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Quelque chose ne tourne pas rond dans le monde du ballon rond

tribune pierre rondeau richard bouigue

Pierre Rondeau, Economiste du sport, et Richard Bouigue, Premier Adjoint PS à la mairie du XIIème arrondissement de Paris, publient en ce jour une tribune sur Ecofoot.fr pour dénoncer les inégalités qui ne cessent de se creuser au sein du football professionnel tout en proposant des solutions innovantes permettant d’inverser cette tendance.

Le mercato estival vient de se terminer et risque de faire parler de lui pendant très longtemps. Des sommes folles ont été dépensées depuis son ouverture, en juin dernier, et les records s’enchainent aussi vite qu’un Usain Bolt lancé sur la piste.

Plus de 4,5 milliards d’euros ont d’ores et déjà été payés par l’ensemble des clubs du Big-five, les 5 grands championnats européens, l’Angleterre, l’Espagne, l’Allemagne, l’Italie et la France. Dans l’hexagone, le Paris Saint-Germain a laminé ses adversaires en déboursant la modique somme de 402 millions d’euros pour s’accaparer les deux seuls joueurs Neymar Jr. et Kylian Mbappé.

Ce dernier est devenu le joueur français le plus cher de l’histoire, 180 millions d’euros battant, moins de 48 heures après, son compatriote Ousmane Dembélé, parti au FC Barcelone pour 145 millions d’euros.

La dynamique est continue depuis 2011, date d’introduction du fair-play financier. La règle d’or budgétaire, imposée à l’UEFA afin de lutter contre l’augmentation de la dette sportive, avait, à l’époque, été vue comme un moyen de réguler le marché des transferts et de favoriser l’intensité compétitive. En obligeant les clubs à ne pas dépenser plus qu’ils ne gagnent, c’est tout bonnement l’effet inverse qui a eu lieu.

Les équipes se sont professionnalisées. Face à la pression comptable, elles ont rationnalisé leur organisation et ont multiplié les accords commerciaux afin de dégager plus de recettes. Et qui dit plus d’argent dit plus de dépenses. En moins de 6 ans, le taux de croissance annuel moyen du budget des clubs européens a été de 10%, soit plus que la moyenne d’avant le fair-play financier.

Les pères de la morale sont alors montés au créneau et ont dénoncé les montants déployés et l’iniquité du football international. Jean-Michel Aulas, le président de l’Olympique Lyonnais, club phare dans les années 2000, a notamment accusé « l’action des nouveaux investisseurs dans le foot » qui déstabiliserait l’équilibre de son sport et perturberait un marché encore fragile. A cela des spécialistes lui ont répondu que les investissements étaient censés, justifiés et légitimes. Aucun déficit n’a été créé depuis 2011 et la dette du foot n’a cessé de baisser depuis le début des années 2010.

Il est vrai que l’économie n’est pas une science morale, elle se préoccupe de ce qui est alors que la morale se préoccupe de ce qui devrait être. Nous pouvons néanmoins constater que quelque chose ne tourne pas rond au pays du « ballon rond ». Un récent rapport de la FIFpro, le syndicat international des footballeurs professionnels, indique « qu’une part importante de joueurs n’ont pas profité de la croissance exponentielle du football et restent victimes d’une précarité grandissante ».

L’organisme estime que 40% des joueurs membres gagneraient moins de 1 000€ par mois, contre 2,5 millions pour le Brésilien Neymar Jr. Pis encore, 45% seraient victimes de retard de paiement et ne percevraient aucune rémunération pendant de longs mois, en dépit des contrats signés et des salaires négociés. En France, le constat est sans appel. L’UNFP, le syndicat national, estime que 25% des joueurs s’accaparent à eux-seuls près de 80% de l’ensemble des salaires bruts distribués. Le taux de chômage, dans le secteur, serait de 15% et 25% des footballeurs commenceraient la saison sans aucun contrat.

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La croissance économique du football explose et crée encore plus d’inégalités. Notre statut d’experts devrait nous conduire à valider ces lourds investissements dans une économie qui fonctionne, mais notre situation de citoyens préoccupés par la justice sociale nous invite à réfléchir à des solutions pérennes et viables pour lutter contre ces externalités négatives.

Nous pensons qu’il est grand temps de réfléchir à une réforme complète et totale du marché des transferts, d’utiliser les outils de l’économie du sport et de résoudre les problèmes inhérents à un modèle libéralisé. Le fair-play financier doit aller plus loin qu’une simple règle d’or comptable, la réflexion doit porter sur un ensemble de mesures jugées fonctionnelles et non-contraignantes. Pourquoi ne pas appliquer une taxation sur les transactions du foot, comme la taxe Tobin dans la finance ? Pourquoi ne pas imposer un salary-cap et une luxury-tax en Europe afin, à la fois, de corriger les défaillances et de renforcer l’équilibre compétitif du sport ?

Nous demandons l’ouverture d’un débat national et international. Il faut tout faire pour que le football, le sport le plus populaire du monde, ne soit pas accaparé par l’idéologie de l’argent-roi et de l’ultra-libéralisme mortifère.

Par Pierre Rondeau  et Richard Bouigue

Source photo à la Une : Wikipedia.org – CC BY-SA 4.0

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