du football allemand, c’est « jouer pour gagner » et non pas « jouer pour ne pas perdre », il y a toujours du spectacle, ça donne envie de venir. Et puis une autre chose, très importante : l’horaire du match. Cinq matchs sur neuf ont lieu samedi à 15h30. Les gens qui vont au stade n’y vont pas seulement pour voir du football, mais aussi pour y retrouver des amis (avant et après le match) et boire une bière (voire plusieurs). Le stade, c’est un lieu de vie avant tout.

Selon de nombreux experts, le succès du modèle économique des clubs de Bundesliga repose sur la propriété de stades qui font régulièrement le plein. Est-ce le seul facteur clé de succès de ce championnat ?

« En Allemagne, le stade c’est un lieu de vie avant tout »

C’est une donnée à prendre en compte, en effet. Il y a plus de 60% d’abonnés dans les stades allemands, un chiffre croissant. Et hormis l’Olympiastadion du Hertha Berlin, les taux de remplissage tournent autour de 90-95%. La billetterie fait rentrer de l’argent dans les caisses, mais ce n’est pas le seul facteur, comme je l’ai expliqué plus haut. Le lien entre le club et les supporters est fort, il y a une fidélisation du public. Et puis, quelque part, le succès économique des clubs repose peut-être aussi tout simplement sur le fait que la plupart ne dépensent pas plus d’argent qu’ils n’en ont.

Si le chiffre d’affaires de Bundesliga ne cesse de progresser, le championnat a connu en revanche une baisse de son résultat net en 2013-14 (38,796 M€ vs 62,641 M€ en 2012-13). Cela s’explique notamment pour une balance des transferts lourdement déficitaire. Les clubs de Bundesliga vont-ils commencer à abandonner leur gestion financière rigoureuse pour attirer des stars internationales dans le championnat allemand ?

En Allemagne, les clubs sont soumis à la règle du 50+1. C’est-à-dire qu’un investisseur n’a pas le droit de posséder la majorité des actions d’un club. Du coup, il n’est pas possible d’avoir un milliardaire qui vient racheter le club et investir de l’argent dans tous les sens, comme c’est le cas en Angleterre. Après, il y a des exceptions, comme le Bayer Leverkusen, le VfL Wolfsburg et Hoffenheim. Les deux premiers sont des clubs d’entreprise, le troisième est possédé par un mécène. En principe, ils ont droit de faire ce qu’ils veulent. C’est pour cette raison que certains présidents, comme Martin Kind (Hanovre) trouve cette règle absurde et veulent l’enlever, pour attirer de gros investisseurs.

Néanmoins, il existe des solutions intermédiaires. Comme à Brême, par exemple. Souvent cité en exemple dans sa gestion, le club de la Weser est dans une passe difficile, financièrement parlant. Du coup, les dirigeants souhaitent faire entrer des investisseurs dans leur capital. Mais en cumulé, cela ne dépassera pas les 49% de ce que représente le club. Le Werder « pèse » actuellement 250 millions d’euros, et le club ne pourra pas recevoir plus de 120 millions d’euros de l’extérieur (environ). Après, il y a des cas particuliers, comme le FC Schalke 04 par exemple, qui n’est pas une société d’actions, mais un « eingetragener Verein » (club « déposé », en gros), où tous les membres sont égaux. Et le président Clemens Tönnies estime que ce serait une bonne idée si les membres donnaient un jour 1000 euros chacun (et une fois seulement) au club pour que celui-ci puisse continuer à lutter avec les autres grands du championnat. Bref, il n’y a peut-être pas beaucoup de pétrole, mais il y a des idées.

La Bundesliga accuse un net retard de recettes télévisuelles par rapport à ses principaux concurrents européens (Premier League, Serie A et Liga BBVA). Comment expliquez-vous ce retard et parviendra-t-il à le combler dans les années à venir ?

Après la faillite du groupe Kirch, qui assurait les droits de la Bundesliga (et qui avait une histoire particulière avec le Bayern), ça a mis un peu de temps à se reconstruire. Et puis il faut dire que le football allemand n’avait rien de très intéressant à proposer. Entre un Bayern ultra-dominateur en championnat et des clubs un peu en galère dans les coupes européennes, il n’y avait rien à « vendre ». Du coup, les Allemands ont préféré travailler sur leur football, le rendre plus efficace, mais aussi plus attrayant. Et aujourd’hui, ils suivent le même modèle que les autres championnats: droits télé à l’étranger, tournées promotionnelles en Asie, aux Amériques… En bref, si la Bundesliga continue à offrir du spectacle à domicile et à être performante en Europe, ça finira par se vendre.

En Bundesliga, de nombreux clubs ont tissé des liens forts avec de grands industriels allemands (Adidas, Allianz, Puma, Audi, SAP…). Certaines enseignes ont même intégré le capital social de clubs tels que le Bayern ou le Borussia Dortmund. Pourquoi existe-t-il une telle proximité entre les clubs de Bundesliga et les entreprises allemandes ? Et pourquoi ce phénomène est-il inexistant en France ?

En Allemagne, le rapport entre les industries et le football est très fort. Les industriels voient le football comme un facteur d’expansion. Surtout dans leur région d’origine. Adidas, c’est en Bavière. Audi aussi. Quelque part, sans Audi, le FC Ingolstadt ne serait pas aussi haut. Le Bayer et Wolfsburg, il y a une entreprise pharmaceutique et une entreprise automobile derrière. En France, il y a Sochaux et PSA, mais aussi Casino et Saint-Etienne. Mais c’est tout. Peut-être parce qu’en France, les grands industriels n’aiment pas le football, tout simplement. Peut-être parce que la culture du football n’est toujours pas prise au sérieux par les élites.

ali farhat

Selon Ali Farhat, le rapport entre les industries et le football est très fort en Bundesliga. Une relation qui est quasi-inexistante en France.

Si les clubs de Bundesliga sont globalement très bien gérés, il existe quelques rares exceptions comme le club d’Hambourg SV. Pourquoi le HSV ne parvient-il pas à générer des profits à l’image de ses concurrents ?

Hambourg vit une crise existentielle depuis 2010 et son élimination en demi-finales de la Ligue Europa par Fulham. Une finale de C3 qui s’est jouée au stade de Hambourg, justement. Depuis, le club ne fait que couler: la direction fait de mauvais choix, que ce soit sur le terrain ou sur le banc. Les joueurs sont apeurés, et ça se ressent tous les weekends. La pression est grande. Hambourg, ce n’est pas n’importe qui: c’est l’un des plus grands clubs du pays, le seul à avoir disputé toutes les saisons dans l’élite depuis l’instauration de la formule du championnat que nous connaissons actuellement (soit depuis 1963). Tout le monde veut tirer la couverture à soi : les dirigeants du club, les anciens (Hrubesch, etc.) qui ont voulu revenir, ou encore Klaus-Michael Kühne, investisseur dans son club de cœur (il a permis le retour de van der Vaart en 2012), qui a voulu mettre Felix Magath entraîneur – Magath qui voulait le poste de manager, qui lui a été refusé. Bref, c’est la confusion permanente, et le club claque des sous sans que l’on sache vraiment où ça va les mener. C’est vraiment triste, car c’est un club qui, même aujourd’hui, mérite de jouer les premiers rôles. Il n’y a qu’à voir leur effectif : il n’a rien à envier à celui d’un Gladbach ou d’un Leverkusen, par exemple. Mais le navire hanséatique continue de tanguer, tanguer… Jusqu’où ? Personne ne le sait.

Sauf miracle, le Borussia Dortmund ne parviendra pas à se qualifier pour la prochaine édition de la Ligue des Champions. Le club sera-t-il obligé de vendre ses meilleurs éléments pour compenser une baisse de revenus ?

« Il y a des bases financières solides à Dortmund »

Pas nécessairement. Il y a des bases financières solides, le club peut voir venir. Surtout que tout le monde semble concerné par le projet. Suite à la prolongation de Marco Reus, beaucoup ont mal interprété ses intentions: il a été dit et écrit çà et là qu’il prolongeait pour mieux partir cet été (sa clause ayant été enlevée dans son nouveau contrat). Ce serait mal connaître le bonhomme, qui est originaire de cette ville, qui a fait ses premiers pas dans ce club, et qui y est revenu au lieu d’aller au Bayern, en 2012. Quand Marco Reus dit qu’il veut rester, il le pense vraiment. A l’heure actuelle, où pourrait-il être titulaire sans avoir de questions à se poser, mis à part à Dortmund ? Et il ne faut pas oublier que Reus a l’Euro 2016 en ligne de mire, ce qui serait son premier véritable tournoi avec la Nationalmannschaft. Il n’a sûrement pas envie de se battre pendant une saison pour sa place en club, et ainsi mettre en péril sa place en équipe nationale. Reus va rester, Hummels va rester, d’autres cadres vont rester, Europe ou non. Cette saison est un accident, Jürgen Klopp saura quoi faire pour que ça ne se reproduise plus.

En France, la Bundesliga est perçue comme un championnat outrageusement dominé par le Bayern Munich. D’autres clubs – hormis le cas particulier du Borussia Dortmund – peuvent-ils concurrencer à moyen terme le Bayern sur la scène nationale ?

Depuis une dizaine d’années, il y a toujours un club qui est là pour embêter le Bayern: le Werder a été champion en 2004, Stuttgart en 2007, Dortmund en 2011 et 2012, sans oublier Wolfsburg bien sûr, en 2009. Actuellement, le club de Volkswagen tient la corde. Ok, ils ont un certain retard, ils ont perdu des points bêtement, mais s’ils continuent sur cette lancée, les Loups peuvent vraiment déranger le Bayern sur la durée. Dortmund reviendra. Ne reste plus qu’à Schalke, Gladbach et Leverkusen à s’armer et à gagner en constance, et on pourra avoir une ligue très compétitive. En tous cas, elle l’est déjà: sinon, comment expliquer que six équipes sur sept (Mayence est sorti trop tôt) ont réussi à sortir des phases de poules dans les compétitions européennes ?

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