Malgré certaines restrictions liées à cette pratique, le multi-club ownership (ndlr : MCO) a connu une croissance fulgurante au sein du football européen au cours des dernières années. Une tendance particulièrement marquée en France où désormais la moitié des formations de Ligue 1 sont intégrées à une galaxie de clubs. Comment la multipropriété transforme-t-elle le fonctionnement économique de la discipline ? Faut-il encore davantage encadrer ce modèle actionnarial ? David Gluzman, spécialiste des questions financières et chroniqueur pour 11e art, Génération After/After Foot la revue & WebGirondins, nous livre ses analyses. Entretien.
La multipropriété s’est fortement développée au sein du football européen – et plus particulièrement en France – au cours des dernières années. Quels sont les facteurs expliquant cette tendance ?
La quasi-totalité des clubs présentent un business model structurellement déficitaire. Sur la base des derniers comptes publiés par la DNCG, arrêtés au 30 juin 2023, les 20 clubs de Ligue 1 ont enregistré un résultat d’exploitation déficitaire de plus de… 800 m€ ! Chaque club de L1 perd donc en moyenne 40 m€ avant la cession de joueurs. Et après mutation, les clubs de L1 sont toujours déficitaires, de l’ordre de 250 m€. Près de la moitié de ce déficit est néanmoins attribuable au Paris Saint-Germain.
A travers la lecture des comptes, on constate immédiatement que les clubs de L1 sont structurellement déficitaires. Ces derniers sont soumis à plusieurs aléas à commencer par l’état du marché des transferts. Ils ont impérativement besoin de vendre des joueurs chaque saison pour combler une partie de leur déficit d’exploitation. Or, par nature, le trading est aléatoire. Et certaines mesures de régulation prises par nos voisins européens ne vont pas aider nos clubs. A titre d’exemple, les clubs de Premier League vont devoir se plier aux nouvelles règles PSR (ndlr : Profit and Sustainability Regulations).
Les clubs français sont également très dépendants des droits TV. Ils n’ont finalement que 4 à 5 ans de visibilité sur ces contrats qui représentent leur principale source de revenus. Sans oublier qu’un diffuseur peut faire défaut en plein milieu d’un engagement voire au début…
Enfin, pour combler leurs déficits chroniques, les clubs hexagonaux font régulièrement appel à la générosité de leurs actionnaires. Le montant des comptes courants d’associés a explosé en L1 à l’issue de la saison 2022-23, passant de 280 à plus de 400 m€. Les clubs de L1 doivent de plus en plus d’argent à leurs propriétaires. Ils sont tributaires de leur générosité pour se maintenir à flot.
Face à ce tableau, on comprend alors que les clubs ont un besoin constant d’argent frais. C’est encore plus vrai après la crise du Covid-19 et l’affaire Mediapro dont le foot français ne s’est pas encore remis. En raison de ce business continuellement déficitaire, les clubs français sont devenus des proies pour tout le monde. Même le PSG a fait entrer un fonds d’investissement, Arctos, à hauteur de 12,5% dans son capital. Tous les clubs sont à vendre. Et les acteurs qui saisissent de telles opportunités sont ceux qui en ont les moyens c’est-à-dire les fonds d’investissement, les fonds souverains, des investisseurs plus ou moins opportunistes… Les clubs s’ouvrent à la financiarisation car ils ne sont pas indépendants financièrement.
Quelles sont les motivations poussant les fonds d’investissement à prendre des participations dans des structures chroniquement déficitaires ?
Les clubs européens, et notamment français, sont sous-valorisés car tout est géré dans l’urgence. Les clubs n’imaginent pas de stratégie de croissance durable des revenus. Très peu de clubs travaillent sérieusement sur un plan de croissance de leurs recettes opérationnelles dont le sponsoring, le ticketing, les hospitalités… Seule une poignée d’entre eux dont le Paris Saint-Germain effectuent sérieusement ce travail en France.
D’ailleurs, la plupart des rachats sont réalisés par des investisseurs nord-américains. Pourquoi ? Aux Etats-Unis, le prix des franchises est bien plus élevé ! En raison de leur fonctionnement via un modèle fermé et centralisé, dès qu’une ligue gagne en potentiel économique, cela entraine mécaniquement une flambée du prix des franchises. Le Los Angeles FC est désormais valorisé à plus d’un milliard de dollars. Cela représente plus de 10 fois la valorisation du RC Strasbourg !
Pour les investisseurs nord-américains, le prix des clubs européens parait très abordable. Le ticket d’entrée est bas et la perspective de plus-value est importante. D’ailleurs, une foule d’investisseurs américains ont fait leur entrée en English Football League et plus particulièrement en Championship, attirés par la perméabilité des championnats anglais et des perspectives de croissance de revenus qui en découlent.
Pourquoi certains propriétaires de clubs cherchent-ils à inscrire leurs investissements dans un schéma de multipropriété ?