Qatar investissements sport
Géopolitique

« Aucun indice qui laisse présager un retrait du Qatar après la Coupe du Monde »

Photo Icon Sport

Pourquoi le Qatar a-t-il autant misé sur le sport dans sa stratégie d’investissement au cours des vingt dernières années ? Lors d’un entretien accordé à Ecofoot, Dr Amr Alem, Chercheur en Management du Sport à l’ESSEC Business School et Auteur de la thèse Globalisation de l’écosystème sportif : les parties prenantes entre héritages politiques, régulations juridiques et enjeux économiques, revient en détail sur les objectifs poursuivis par le Qatar à travers ses investissements dans l’industrie sportive mondiale.

Pourquoi et comment le Qatar a-t-il identifié le sport comme principal levier de soft power ? Le Qatar a-t-il été le premier pays à utiliser le sport de la sorte ?

Commençons d’abord par le pourquoi. Dans la littérature scientifique des relations internationales, le Qatar est ce qu’on appelle un « micro-État ». Ceci l’oblige à déployer toute une batterie de stratégie pour survivre, qu’on peut résumer en trois points.

Premièrement, les micro-États doivent être en mesure d’établir un modus vivendi avec leurs voisins, de taille souvent plus imposante – l’Arabie Saoudite et l’Iran dans le cas du Qatar – et de veiller à garder avec eux des relations sereines en dépit de possibles provocations. Deuxièmement, ils font appel à un pays puissant qui doit faire office de protecteur militaire, comme c’est le cas du Qatar avec les États-Unis qui y disposent de l’une de leurs bases étrangères les plus importantes. Troisièmement, ils doivent exploiter une niche bien propre à eux, qui ne souffre d’aucune concurrence directe, pour en faire profiter d’abord leurs pays voisins, puis leur région tout entière, voire une partie plus large du globe. C’est ce que fait le Luxembourg avec ses services aériens et ses facilités financières pour les membres de l’Union Européenne, Monaco avec les casinos, l’hôtellerie de luxe et les activités bancaires offshore, le Koweït avec l’import/export de l’or, le Bahreïn avec ses services financiers et industriels ainsi que des sièges commerciaux régionaux… Ainsi, le choix du Qatar s’est arrêté sur le sport. Ces points servent essentiellement à créer une légitimité pour les micro-États puis à démontrer leur valeur et utilité dans un monde globalisé.

Cela étant dit, le Qatar n’est pas le premier pays à vouloir mettre à son profit la force de frappe médiatique et communicationnelle du sport. En effet, sport et politique forment un couple dont l’ADN s’est construit autour de deux principales hélices : l’utilisation du sport à des fins de cohésion nationale, qui répond à la théorie de nation-building, et celle à des desseins de rayonnement international, qui renvoie au concept de nation-branding. Plusieurs exemples peuvent être mobilisés pour illustrer ces deux points. Au XIXème siècle, la puissance de la Grande-Bretagne s’appuyait notamment sur le sport pour étendre sa domination économique et culturelle. Dans les Antilles Britanniques, le militant politique C.L.R James (1963) s’est très tôt saisi des capacités de mobilisation du sport pour porter ses revendications indépendantistes.

« La stratégie sportive du Qatar relève de la Qatar National Vision 2030 visant principalement à sortir de la dépendance aux hydrocarbures »

En Amérique latine, grâce au sport en général et au football en particulier, des cultures nationales présentes dans cette région ont pu émerger comme l’Uruguay dont l’écrivain national, Eduardo Galeano disait d’ailleurs : « Ce maillot bleu-ciel était la preuve de l’existence d’une nation. […] Le football a propulsé ce petit état en dehors des méandres d’un anonymat universel. »

Cet usage politique du sport était également de mise en Afrique et plus précisément en Algérie où il a connu l’une de ses plus grandes illustrations, avec l’équipe national de football. Apportant prestige sportif, culturel, psychologique et aide financière, cette équipe a été d’un important appui pour la résistance aussi bien dans son travail de mobilisation interne que dans sa recherche de reconnaissance internationale. Elle sert encore aujourd’hui de mythe fondateur de la nation algérienne.

Du côté des États-Unis, l’intérêt politique du sport a commencé à l’aube du XXème siècle. Ce désir d’influence était déjà présent au moment de la participation de la délégation américaine aux Jeux Olympiques de 1924 à Paris, où elle a été envoyée pour « vendre les Etats-Unis au reste du monde », selon les dires du Colonel Robert Thompson, avant de prendre une véritable tournure institutionnelle au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale, autour du concept de diplomatie sportive. Les premiers à avoir rempli ce rôle dans le sport étaient les joueurs de ping-pong américains et chinois, dans un match disputé le 14 avril 1971, en plein froid diplomatique entre les deux pays. Le sport a donc été utilisé comme un outil diplomatique pour rapprocher les deux pays. Cette diplomatie parallèle n’engageait pas directement les capitales en cas d’échec. Elle a permis à la fois d’envoyer des signaux aux opinions publiques nationales et mondiales et de tester un rapprochement pour lui permettre de prendre une plus grande ampleur. Ce chapitre reste mythique dans l’histoire de l’influence internationale par le sport. Plus généralement, ce modèle est imité et développé par d’autres pays comme la Chine, la Russie, l’Azerbaïdjan, le Brésil et surtout le Qatar qui reste le plus notable.

Le Qatar a-t-il atteint ses objectifs géopolitiques / géostratégiques à travers ses investissements dans le sport ? A-t-on une estimation des sommes globales dépensées par le pays dans ce secteur depuis le démarrage de sa stratégie ?

« Aucun indice qui laisse présager un retrait du Qatar après la Coupe du Monde »
To Top
Send this to a friend