Alors que le RC Lens s’apprête à devenir propriétaire du stade Bollaert-Delelis, le choix opéré par le club artésien pourrait-il faire des émules au sein du sport professionnel français ? Jérémy Moulard, Docteur en Management du Sport Professionnel et Consultant Stade, revient en détail sur les enjeux de cette transaction tout en évoquant plus globalement le marché des stades en France. Entretien.
Pourquoi le RC Lens s’est-il obstiné à devenir propriétaire du stade Bollaert-Delelis ?
Pour pouvoir maîtriser la seule source de revenus sur laquelle le club peut durablement s’appuyer — les revenus matchday et hors matchday. Avec la chute des droits TV en France, la principale ressource financière des clubs est fragilisée. Comme de nombreux autres clubs, le RC Lens est contraint de vendre ses meilleurs actifs pour équilibrer ses comptes à la fin de chaque saison – Openda et Khusanov pour 40 m€, Danso, Wahi, Fofana, Doucouré pour 25 m€, Samba pour 14 m€.
Le club a cependant réussi à réduire significativement ses charges et ses déficits ces dernières années. Les dernières ventes ont même permis de réaliser un bénéfice historique. Grâce à une gestion intelligente, une partie de ces ressources est réinvestie dans le stade afin de tenter de changer un modèle économique critiqué depuis 2008 (rapports Besson et Seguin).
Soyons lucide : les clubs n’auront jamais en France des droits TV comparables à ceux des concurrents anglais ; ils n’auront jamais les mêmes charges salariales, ni les mêmes droits aux déficits que les autres championnats du BIG 4 ; aucune entreprise au monde ne peut se permettre de vendre ses meilleurs actifs chaque année pour survivre. Enfin, les clubs étrangers, principaux acheteurs de joueurs en France pourraient réduire leurs investissements à moyen terme. Leurs centres de formation deviennent de plus en plus performants, ce qui va entraîner une baisse de la valorisation des joueurs, tant en volume qu’en valeur, même si la France reste le marché numéro 1 dans le monde en termes de ventes.
Quand on est un club historique du football français, avec un taux de remplissage de 99 % en Ligue 1 – 38 000 spectateurs en moyenne – et de 70 % en Ligue 2, on dispose d’un avantage concurrentiel majeur qu’il faut savoir exploiter. La direction lensoise l’a très bien compris, et c’est une excellente nouvelle, tant pour le club que pour le football français.
Cette acquisition va-t-elle permettre au club de développer ses revenus ? De quelle manière ?
Grâce à sa participation à la Champions League, le RC Lens a enregistré 22,2 millions d’euros de revenus en billetterie en 2024, se classant 4e club français sur ce segment. Une performance remarquable pour une ville de seulement 32 600 habitants. En dix ans, les revenus du club ont été multipliés par six !
La propriété du stade va permettre de consolider le projet de développement du club. En plus d’être un monument socioculturel majeur pour le territoire, le stade représente aujourd’hui un outil économique stratégique chaque jour de l’année. Un investissement sera probablement prévu pour moderniser l’offre destinée au grand public, et surtout améliorer les prestations hospitalités, qui constituent une source importante de marge. L’amélioration des services de restauration et de l’expérience spectateur pourrait se faire sans renier l’âme populaire du club, avec des prix restant accessibles pour les supporters.
Il est également envisageable qu’un projet immobilier connexe voie le jour autour du stade. De nombreux clubs en Europe intègrent aujourd’hui des projets immobiliers à leurs enceintes sportives, ce qui permet de générer des revenus stables et complémentaires.
La propriété offre un potentiel plus important d’amélioration et de retour sur investissement. Au-delà des recettes, le contrôle des charges constitue également un enjeu intéressant. Cela concerne à la fois l’amortissement de l’achat et des travaux, ainsi que la rationalisation des charges d’exploitation, qui sont généralement bien plus élevées lorsqu’un bien est détenu par une collectivité publique que par un acteur privé.
Cet investissement n’a-t-il pas également pour objectif d’augmenter la valorisation du RC Lens ?
Clairement. Toute entreprise qui possède ses locaux et ses outils de production est mieux valorisée. Cela devrait, selon moi, être une obligation depuis longtemps. Depuis 25 ans, une partie des droits TV perçus (5,2 milliards), ou encore des ressources issues de CVC Partners (1,3 milliard), aurait dû être consacrée à l’acquisition/rénovation des infrastructures comme les stades et les centres de formation des clubs.
Si seulement 20 % des droits TV perçus au cours des 25 dernières années avaient été investis dans les infrastructures, le football français serait alors bien plus compétitif et bien moins déficitaire. A l’inverse, les clubs ont dépensé en moyenne 70 % de cet argent dans les charges salariales des joueurs dont les salaires ont été multipliés par 7 en 25 ans – de 15 000 euros brut mensuel en 2000 à 115 000 euros brut mensuel en 2025. Et pour pouvoir payer ces niveaux de salaire, les clubs doivent vendre chaque année les meilleurs jeunes joueurs qu’ils ont eux-mêmes formés. Ces même jeunes joueurs qui n’ont pourtant pas les salaires les plus importants des effectifs. Une logique paradoxale.
Le RC Lens a-t-il réalisé une bonne affaire en rachetant le stade Bollaert-Delelis pour 27 m€ ? Ce prix n’est-il pas bas par rapport aux sommes envisagées pour la vente de Parc des Princes ou encore de l’Orange Vélodrome ?
