Investir conséquemment dans le sport pour bâtir une stratégie globale d’influence. C’est le défi qu’est parvenu à relever le Qatar au cours des 20 dernières années. Avec, en point d’orgue, l’organisation de l’édition 2022 de la Coupe du Monde FIFA. Mais l’émirat va-t-il maintenir cette politique sportive au-delà du Mondial ? Ou cherchera-t-il progressivement à se désengager du sport pour miser sur d’autres secteurs ? Jean-Baptiste Guégan, Expert en géopolitique du sport et auteur de l’ouvrage de référence Géopolitique du sport : une autre explication du monde, nous livre ses éclairages. Entretien.
A quels objectifs répondent les importants investissements dans le sport réalisés par le Qatar ces dernières années ?
Les investissements du Qatar répondent principalement à trois objectifs. Le premier d’entre eux est celui de la diversification économique pour réduire sa dépendance aux hydrocarbures. Le Qatar a ciblé des marchés de niche pour se positionner en tant que référent, y développer des actifs tout en s’offrant, à terme, de nouvelles perspectives dans d’autres secteurs. Par exemple, quand le Qatar investit à la fois dans le sport, la culture et l’éducation, l’objectif est de développer une large offre touristique permettant de diversifier l’activité économique du pays.
Le deuxième objectif correspond à une stratégie dite de visibilisation. Il faut montrer le Qatar au monde, faire parler du pays. Avec pour ambition de valoriser les atouts et les attributs du territoire. Le Qatar a cherché à construire un storytelling ambitieux – en mettant par exemple en avant sa modernité – pour convaincre les investisseurs, les touristes et autres influenceurs de venir au pays.
Le Qatar n’a-t-il pas cherché également à gagner en légitimité et en souveraineté en misant autant sur le sport dans ses investissements ?
C’est justement le troisième objectif, celui de répondre à une logique de survie. Initialement, le Qatar n’est qu’un appendice de la péninsule arabique. Mais ce territoire est rapidement devenu un enjeu. L’existence du Qatar a souvent été contestée par ses voisins dont notamment l’Arabie saoudite, le Bahreïn ou encore les Emirats arabes unis. Le Qatar s’est alors retrouvé face à cette nécessité de gagner en visibilité pour assurer son existence.
Cette obligation a été renforcée par la 1e Guerre du Golfe (1990-91) avec l’invasion du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein. Tous les petits états de la région ont été traumatisés par ce conflit : ils comprennent qu’ils peuvent se faire envahir du jour au lendemain par un voisin plus puissant. C’est à ce niveau que l’objectif de la visibilisation rencontre celui de la survie. Le Qatar a commencé à nouer d’importantes relations diplomatiques et économiques avec des puissances qui comptent, s’assurant du soutien de nations qui siègent au Conseil de sécurité de l’ONU. Au-delà du sport, le Qatar a beaucoup investi ces vingt dernières années dans de grandes entreprises américaines, britanniques ou encore françaises du CAC 40. Des pays qui ont ensuite assuré leur soutien au Qatar en vendant à l’émirat des armes (ndlr : le Qatar a acheté 36 avions de chasse à la France en 2015 dont 24 Rafales) ou y installant une présence militaire permanente (ndlr : les Etats-Unis disposent d’une base militaire au Qatar depuis 2003).
Pourquoi le Qatar a-t-il autant misé sur le sport pour répondre à de tels objectifs ?