Interview

Interview exclusive de Me. Granturco, avocat spécialiste en droit du sport

Ecofoot.fr a eu la chance cette semaine de s’entretenir avec Me. Granturco, avocat aux Barreaux de Paris et de Bruxelles et grand connaisseur des problématiques juridiques en matière de ballon rond. Au cours de cet entretien, nous sommes revenus sur l’affaire Müller qui secoue le football européen tout en abordant la question de l’encadrement des contrats de footballeurs…

Me. Granturco, pouvez-vous vous présenter aux lecteurs d’Ecofoot.fr ?

Je suis avocat aux Barreaux de Paris et de Bruxelles, spécialiste de droit du sport. J’ai eu la chance d’être impliqué dans les 2 plus grands arrêts de ces deux dernières décennies en matière de football à savoir :

  • d’une part le fameux arrêt Bosman devant la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) puisque j’ai été l’un des conseillers de la Commission européenne. Cet arrêt a, comme vous le savez, révolutionné le système des transferts dans le monde et du coup l’économie du football dans sa totalité ;
  • d’autre part, celui d’Olivier Bernard contre l’Olympique Lyonnais, également devant la CJUE qui a abouti quant à lui à une refonte de la Charte du football professionnel en France.

Je conseille des joueurs, des clubs, des fédérations et suis expert juridique auprès de la Commission européenne et de l’ONU.

J’ai moi-même joué à haut niveau (centre de formation de l’OL, équipes de France de jeunes…) et après avoir été dirigeant du FC Rouen, je suis actuellement dirigeant du RFC Liège qui vient d’accéder à la D3.

Que pensez-vous de l’affaire Heinz Müller dont le contrat avec le club de Mayence a été requalifié en CDI par le tribunal du travail allemand ? Quelles conséquences pourrait engendrer cette décision si elle était confirmée par les instances d’appel et de cassation ?

Ce qui est étonnant dans cette affaire n’est pas tellement la décision prise par le tribunal du travail allemand, mais c’est plutôt le retentissement qu’elle a eu. Comme si son caractère exceptionnel devait nécessairement en faire une nouvelle bombe juridique.

En tout cas et en bref pour ce qui relève de Heinz Muller, il convient de rappeler qu’il a joué de 2009 à 2014 à Mayence. En fin de contrat à 36 ans, celui-ci n’a pas été renouvelé. Contre toute attente, il a porté son cas devant le tribunal du travail local (équivalent de notre Conseil des Prud’hommes) qui a décidé de requalifier son CDD en CDI. Le droit allemand prévoit en effet qu’au terme de 2 années passées dans une même entreprise, le contrat de travail du salarié devient automatiquement un CDI. Dès lors, le club de Mayence n’ayant pas mis fin au contrat d’Heinz Muller dans les formes requises pour un CDI, il a été considéré comme étant toujours contractuellement lié à son club.

Ce qu’il est d’abord nécessaire de noter dans cette l’affaire, c’est que la décision du tribunal allemand a été rendue en première instance. Un appel a été interjeté et s’il devait s’avérer que la Cour d’appel ne donne pas satisfaction au club de Mayence, l’affaire ferait sans nul doute l’objet d’un pourvoi en cassation. Nous sommes donc encore loin de faire face à un arrêt définitif dans cette affaire.

Ceci étant dit, de quoi parlons-nous exactement ? De la manière de mettre fin à un contrat entre un club et un joueur. Avec un CDD, le terme du contrat est connu puisque, par définition, sa durée est déterminée.

Mais nous savons bien, qu’en réalité, le contrat a beau être à durée déterminée, il est la plupart du temps cassé avant son terme. Quand il ne l’est pas et que le joueur arrive en fin de contrat, il est libre de s’engager avec le club de son choix sans que son club ne puisse bénéficier d’une quelconque indemnité de transfert. Or, tous les clubs essayent d’éviter cette situation et cèdent souvent leurs joueurs avant le terme défini de leur contrat. Ceci leur permet d’encaisser des indemnités des clubs acheteurs sans lesquelles la plupart des clubs français auraient d’ailleurs bien du mal à équilibrer leurs comptes.

Si les contrats devenaient des CDI, leur durée serait par définition indéterminée. Et pour y mettre fin, il faudrait donc que l’une des parties en prenne l’initiative.

En d’autres termes, nous aurons compris que si  les deux situations sont théoriquement différentes l’une de l’autre, elles ne le sont en pratique pas tant que cela puisque beaucoup de CDD de footballeurs professionnels ne vont pas à terme.

La nouveauté supposée serait qu’avec des CDI, les joueurs pourraient donner un préavis à leurs clubs à n’importe quel moment, en respectant les dispositions légales en vigueur. Sauf que devraient-ils le faire, ils resteraient néanmoins contraints par les règles de la FIFA applicables aux transferts (périodes de transfert durant une saison, nombre de clubs avec lesquels il est possible de jouer au cours d’une même saison…).

De telle sorte qu’une analyse du risque juridique me laisse penser a priori que cet arrêt ne connaîtra pas de suite néfaste pour le football professionnel.

Une telle décision de justice a-t-elle déjà été rendue par les tribunaux français ?

Oui tout à fait. Et la décision du tribunal allemand a en réalité complètement occulté l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation française du 17 décembre 2014, dans l’affaire Padovani contre le SC Bastia (SCB). Et là nous parlons d’un arrêt de notre Cour suprême si l’on peut le dire ainsi, et non pas d’une simple décision de première instance comme avec le tribunal de travail de Mayence.

Il faut savoir qu’aux termes des dispositions du Code du travail, le sport professionnel fait partie des secteurs d’activité dans lesquels des CDD peuvent être conclus pour des emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au CDI. C’est ainsi que les contrats des joueurs de football professionnel, par exemple, sont de manière systématique des CDD. Il en est de même, habituellement, pour les contrats conclus entre les clubs employeurs et les entraîneurs.

Si cette règle semblait jusque-là bien établie – à de rares exceptions – la chambre sociale de la Cour de cassation est récemment venue mettre à mal cette position jurisprudentielle. Elle a en effet considéré que la demande en requalification de la relation de travail en CDI formulée par Michel Padovani à l’encontre du SCB ne pouvait être rejetée comme l’avaient fait les juges d’appel, qui s’étaient contentés de relever que le requérant exerçait une fonction d’entraîneur sportif, intrinsèquement associée aux résultats sportifs et aux nécessités de la compétition.

Il est vrai qu’après une carrière de joueur de football professionnel passée en grande partie au sein du SCB, Michel Padovani avait poursuivi son parcours dans le club corse. Il avait ainsi été embauché, le 1er février 1993, en qualité d’employé administratif par la société SCB. Son contrat de travail initial était un contrat de travail à durée déterminée courant jusqu’au 31 juillet 1995. Son contrat avait ensuite été régulièrement renouvelé jusqu’au 30 juin 2010, date à laquelle sa relation avec le SCB avait pris fin.

Il avait ainsi été salarié du Sporting Club de Bastia de façon ininterrompue pendant 17 ans et 6 mois, exerçant la fonction d’entraîneur/formateur sans contrat de travail écrit de 1994 à 2003, et occupant, à compter de juillet 2003, l’emploi d’entraîneur ou d’entraîneur adjoint au terme de six contrats à durée déterminée successifs. En dernier lieu, Michel Padovani était devenu entraîneur adjoint de l’équipe première du SCB.

Pour la Cour de cassation, les juges d’appel auraient dû vérifier, compte tenu des diverses tâches occupées successivement par l’intéressé pendant dix-sept ans, si l’utilisation de CDD successifs était justifiée par l’existence d’éléments concrets et précis établissant le caractère par nature temporaire de cet emploi.

En l’occurrence, nous pouvons effectivement comprendre qu’après plus de 17 ans dans un club, au sein duquel de nombreuses fonctions ont été occupées, il puisse être difficile de se retrancher derrière un CDD pour mettre abruptement fin à une relation de travail.

En tout état de cause, les clubs devront dorénavant tenir compte de cet arrêt qui, contrairement au jugement du tribunal du travail de Mayence, fera jurisprudence.

Cette affaire peut-elle avoir une ampleur similaire à l’arrêt Bosman ? La Cour de Justice de l’Union Européenne peut-elle être saisie dans ce type de litige ?

Comme précédemment expliqué, je ne pense pas qu’il faille attendre grand-chose de cette décision du tribunal allemand.

Toutefois, il est tout à fait possible que la CJUE en soit un jour ou l’autre saisie puisque cette question est couverte par la Directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 sur le travail à durée déterminée. Celle-ci impose entre autres de vérifier que le recours à l’utilisation de contrats successifs puisse être justifié par des raisons objectives.

Thierry Granturco

Selon Me. Granturco, la CJUE pourrait être saisie dans ce type d’affaire.

En l’occurrence et hormis des cas tels que ceux concernant Michel Padovani, il y a fort à parier que la CJUE confirmerait que le football professionnel fait partie de ces secteurs d’activités permettant la succession de CDD.

Pourquoi les joueurs de football sont-ils toujours engagés sous contrat CDD alors que la loi française réglemente fermement l’usage de ce type de contrat travail ? Le football et plus généralement le sport professionnel bénéficie-t-il d’une tolérance particulière au regard de la loi ?

Il résulte en réalité de la combinaison des articles L. 1242-1, L. 1242-2 et D. 1242-1 du Code du travail que dans les secteurs d’activité définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu, certains des emplois en relevant peuvent être pourvus par des CDD lorsqu’il est d’usage constant de ne pas recourir à un CDI, en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, et que des CDD successifs peuvent, en ce cas, être conclus avec le même salarié.

C’est clairement le cas du football. Il y a donc bel et bien une base légale dans notre droit français soutenant l’utilisation du CDD pour les joueurs et autres entraineurs. Et cette base légale n’est à mon sens pas infirmée par la Directive européenne 1999/70/CE.

En quoi consiste la mission Karaquillo commandée par le Ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports au sujet des statuts des sportifs ? Quelles mesures concrètes pourraient être adoptées au sujet des contrats des joueurs de football à la suite de cette mission ?

La mission Karaquillo avait pour but, pour faire simple, de travailler sur le statut des sportifs en France. Le rapport issu de cette mission a été remis le 18 février dernier au secrétaire d’Etat aux sports et il en ressort 41 recommandations portant sur toute une série de questions.

« Le rapport Karaquillo renforce l’utilisation du CDD »

Les recommandations 31 à 35 confirment quant à elles et si besoin était, l’utilisation des CDD entre les clubs et leurs joueurs et visent à ce qu’ils puissent être spécifiques (appelant du coup l’intervention du législateur sur la question), qu’ils puissent être étendus aux entraîneurs, qu’ils puissent avoir une durée minimale (12 mois) et une durée maximale (60 mois), etc…

En d’autres termes, le rapport Karaquillo non seulement ne remet pas en cause l’utilisation des CDD, mais il la renforce.

Connaissez-vous la position de l’UNFP (syndicat des joueurs) concernant l’évolution des textes de loi encadrant les contrats des joueurs de football professionnel ?

« Je ne pense pas que l’UNFP fasse de l’abandon des CDD au profit des CDI un quelconque cheval de bataille »

Pour autant que je sache, l’UNFP n’a pas arrêté de position claire à ce sujet. Elle s’est montrée étonnée de la décision du tribunal allemand mais ne s’en est pas inquiétée pour autant. A raison me semble-t-il.

Je ne pense d’ailleurs pas que l’UNFP fasse de l’abandon des CDD au profit des CDI un quelconque cheval de bataille. D’abord parce que le CDI ne colle pas au genre de relations par essence éphémères entre un club et un joueur, et d’autre part parce que les CDI se marieraient en tout état de cause très mal avec les règles en vigueur au niveau de la FIFA concernant les transferts.

L’UNECATEF, par contre, devrait se féliciter de la jurisprudence Padovani de la Cour de cassation.

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