OTT ligues médias
Interview

« Une ligue doit se comporter comme un média et fonctionner comme une entreprise »

Photo Icon Sport

De nombreuses organisations sportives, en France et à l’international, ont lancé ces dernières années leur propre plateforme digitale de contenus. Certaines d’entre elles vont jusqu’à diffuser des rencontres officielles en direct au sein de leur application à l’image de la stratégie menée par la Ligue Nationale de Basket via LNB TV. Quels enjeux se cachent derrière le lancement de telles plateformes ? Ce mouvement est-il le point de départ d’une transformation complète du modèle économique du sport professionnel ? Arnaud Simon, ex-Senior Vice President Sport Europe du groupe Discovery et Fondateur d’IN & Out Stories, fait le point pour Ecofoot. Entretien.

En France, plusieurs ligues professionnelles ont misé sur leur propre plateforme OTT pour diffuser leurs rencontres à l’image de la LNB ou encore de la LNV. Quels sont les objectifs poursuivis à travers le lancement de ces plateformes ? Est-ce un choix délibéré ou subi ?

Concernant les exemples cités, il s’agit de choix subis. Ces détenteurs de droits se sont retrouvés soudainement sans diffuseur TV traditionnel. Du jour au lendemain, ces ligues n’ont plus perçu de recettes audiovisuelles mais elles se sont aussi retrouvées sans production financée. Ce dernier élément est relativement peu évoqué mais cela représente aussi d’importants enjeux financiers de l’ordre de plusieurs millions d’euros par saison pour produire des dizaines de matches avec un certain cahier des charges à respecter.

Quand une ligue ne dispose plus de diffuseur, elle cherche à trouver des solutions de repli. Elle se doit de continuer à donner de la visibilité à ses matches pour exister. Les ligues se lancent alors dans le développement de leur propre plateforme OTT. Mais ces plateformes sont plutôt pensées comme des outils défensifs temporaires en attendant des jours meilleurs sur le marché des droits TV pour retrouver un diffuseur. Or, pour qu’une telle stratégie puisse fonctionner, une plateforme digitale doit être conçue comme un outil stratégique pérenne. Chaque détenteur de droits doit désormais se considérer comme un média pour optimiser sa stratégie de développement.

En développant sa propre plateforme, un ayant-droit ne risque-t-il pas de contrarier les diffuseurs traditionnels, gros financeurs des principales ligues professionnelles ?

Il ne faut pas considérer ces deux axes de développement comme antinomiques. Bien au contraire. Désormais, un détenteur de droits se doit de développer son écosystème digital. Cela passe par sa plateforme OTT mais aussi ses canaux numériques au sens large. Et il est alors possible de développer une offre de contenus complémentaires aux droits commercialisés aux diffuseurs classiques.

« Une plateforme digitale doit être conçue comme un outil stratégique pérenne »

D’ailleurs, dans certains deals sur lesquels je travaille, les diffuseurs imaginent la possibilité d’intégrer l’application de l’ayant droit à leur propre offre digitale. Dans ce cas, certaines rencontres sont alors diffusées classiquement en linéaire et en exclusivité par le diffuseur traditionnel. Et les autres matches sont alors retransmis au sein de l’application du détenteur de droits qui peut être intégrée dans l’extension digitale du diffuseur du type MyCanal par exemple. Ce sont des deals très flexibles au sein desquels on peut imaginer un nouveau modèle de partage de revenus, la négociation d’un minimum garanti avec déblocage de bonus en fonction de l’atteinte de certains objectifs, un partage des bases de données… Tout est à construire !

En développant une plateforme pertinente, une ligue renchérit la valeur de ses compétitions aux yeux des diffuseurs. Elle n’est alors plus en situation de quémander un accord de diffusion avec les chaînes de TV. Elle est en position de démarcher un véritable « partenaire » de diffusion avec un modèle naissant qui, à terme, va renforcer son indépendance.

Une plateforme OTT constitue-t-elle un bon levier pour développer ses activités à l’international ?

Tout à fait. Un ayant droit peut parfaitement adapter son écosystème digital à ses deals de diffusion. Une ligue peut ainsi utiliser sa propre plateforme pour aller adresser des marchés faibles. De nos jours, le marché mondial des droits TV est très compliqué. Quand un championnat n’est pas considéré comme premium sur un marché donné, c’est alors très difficile d’y négocier un accord suffisamment rémunérateur avec un diffuseur. Le développement d’une plateforme digitale permet d’être très agile et tactique dans sa stratégie de développement média. Soit en y diffusant tous les matches sur les marchés où aucun deal n’a été négocié. Soit en proposant le reste des matches si des accords ont déjà été conclus avec certains opérateurs.

Mais le développement d’une telle plateforme peut également être utile pour développer ses activités et sa visibilité sur son marché domestique. Une ligue doit se servir de ce canal pour y diffuser des contenus d’archives, des résumés, des reportages en inside… C’est important de maintenir une telle plateforme « en vie » même quand de gros accords sont signés avec des diffuseurs. Car c’est désormais possible de se retrouver du jour au lendemain sur le carreau. On a connu plusieurs exemples de ce type dans le sport professionnel français récemment. Miser exclusivement sur son écosystème digital ne permet pas de compenser à court terme le manque à gagner lié à l’absence d’accords avec des diffuseurs. Mais cela permet de maintenir une dynamique de création de valeur. Plus un ayant droit développe sa plateforme digitale, plus il sera en capacité d’adresser directement un certain nombre de sujets économiques.

Ces dernières années, les diffuseurs traditionnels semblent avoir mis fin à leur politique de volume. Ils concentrent leurs investissements sur des droits dits « premiums ». Cette évolution n’a-t-elle pas favorisé l’émergence des plateformes OTT des ayants droit ?

Je suis entièrement d’accord avec la tendance que vous décrivez. A une époque, quand j’étais encore chez Eurosport, nous nous inscrivions dans une logique d’addition des communautés et nous n’hésitions pas à acheter des droits qu’on surnommait « wallpaper ». Cela permettait en quelque sorte de tapisser la grille. Mais cette époque est clairement terminée ! Pour des raisons de justesse économique, avec un modèle du câblo-opérateur qui a décliné, les diffuseurs doivent se montrer plus sélectifs dans leurs investissements. Ils ciblent des droits qui sont indispensables à leurs yeux. Ainsi, les droits complémentaires ou en profondeur ont basculé sur les plateformes des ayants droit. Une plateforme comme FIFA+ diffuse aujourd’hui les compétitions internationales de jeunes par exemple.

« Une ligue ne peut plus se permettre de déléguer à un tiers la relation avec ses fans »

Néanmoins, j’y vois dans ce mouvement une vertu. En nouant un accord avec un détenteur de droits, un diffuseur va chercher à tirer ce qu’il y a de meilleur chez son partenaire pour rentabiliser au plus vite ses investissements. Mais son objectif prioritaire n’est pas de développer la marque des compétitions diffusées. C’est au détenteur de droits de remplir cette mission. Une ligue ne peut plus se permettre de déléguer à un tiers – en l’occurrence ses diffuseurs – la relation avec ses fans. La construction de cette relation est vitale pour l’avenir. Pour atteindre un tel objectif, un ayant droit doit développer une stratégie digitale performante et en avance de phase. Désormais, développer une stratégie digitale n’est pas une option pour une ligue, c’est une obligation !

Par ailleurs, à travers sa plateforme digitale, un ayant droit peut offrir plus que des contenus en y ajoutant des services additionnels. Cette plateforme peut servir de canal pour développer du ticketing, du merchandising, des fonctionnalités de sport augmenté, des dispositifs de gamification…

Quel ayant droit (en France ou à l’international) est parvenu à développer une stratégie OTT intelligente lui permettant d’optimiser ses différentes sources de revenus ? Sur quels facteurs clés de succès repose sa stratégie ?

« Une ligue doit se comporter comme un média et fonctionner comme une entreprise »
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