Interview

« Le ballon rond germanique, c’est l’inverse de l’Anzhi Makhachkala ! »

Ecofoot.fr a eu la chance cette semaine de s’entretenir avec Polo Breitner, l’ex-chroniqueur Bundesliga sur RMC. Au cours de cet entretien, nous avons abordé les spécificités du modèle allemand appliqué au football tout en évoquant ses qualités et ses limites. Exceptionnellement, cette entrevue sera publiée en trois parties…

Polo, comment cette passion pour le football allemand a-t-elle pris forme ?

Mon père avait deux amours, il était communiste et il supportait les Verts. C’était très représentatif d’une France des années 1970 d’ailleurs. Enfin, jusqu’à la « carotte » de Mitterrand et le programme commun. J’ai fait une overdose en l’écoutant et viré Bayern fissa. L’Euro 80…la classe de Schuster – à l’époque, je me surnommais l’ « Ange blond » et j’imposais des noms allemands à la récré – puis Séville 82 est arrivé. Les Bleus s’étaient mis au niveau d’un géant du foot ! Je l’ai vécu comme « l’éveil ou bien la naissance d’une nation ». Platoche, « Gigi », Tigana, Marius contre Breitner (ndlr : d’où le surnom), « Litti », Kaltz, les frères Förster et  Rummenigge sur le banc… J’ai eu le droit à une lecture systématiquement politique du match dans les médias franchouillards : « nous gentils » « eux méchants » comme si la société civile de la RFA n’avait pas le droit d’évoluer, comme si la rencontre contre l’Autriche, le comportement de la Nationalmannschaft, le « K » Schumacher n’avaient pas embrasé les débats et choqué outre-Rhin. Certains journalistes, issus des élections de 1981, préféraient même glorifier la RDA, un système totalitaire. La France était donc germanophobe – surtout ses élites – elle l’est d’ailleurs toujours, au minimum dans le traitement médiatique de l’information, ce qui est l’une des explications à l’absence de réflexion sur le « modèle économique allemand ». Il y a donc dans mon cheminement et mon « désir d’Allemagne » également une répulsion du pays où je suis né, en rapport direct à tout ce que j’avais pu lire. L’humus national, pour ce qui touche à minima au ballon rond, est à sa juste place…au ras des pâquerettes. L’image de « ma France » demeurera à mes yeux  toujours le public et l’énorme ambiance de mon premier match au Parc des Princes, j’ai à peine 10 ans, un certain France/Pays-Bas, on est en novembre 81. J’étais en communion avec « mon peuple » ce soir-là.

Au début des années 1990, je pars travailler outre-Rhin, à Bielefeld, je suis l’Arminia avant de changer d’entreprise. Le week-end, je prends la voiture et je visite les stades, de Brême à Nuremberg, de Berlin à Stuttgart. J’enquille les livres, j’apprends tout. Voilà. Un jour, Daniel Riolo, donc RMC, me propose de passer à l’antenne, et je me retrouve en studio.

Justement, parler d’économie dans une émission à forte audience, l’After, ce ne fut pas compliqué ?

Oui et non. De par ma formation initiale, ce n’est pas difficile. Et puis l’idée, ce n’est pas de faire une conférence mais de donner deux, trois chiffres significatifs aux auditeurs, juste pour avoir quelques repères. Au début, en 2009, Gilbert Brisbois tiquait logiquement un petit peu. Maintenant, comprendre le succès et le retour du football allemand au premier plan européen passe notamment par une explication économique et des choix stratégiques validés par les autorités du pays. Le ballon rond germanique, c’est l’inverse de l’Anzhi Makhachkala ! Ce qu’il s’est passé depuis le début du XXIème siècle est unique en Europe et dans le monde. Ensuite, mettre en exergue les qualités – mais aussi les défauts – de ce système permet de rappeler, par ricochet, que le football espagnol n’a pas payé ses impôts à l’Etat durant de nombreuses années, de demander des explications sur l’endettement de la Premier League ou le rachat des clubs par des grosses fortunes, et de comprendre comment fonctionne le branlant modèle sportif portugais. Nous ne sommes pas à périmètre constant sur un terrain vert. Il y a donc « compétitivité » et « compétitivité » si vous voyez ce que je veux dire…

Maintenant, je constate, et votre site en est une belle preuve, qu’il n’y a jamais eu autant de publications sur l’économie du football et d’intervenants. Reste à l’expliquer correctement et non d’une façon partisane ou seulement émotionnelle.

La Bundesliga ne cesse d’enregistrer un chiffre d’affaires en croissance, avec un résultat net positif contrairement à certains de ses homologues européens.

« La Bundesliga ne dépend pas des prêteurs comme les banques ou d’éventuels nouveaux investisseurs »

Vous avez raison sur la progression systématique des recettes. Le rapport d’activité qui vient de sortir annonce, pour l’exercice 2014-2015, un chiffre d’affaires de 2,62 milliards d’euros. En une décennie, il a été multiplié par deux. La « Buli » génère le double d’argent en regard de la L1. Les recettes sont toujours diversifiées, le fameux « quatre-quarts » est toujours la norme : le ticketing (20%), la publicité (26%), les droits médias (28%) et autres dont les transferts et le merchandising (27%). L’élite allemande ne dépend donc pas, comme en France, des droits TV et pourrait résister à une saturation ou un retournement de marché.

Quant au ratio du « Gearing », il est pour la première fois au-dessus de 1. C’est l’une des grandes nouvelles économiques de ce rapport 2014-15, les capitaux propres ont dépassé le seuil symbolique des 1 milliard d’euros et sont supérieurs à l’endettement. Pour faire court, cela signifie que la Bundesliga ne dépend pas des prêteurs comme les banques ou d’éventuels nouveaux investisseurs.

En revanche, je relativise toujours le résultat net puisque le football n’a pas vocation à être une activité qui maximise ses profits. C’est important pour se constituer des réserves, pour être indépendant, pour être en capacité de négocier mais pas vital sur un exercice. Je préfère relever le résultat d’exploitation et son « + » 455 millions d’euros.

Comment expliquez-vous la réussite du modèle allemand ?

Avant de répondre directement à votre question, je pense qu’il faut nuancer tout ce succès car il est fragile comme toute activité liée au spectacle.

Mais je souhaite apporter quelques chiffres à votre réflexion. Les recettes de la 2. Liga ont dépassé les 500 millions d’euros en 2014-15. Mieux encore, le résultat après impôt est positif, c’est la première fois de son histoire. C’est donc l’ensemble du football professionnel allemand qui progresse, pas seulement la Bundesliga.

« Le succès ne s’achète pas, il se construit »

Enfin, vous devez absolument accepter le fait qu’entre un succès sportif à court terme et une viabilité à long terme, les Allemands choisiront toujours la deuxième solution. Le succès ne s’achète pas, il se construit. En 2010, la Bundesliga finit première au classement UEFA, c’est notamment l’année du retour au premier plan du FC Bayern avec sa finale de Ligue des Champions. Cet exercice-là, les comptes sont mauvais, -78 millions d’euros après impôt. Christian Seifert, l’équivalent de Frédéric Thiriez, dans son rapport d’activité 2010, publié en janvier-février 2011, s’époumone, faisant comprendre que la Bundesliga est en surchauffe économiquement. Le message est passé : l’année suivante, les clubs ont été beaucoup moins présents à l’achat sur le marché des transferts. En revanche, ils ont plus vendu. Le delta achat-vente, structurellement déficitaire, s’est fortement comprimé et les liquidités dégagées ont été utilisées, notamment, pour faire baisser l’endettement. Le résultat était de nouveau positif. Mais la Bundesliga l’a payé sportivement en ne terminant que quatrième au classement UEFA. L’Allemagne du football est donc « pilotée » afin de croître sainement, sereinement.

La réussite du modèle allemand est avant tout passée par la prise de conscience que cela ne tournait plus rond. Le spectacle produit et proposé n’était plus satisfaisant, l’équipe nationale était tactiquement dépassée et surtout, les clubs professionnels avaient quasiment tous de grosses difficultés financières. Il fallait donc trouver une solution à la fois sportive et économique qui satisfasse tout le monde.

Vous pouvez préciser ?

A suivre…

La deuxième partie de l’interview est consultable à cette URL : http://www.ecofoot.fr/interview-polo-breitner-football-allemand-676/

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Source photo à la Une : © FC Bayern München (Facebook)

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