Nouveaux stades - Afrique du Sud
Entreprises

L’Afrique, nouveau carrefour du sport mondial : une opportunité pour les entreprises françaises dans un contexte post JO 2024 ?

Photo Backpagepix - Icon Sport

En 2026, l’Afrique accueillera pour la première fois un événement olympique avec les Jeux Olympiques de la Jeunesse de Dakar, marquant une étape clé pour un continent où le sport est profondément ancré dans l’identité culturelle, mais dont l’impact économique reste limité. Depuis quelques années, l’organisation de compétitions majeures s’intensifie, traduisant un essor du marché du sport africain et attirant investisseurs et puissances économiques. Avec une jeunesse nombreuse, une urbanisation rapide et un marché en structuration, le sport devient un véritable levier de développement et un terrain d’influence stratégique. Face à cette dynamique, la France, forte de son expertise événementielle et de ses liens historiques avec l’Afrique, a une carte à jouer. Mais pour capter ces opportunités, ses entreprises devront adopter une approche de long terme, misant sur la formation, le transfert de compétences et des partenariats durables afin d’accompagner la structuration de ce secteur en pleine mutation. Par Antoine Duval, Consultant en stratégie auprès des organisations sportives au sein de Six Sports Management et Kévin Veyssière, Fondateur de FC Geopolitics.

Un continent à l’aube d’une nouvelle ère sportive

Depuis quelques années, l’Afrique voit se multiplier les grands événements sportifs, illustrant sa volonté de s’intégrer davantage dans l’économie mondiale du sport. Les Jeux Olympiques de la Jeunesse de Dakar 2026 symbolisent cette montée en puissance, tout comme les Championnats du Monde de Cyclisme 2025 au Rwanda, une nouvelle Coupe du monde coorganisée sur le continent africain avec le Maroc en 2030 ou encore la Basketball Africa League, fruit d’un partenariat entre la NBA et la FIBA.

Si l’Afrique du Sud a longtemps fait figure d’exception grâce à ses infrastructures modernes et son expérience acquise avec la Coupe du Monde de football 2010, d’autres nations s’inscrivent désormais dans cette dynamique. L’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2024 en Côte d’Ivoire a démontré une amélioration notable des capacités organisationnelles, illustrant les progrès en matière d’infrastructures et de professionnalisation.

Cependant, cette expansion met aussi en lumière des faiblesses structurelles. Le manque d’expertise locale dans l’organisation et la gestion des événements oblige encore de nombreux pays à s’appuyer sur des entreprises étrangères. L’enjeu est désormais de capitaliser sur ces opportunités pour bâtir un écosystème sportif plus autonome et durable, où les investissements bénéficient directement aux acteurs locaux.

Un marché en pleine expansion : l’Afrique, nouveau pôle d’investissements sportifs

Le potentiel économique du sport africain repose sur un atout démographique majeur. Avec 1,4 milliard d’habitants, dont 60 % ont moins de 25 ans, le continent représente un marché en pleine expansion, où le sport est ancré dans les pratiques quotidiennes. Aujourd’hui, 70 % des jeunes Africains pratiquent régulièrement une activité sportive, mais l’absence d’infrastructures et de formations professionnelles empêche une structuration économique viable. À l’inverse de l’Europe et des États-Unis, qui investissent massivement dans la professionnalisation du secteur, seules quelques nations africaines – Afrique du Sud, Égypte, Maroc – disposent d’académies de haut niveau et de ligues bien organisées.

Kévin Veyssière, spécialiste des questions géopolitiques sportives et fondateur du média FC Geopolitics identifie une problématique bien particulière : « Si le sport occupe une place essentielle dans la culture et le quotidien de nombreux pays africains, sa structuration en tant que véritable secteur économique reste en cours. Ces dernières années, plusieurs États ont multiplié les initiatives pour professionnaliser le secteur et attirer des investissements. Cependant, des défis subsistent, notamment en matière d’infrastructures et de formation des acteurs du sport. Cette situation pousse encore de nombreux pays à s’appuyer sur des financements extérieurs pour accélérer leur développement. »

Entre 2016 et 2022, la FIFA a alloué 717 millions de dollars à 385 projets en Afrique via son programme FIFA Forward, visant principalement le développement des infrastructures, le renforcement des capacités et l’organisation de compétitions. De son côté, l’Agence Française de Développement (AFD) a investi près de 200 millions d’euros entre 2019 et 2023, finançant 160 initiatives dans plus de 40 pays, touchant près de 2 millions de personnes, dont 90 % de jeunes et 58 % de femmes. Ces apports sont essentiels pour stimuler la professionnalisation du secteur, mais ils posent une question centrale : permettent-ils réellement à l’Afrique de bâtir une industrie sportive autonome ou maintiennent-ils une dépendance vis-à-vis des capitaux étrangers ?

Le sport africain, un terrain d’influence stratégique pour les grandes puissances

Face à ce potentiel, le sport en Afrique est devenu un enjeu géopolitique, où les grandes puissances rivalisent d’investissements pour asseoir leur influence. Chine, États-Unis, Europe et Moyen-Orient voient dans le sport un outil diplomatique et économique pour renforcer leur présence sur le continent. La Chine s’est imposée comme l’un des principaux acteurs avec sa « diplomatie des stades ». En finançant la construction de plus de 50 infrastructures sportives en Afrique, Pékin matérialise son engagement tout en sécurisant des contrats d’infrastructure colossaux pour ses entreprises nationales. Cette approche contraste avec celle des puissances occidentales, qui misent davantage sur la formation, le sponsoring et l’appui institutionnel.

La France, par exemple, investit dans des initiatives sportives à travers des organismes comme l’AFD et multiplie les coopérations pour renforcer son ancrage. L’attribution de la Coupe du Monde de Rugby 2023 en est une illustration : le soutien des fédérations africaines à la candidature française a été obtenu en échange d’accords de coopération et d’investissements ciblés.

Notre expert Kévin Veyssière constate cependant une rupture dans le modèle établi jusqu’à présent : « Un changement de paradigme est en cours. De nouveaux acteurs africains émergent, rebattant les cartes du jeu d’influence. L’ascension de New World TV, diffuseur togolais ayant pris les droits de retransmission de la CAN à Canal+ et BeIN Sports, témoigne d’une montée en puissance de l’industrie audiovisuelle africaine, capable de rivaliser avec les groupes étrangers. Cette dynamique pourrait progressivement réduire la dépendance du sport africain aux capitaux et aux technologies étrangères. »

Les entreprises françaises face à un tournant : investir dans un marché en structuration

Le potentiel économique du sport africain n’a pas échappé aux entreprises françaises. Jusqu’à récemment, l’Afrique était avant tout perçue comme un marché d’exportation, où les entreprises venaient capter de la valeur sans véritablement s’inscrire dans une logique de co-développement. Aujourd’hui, cette approche ne peut plus fonctionner.

Les dynamiques géopolitiques ont profondément évolué, avec le retrait des troupes françaises de plusieurs pays d’Afrique et une montée des discours antifrancophones dans certains États. Dans ce contexte, la France doit redéfinir ses relations économiques et stratégiques, en s’éloignant d’une posture d’influence descendante pour s’inscrire dans des partenariats durables et respectueux des ambitions locales.

Pour cela, selon Kévin Veyssière les entreprises françaises doivent adopter une approche de long terme, reposant sur deux axes stratégiques :

1 – Investir dans la structuration du sport à la base, en finançant des infrastructures adaptées et en développant des formations professionnelles pour les entraîneurs, préparateurs physiques et gestionnaires de clubs.

2 – Accompagner les grands événements sportifs africains, en transférant l’expertise acquise avec Paris 2024, un atout considérable pour les entreprises françaises spécialisées dans l’organisation d’événements, la construction de stades, les nouvelles technologies et le marketing sportif.

Des groupes comme Décathlon ont déjà amorcé cette transition en renforçant leur implantation en Afrique, anticipant la montée en puissance de la consommation sportive portée par l’essor des classes moyennes. D’autres entreprises françaises, leaders dans la gestion des événements, doivent s’inscrire dans cette même logique en nouant des partenariats équilibrés avec des acteurs africains, afin de contribuer à la professionnalisation du secteur plutôt que de simplement capter des opportunités commerciales à court terme.

L’exemple de la Basketball Africa League, soutenue par la NBA, illustre bien cette dynamique : en structurant un écosystème sportif africain, la NBA se positionne comme un acteur clé du développement tout en créant de la valeur sur le long terme. Ce modèle, alliant investissement stratégique et accompagnement économique, est sans doute celui que les entreprises françaises doivent adopter pour s’imposer durablement sur le marché du sport en Afrique. Comme le soulignait Masai Ujiri, président nigérian des Toronto Raptors : « Plus d’investissements, moins d’aumône, voilà ce que souhaite l’Afrique. »

Un message qui doit guider la stratégie des entreprises françaises : créer de la valeur partagée, miser sur la montée en compétence des acteurs locaux et s’inscrire dans des partenariats équilibrés. L’héritage de Paris 2024, en tant que vitrine du savoir-faire français en matière d’organisation sportive, peut être un levier clé pour reconstruire une relation de confiance avec l’Afrique francophone et positionner la France comme un partenaire stratégique du développement sportif africain.

Par Antoine Duval, Consultant en stratégie auprès des organisations sportives chez Six Sports Management. Avec la participation de Kévin Veyssière, Spécialiste des questions géopolitiques sportives et Fondateur de FC Geopolitics.

L’Afrique, nouveau carrefour du sport mondial : une opportunité pour les entreprises françaises dans un contexte post JO 2024 ?
To Top