Pierre Henri Deballon Arkema Première Ligue
Interview

PH. Deballon (DFCO) : « A l’avenir, le football féminin va devoir générer ses propres revenus »

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Le football féminin français de haut niveau est à la croisée des chemins. Entre volonté de développement et contexte économique difficile, la plupart des clubs d’Arkema Première Ligue cherchent des investisseurs pour impulser une nouvelle dynamique. Le DFCO illustre parfaitement cette situation. Lors d’une interview exclusive accordée à Ecofoot, Pierre-Henri Deballon, Président du club bourguignon, fait le point sur le modèle économique et l’avenir actionnarial de son équipe féminine tout en revenant plus globalement sur le développement de l’Arkema Première Ligue. Entretien.

Quel est le budget de la section féminine du DFCO en cette saison 2025-26 ? Comment est-il financé ?

Notre budget est d’un peu moins de 3 millions d’euros et il n’est pas intégralement financé par les recettes dégagées par notre équipe féminine. Pour schématiser, on supporte 2,9 millions de dépenses contre 1,4 millions de recettes.

Parmi les sources de revenus, on enregistre un peu plus de 500 000 € de droits, 150 000 € issus des partenariats, 300 000 € de subventions et entre 250 et 300 000 € de revenus d’exploitation.

Les partenaires qui parrainent votre équipe en Arkema Première Ligue sont-ils des sponsors globaux du club ou viennent-ils exclusivement pour le football féminin ?

Ce sont plutôt des partenaires qui s’associent au club dans sa globalité et qui dédient une partie de l’investissement aux féminines. Ils sont néanmoins très engagés sur le sujet. Cela fait clairement partie de leur choix d’investissement de s’engager auprès des deux structures.

En cette saison 2025-26, on enregistre une dynamique commerciale positive. On a lancé une offre loges pour quatre matchs de gala d’Arkema Première Ligue. Et on a déjà réussi à commercialiser 80% de l’inventaire.

Les collectivités sont-elles à vos côtés dans le projet de développement de votre équipe féminine ?

Par rapport aux subventions globalement versées au club, un tiers est consacré à notre équipe féminine. En apparence, cela ne parait pas énorme. Mais il faut recontextualiser les sommes. Le budget global du DFCO pour cette saison est de 10 m€ dont 3 m€ pour notre équipe en Arkema Première Ligue. Donc la répartition des subventions est en cohérence avec notre budget.

Les collectivités affichent une réelle volonté de soutenir le développement de notre équipe en Arkema Première Ligue. Néanmoins, l’effort de 300 000 € ne représente que 10% du budget du club. Le soutien est plus que symbolique car il ne s’agit pas d’un montant anecdotique. Mais ce n’est pas suffisant pour maintenir un club féminin au plus haut niveau. Ce n’est évidemment pas une critique mais un constat lucide. Je le rappelle : le contexte économique est très compliqué pour les collectivités et elles doivent faire des choix.

« A nous de travailler sur les revenus, les affluences, l’impact et l’image de la discipline pour créer ce cercle vertueux »

A l’avenir, le football féminin va devoir générer ses propres revenus, renforcer son attractivité pour devenir une activité soutenable. J’ai dû mal à imaginer que les collectivités pourront faire beaucoup plus pour soutenir le modèle économique des clubs. A nous, tous les acteurs de l’écosystème, à commencer par les dirigeants de clubs, de travailler sur les revenus, les affluences, l’impact et l’image de la discipline pour créer ce cercle vertueux. Les collectivités suivront plus facilement – et pourront justifier des sommes en hausse – si on évolue régulièrement dans des stades pleins. Pour cela, il faut orchestrer des plans d’action. Au DFCO, à notre niveau, on essaie de faire bouger les lignes. On a notamment un collectif de supporters qui s’est dernièrement constitué. Ce sont des signaux qui contribuent à créer une nouvelle dynamique derrière le football féminin. En espérant parvenir à drainer plus de monde au stade lors des mois et saisons à venir.

Nous avons également reçu une offre à 100 000 € venant d’Angleterre pour l’une de nos joueuses l’été dernier. Cela montre que ça bouge aussi au niveau européen. Les transferts peuvent faire partie de cette équation.

La belle dynamique sportive de la saison dernière a-t-elle permis au club de renforcer son attractivité auprès des différentes parties prenantes (partenaires, grand public, collectivités…) ?

Cela a permis de lancer une dynamique mais pas à l’échelle de l’exploit sportif réalisé. On a terminé 4e du championnat derrière le Paris FC, le PSG et l’OL c’est-à-dire des clubs détenus par des milliardaires ou des Etats ! On aurait pu s’attendre à beaucoup plus en termes de retombées. Cela a d’ailleurs pu générer un peu de frustration dans l’environnement du club et notamment parmi les joueuses à l’origine de cet exploit sportif.

Le DFCO a terminé l’an dernier au 4e rang d’Arkema Première Ligue. Photo Icon Sport

En réalité, nous n’en sommes qu’au tout début du développement du football féminin en France. On doit inscrire ce développement dans le temps long. Dire que dans 12 mois, l’économie du football féminin aura triplé de taille, ce n’est pas honnête.

Certains acteurs comme la LFFP veulent parfois aller trop vite, ce qu’on ne peut leur reprocher, dans le développement en prenant des décisions qui peuvent parfois aller à contre-courant de l’intérêt des clubs et du football féminin dans son ensemble. Par exemple, aujourd’hui, en raison des règlements, nos joueuses évoluent au stade Gaston-Gérard. En termes de qualité d’infrastructure, c’est génial, il n’y a rien à dire ! C’est un stade dimensionné pour un club de Ligue 2 voire de Ligue 1. En revanche, on joue la plupart de nos matchs dans une cathédrale vide.

On a sans doute sauté le pas trop vite. Il aurait mieux valu réserver le grand stade pour quelques affiches exceptionnelles, lors des réceptions d’OL Lyonnes et du PSG par exemple. Et jouer nos autres matchs au sein de notre centre d’entrainement, dans une enceinte de 1 000 personnes pleine à craquer, avec une grosse ambiance, mais cela impliquait d’investir dans une nouvelle pelouse ce qu’on n’a pas pu se permettre !

Les stades des équipes masculines ont été aménagés par étape au fur et à mesure du développement de la discipline. On a d’abord construit une première tribune, puis une seconde, puis on l’a complètement fermé, puis on y a ajouté des loges et espaces réceptifs… Le développement a été progressif. Jouer nos matchs ordinaires au sein de notre centre d’entrainement, cela aurait permis de mieux mettre en valeur notre équipe dans une ambiance plus chaleureuse.

Néanmoins, des choix collectifs ont été actés et on les respecte. Désormais, on travaille pour remplir le plus possible notre stade lors de nos rencontres d’Arkema Première Ligue. On a toutefois fait le choix de réduire au maximum les invitations. C’est important d’associer un prix car cela permet de donner une valeur au produit. On met beaucoup d’énergie pour attirer de nouveaux publics et faire découvrir le football féminin.

Ne faut-il pas renforcer le storytelling autour du football féminin pour susciter plus d’engouement autour des équipes ?

Tout à fait ! D’autant qu’il y a de belles histoires à mettre en valeur. Par exemple, en raison de la blessure de notre gardienne internationale finlandaise Katriina Talaslahti et de la suspension de sa remplaçante, une jeune joueuse de notre centre de formation de 16 ans, Clélia Ducreux, s’est retrouvée titulaire face au Paris Saint-Germain ! C’est une histoire extraordinaire à raconter. Plus globalement, quand je vois l’investissement de nos joueuses dans les actions sociales du club, je me dis qu’elles méritent d’être davantage mises en valeur.

Pour être totalement transparent, quand j’ai racheté le DFCO, ma passion se tournait davantage vers le football masculin. Je ne m’en suis jamais caché. Progressivement, j’ai appris à connaitre nos joueuses, je me suis de plus en plus intéressé au football féminin et je prends désormais beaucoup de plaisir à les voir évoluer. J’étais au stade pour la première journée face au Paris FC et j’ai regardé le match avec autant d’intensité et de passion qu’une rencontre du DFCO de National. On perd 2-0 face à l’une des très grosses écuries de notre championnat alors qu’on a fait jeu égal durant toute la rencontre.

Votre question précédente sur l’impact d’une bonne saison sur l’engouement généré était très intéressante. Dans le sport professionnel, on valorise beaucoup la performance. C’est le modèle sur lequel s’est construit le football masculin. Mais il ne faut peut-être pas répliquer exactement le même modèle pour le football féminin. Le football féminin ne va pas à la même vitesse, il n’y a pas la même intensité durant les matchs mais la comparaison n’a pas lieu d’être. Au football féminin de raconter sa propre histoire. C’est ce qu’on essaie de faire à notre niveau à Dijon.

Un club, dont l’équipe première masculine évolue en National, peut-il financer durablement une équipe féminine évoluant en Arkema Première Ligue ?

C’est une question essentielle. Un club professionnel structuré comme Dijon ne peut pas rester en National. C’est le premier point. Il n’est pas possible d’atteindre le seuil de rentabilité pour un club comme le nôtre dans cette division. Et quand on rajoute dans l’équation une équipe féminine de haut niveau, c’est encore plus complexe.

Aujourd’hui, la plupart des clubs de Ligue 1 cherchent à céder leur équipe féminine ou à trouver un partenaire. Les difficultés économiques actuellement rencontrées en raison de la crise des droits TV rendent les choses difficiles. Les clubs ne peuvent plus subventionner le développement de leur section féminine.

Cela montre d’ailleurs une chose. A quelques exceptions près, la section féminine des clubs professionnels français a été essentiellement développée à des fins de communication. Les clubs faisaient en quelque sorte du socialwashing en mettant en avant leur section féminine de haut niveau auprès de leur écosystème dont les partenaires. Mais, en réalité, ils s’intéressaient peu à ses résultats sportifs ou au modèle économique. Ils percevaient à l’époque d’importants droits TV. Ils étaient alors près à perdre entre 1 et 2 m€ par saison pour faire fonctionner leur équipe féminine et la stabiliser en D1.

Depuis que la crise des droits TV a éclaté, la donne a profondément évolué. Les pertes économiques subies par la section féminine deviennent problématiques. Le développement de l’équipe féminine devient alors beaucoup moins stratégique qu’il n’y paraissait il y a encore quelques saisons.

Quel avenir actionnarial envisagez-vous pour votre section féminine évoluant en Arkema Première Ligue ?

Dès mon arrivée au DFCO, j’ai compris qu’on ne pourrait pas mener toutes les batailles de front. On ne peut pas mettre exactement la même énergie dans le football masculin et féminin. C’est illusoire. Il y a bien sûr aussi les contraintes économiques. Le DFCO est un club qui doit sauver sa peau.

Alors, que fait-on ? On ne va bien évidemment pas tirer un trait sur tout ce qui a été construit jusqu’à présent dans le football féminin. On a une équipe qui a surperformé la saison dernière, on a développé un centre de formation de qualité… En même temps, on a aussi besoin de créer une nouvelle dynamique pour attirer de nouveaux publics, de porter une vraie vision et un projet pour assurer son développement. C’est déjà très difficile de piloter un club de football. Alors piloter un club à deux têtes avec deux projets différents, cela devient mission impossible…

Partant de ces différents constats, j’en suis arrivé à la conclusion, avec une forme de lucidité, que je ne suis pas la bonne personne pour continuer à développer avec ambition le football féminin à Dijon. Depuis le mois de janvier dernier, on s’est alors mis à la recherche d’un partenaire stratégique. Cela veut dire quoi concrètement ? On veut attirer un partenaire qui puisse conduire son propre projet en devenant majoritaire dans la structure. Mais on souhaite rester partenaire de ce projet parce qu’on y croit mais aussi parce qu’on sera amené à partager des sujets en commun dont les infrastructures. Je souhaite également conserver une sorte de droit de contrôle voire de véto pour m’assurer du bon développement de cette équipe à l’avenir.

« Notre futur partenaire veut développer le football féminin à Dijon, en faire une place forte tout en mettant en place un modèle économique profitable à moyen terme »

On cherche ainsi depuis janvier un acteur qui sera en capacité à la fois de financer le développement et d’incarner le projet avec sa propre vision. Les discussions sont à ce jour relativement bien avancées. Notre futur partenaire veut développer le football féminin à Dijon, en faire une place forte tout en mettant en place un modèle économique profitable à moyen terme. C’est très important de construire un modèle économique pérenne, cela ne doit pas être un gros mot. Quand un club ne gagne pas d’argent, il n’est pas libre de ses actions. Il doit sans cesse réclamer des fonds à des investisseurs ou à des banques qui ont alors un droit de regard sur la politique menée. Acquérir cette liberté, cela sera la meilleure preuve du développement du football féminin. Cela voudra dire qu’on aura bâti un club sain et stable pour les années à venir.

En dénichant ce partenaire, tout en restant minoritaire dans le projet, cela nous permettra de continuer à contribuer au développement de la section féminine tout en focalisant nos moyens sur le sauvetage du club masculin. Un sauvetage qui passera par une remontée en Ligue 2. Si on parvient à trouver ce partenaire stratégique pour notre équipe féminine et à monter en L2 avec l’équipe masculine à l’issue de cette saison, le club sera alors sur la bonne voie.

Avec quel type d’investisseur négociez-vous pour votre section féminine ? S’agit-il d’un projet de multipropriété ?

On discute en effet avec un acteur qui porte un projet de multipropriété. Je n’ai jamais caché que je n’étais pas forcément à l’aise avec un tel modèle. Quand les discussions ont démarré, j’ai évidemment beaucoup questionné notre interlocuteur sur ses intentions.

Néanmoins, dans le football féminin, ce modèle a davantage de sens. Pourquoi ? La phase de développement nécessite des investissements relativement conséquents et il faut pouvoir se projeter pour mettre en place un modèle profitable à terme. Ces investissements sont davantage tenables en ayant derrière vous une multiplicité d’infrastructures. Cela donne une forme d’assise et de sécurité. Cela couvre aussi le risque de voir un championnat se développer beaucoup plus rapidement qu’un autre en disposant de plusieurs clubs en Europe ou dans le monde.

On n’a pas le luxe de trouver un investisseur dijonnais dédié au football féminin et disposé à sortir beaucoup d’argent pour développer le projet. C’est en quelque sorte le mouton à 5 pattes. Il a fallu élargir les critères pour attirer les candidats.

En revanche, je m’assure d’attirer un candidat qui vient à Dijon pour les bonnes raisons. En l’état actuel des discussions, notre équipe féminine sera la tête de pont du projet multi-club porté par notre futur partenaire. Être au sommet d’un modèle de multipropriété, c’est clairement la place la plus confortable. Par ailleurs, selon le scénario qui est en train d’être structuré, je m’assure d’avoir mon mot à dire dans les grandes orientations qui seront prises grâce à ma position d’actionnaire minoritaire. Cela permettra de défendre les intérêts de Dijon.

Dans la vie, il n’y a jamais de modèle idéal. Il y a toujours des avantages et des inconvénients derrière chaque choix. Il faut savoir faire des compromis. Néanmoins, je suis convaincu que l’arrivée de ce partenaire stratégique sera le meilleur scénario pour le développement de notre équipe en Arkema Première Ligue. Ce projet aura du sens pour nos joueuses, l’ensemble de l’encadrement et tout notre écosystème. Il y a de belles perspectives pour la suite.

Comment jugez-vous le travail mené par la nouvelle Ligue Féminine de Football Professionnel (LFFP) ?

La LFFP porte un projet ambitieux avec une structuration. L’intention est bonne avec la mise en œuvre de moyens. Cela va dans le bon sens.

Tout le monde voudrait que le développement aille plus vite. Y compris les dirigeants de la LFFP. Mais, comme je l’ai indiqué plus tôt, en voulant aller trop vite, on va parfois à contre-courant de nos propres intérêts.

« La LFFP porte un projet ambitieux avec une structuration »

J’ai évoqué précédemment la question des stades. Il y a un autre exemple intéressant, c’est celui des centres de formation. A Dijon, on a un centre de formation masculin et un centre féminin. C’est un très gros investissement pour un club comme le nôtre. Le DFCO a massivement investi dans ses infrastructures. On a un centre magnifique avec des conditions d’accueil parfaites pour nos joueurs et joueuses. On se dit alors qu’il pourrait y avoir en parallèle une forme de souplesse dans les règlements, en matière notamment d’encadrement. Cela ne veut pas dire mettre moins d’encadrants sur les terrain. Mais on pourrait, par exemple, mutualiser le poste de Directeur de centre de formation pour nos sections masculines et féminines. Il faudrait plus de souplesse dans les critères exigés. J’attire régulièrement l’attention de nos organes de gouvernance à ces sujets.

Globalement, la direction prise par la LFFP est bonne. Il faut juste faire attention à ne pas trop vouloir copier le modèle masculin en allant trop vite. Jouer dans les mêmes stades que les équipes masculines, c’est un message fort qui est renvoyé. Mais ce n’est peut-être pas la meilleure option d’un point de vue marketing. Le football féminin doit trouver son propre modèle.

PH. Deballon (DFCO) : « A l’avenir, le football féminin va devoir générer ses propres revenus »
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