Environnement / Social

A. Thiodet : « Les clubs pourraient jouer un rôle de laboratoire de transition s’ils en revenaient à leur ADN »

Photo Dall.E

Une meilleure prise en compte des principaux sujets sociaux et environnementaux dans leur modèle de développement est devenue indispensable pour les acteurs du sport professionnel afin de répondre aux nouvelles demandes de la société mais aussi pour se prémunir de certaines dérives. Néanmoins, l’intégration pleine et entière des enjeux de la RSE, pourtant loin d’être nouveaux pour le monde du sport, soulève des difficultés et engendre parfois des décisions contradictoires au sein des ligues et des clubs. Fort de son expérience de plus de 30 ans dans le sport professionnel, Antony Thiodet, Président-Fondateur de l’Adéenne du Sport, organisme d’accompagnement des clubs sportifs sur la voie d’un développement durable, livre ses réflexions sur la manière dont les organisations sportives doivent faire (re)pivoter leur modèle pour concilier grandes questions de société et développement économique. Entretien.

Le sport professionnel français avance-t-il assez vite dans la transformation de son modèle pour intégrer les grands enjeux de société à son fonctionnement ?

Les grands enjeux sont tellement sensibles qu’on n’avance jamais assez vite. Et ce constat n’est pas uniquement valable dans le sport. Les conséquences de nos errements passés seront fortes. Malheureusement, encore aujourd’hui, trop d’entreprises considèrent la RSE comme une variable d’ajustement. On mène des actions RSE à côté de ses activités traditionnelles. Mais ce mode de fonctionnement ne produit pas d’effet.

Chez certains acteurs économiques, la RSE provoque même un mouvement de panique. Ils craignent la décroissance et ses potentielles implications. Dans le sport, cette crainte n’est pas justifiée. Au contraire, en plaçant les enjeux RSE au cœur de leur modèle, les clubs s’ouvrent de réelles et importantes opportunités de croissance ! C’est en tout cas ma conviction profonde. Ces opportunités de croissance sont bien plus pérennes que celle basée sur la hausse perpétuelle des droits TV et de la vente de joueurs. Le monde du sport doit s’engager davantage sur les sujets RSE car il a tout à y gagner.

« En plaçant les enjeux RSE au cœur de leur modèle, les clubs s’ouvrent de réelles et importantes opportunités de croissance ! »

D’ailleurs, la question de la RSE ne devrait même pas se poser au sein des clubs. Dernièrement, le Directeur Général du RC Vannes, Martin Michel, me lançait au détour d’une conversation : « Antony, ne m’emmerdez pas avec ça, de la RSE, j’en fais tous les jours ! ». Et il a totalement raison ! Par nature, les clubs font de la RSE. Mais bon nombre d’entre eux l’ont oublié. Et, quand ils abordent de tels sujets, ils envisagent uniquement de limiter leurs externalités négatives au lieu d’optimiser leurs externalités positives. Pourtant, un club est originellement un vecteur d’intégration, d’inclusion sociale, d’éducation… Tous ces sujets sont au cœur des grandes questions de société. Des sujets qui vont être ébranlés par les bouleversements écosystémiques à venir. Les clubs pourraient alors jouer un rôle de laboratoire de transition vers une nouvelle société s’ils en revenaient à leur ADN.

Malheureusement, trop de clubs ont oublié la nature de leurs activités. Ils ont fini par se transformer en simples supports publicitaires. Ils ont en partie perdu de vue leur rôle sociétal et d’animation des communautés au sein de leur territoire.

Ces dernières années, de nombreux clubs professionnels ont mis en place des entités juridiques dédiées à leurs actions sociales et environnementales (associations, fondations, fonds de dotation…) tout en allouant des ressources à leur politique RSE. N’observe-t-on pas une montée en puissance du sport professionnel français dans la volonté de structurer ses démarches RSE pour avoir plus d’impact ?

Oui, c’est vrai. C’est factuel. Il faut louer les efforts de structuration des clubs. Mais, dans la plupart des cas, cela ne va pas assez loin. En créant un fonds de dotation ou une fondation, on procède très souvent à un simple transfert de responsabilité. On lance une structure pour gérer les démarches RSE puis on continue le business as usual ! Et je ne parle même pas des clubs qui considèrent leur fondation ou fonds de dotation comme un simple outil de défiscalisation…

Aujourd’hui, quand on échange avec les acteurs du sport professionnel, ils ont l’impression d’en faire plus que d’autres pour le bien de la société. Pourtant, la RSE est toujours traitée comme une variable d’ajustement. Très peu de réflexions stratégiques sont menées à ces sujets. D’ailleurs, on observe beaucoup de copier-coller. Dès qu’un club mène une action, ses concurrents cherchent à la reproduire par mimétisme, sans forcément s’interroger sur les besoins de leur territoire. Il y a un déficit de réflexion stratégique.

Au sein des différentes organisations sportives, on note régulièrement des incohérences entre la volonté de mieux prendre en compte les enjeux RSE et des décisions exclusivement guidées par des impératifs économiques. Comment échapper à cette schizophrénie ? Est-ce possible d’intégrer les grands enjeux de société au cœur de son fonctionnement tout en développant ses ressources ?

A. Thiodet : « Les clubs pourraient jouer un rôle de laboratoire de transition s’ils en revenaient à leur ADN »
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