Interview Valérie Vischi Serraz Stade Toulousain Rugby
Interview

Les métiers du sport : Directrice de centre de formation avec Valérie Vischi Serraz (Stade Toulousain)

Comment accompagner au mieux les jeunes pensionnaires de son centre de formation dans leur double projet sportif et éducatif ? Le maintien de ce (difficile) équilibre constitue l’un des principaux objectifs – si ce n’est la boussole – des dirigeants de centre de formation. Pour mieux comprendre le rôle et les missions de ces derniers, Ecofoot.fr s’est entretenu avec Valérie Vischi Serraz, Directrice du Centre de Formation du Stade Toulousain Rugby. Entretien en accès libre offert par l’UNIPAAR.

Quelles sont vos principales missions en tant que Directrice du Centre de Formation du Stade Toulousain Rugby ?

Je suis arrivée au club il y a 35 ans à une époque où le Stade Toulousain Rugby était encore un club amateur. J’ai pu accompagner le club dans son développement et son entrée dans le professionnalisme il y a plus de 20 ans maintenant.

On s’est construit comme une structure au service de la politique globale de formation du club. Au sein de mon service, nous couvrons toutes les problématiques de formation, des besoins de l’association aux salariés de la SASP en passant bien sûr par les pensionnaires de notre centre de formation sportif.

Au début des années 2000 a été amorcé un mouvement de structuration des centres de formation des clubs professionnels. La ministre de l’époque, Marie-George Buffet, a mis en place les centres de formation agréés par le Ministère de la Jeunesse et des Sports. Cela répondait à certains problèmes notamment rencontrés dans le football professionnel. Depuis cette réforme, on doit tenir compte d’un cahier des charges spécifique avec la prise en charge de la double formation c’est-à-dire la performance sportive – avec pour objectif de devenir joueur professionnel – et la formation scolaire / universitaire. Cela permet alors au joueur de s’insérer plus facilement dans le monde professionnel en cas d’échec sur le plan sportif ou à l’issue de sa carrière.

Notre centre de formation sportif a désormais plus de 20 ans. Nous l’avons lancé dès 2002. Dans l’optique de répondre aux besoins de formation scolaire, nous avons ouvert dès 2003 notre Ecole Technique Privée. Cet établissement répond à des besoins de formation initiale et prépare à l’obtention de diplômes de l’Education Nationale dont des BTS. Les pensionnaires de notre centre de formation peuvent donc suivre leurs études en interne mais aussi en externe grâce à des conventions signées avec une cinquantaine d’établissements.

A quoi ressemble votre journée type ? Le maintien d’un équilibre entre formation sportive et parcours scolaire / académique des joueurs du centre de formation est-il au cœur de vos missions quotidiennes ?

On va toujours se situer dans cet équilibre fragile entre parcours éducatif et développement sportif des jeunes de notre centre de formation. On va chercher sans cesse à adapter leur agenda face aux sollicitations sportives. Semaine après semaine, voire jour après jour, on cherchera à concilier l’exigence des entrainements au parcours scolaire / universitaire.

Par exemple, dernièrement, lors de notre déplacement à Montpellier en TOP 14, de nombreux joueurs de notre centre de formation ont été retenus pour cette rencontre. Or, lors de la semaine précédant ce match, trois joueurs du centre devaient se présenter à des épreuves écrites du BTS. Quand on a appris que ces joueurs allaient être sollicités pour jouer le match à Montpellier, on a dû prévenir le staff professionnel qu’il fallait les libérer pour les épreuves. La combinaison des agendas n’est pas toujours évidente.

Avec mon équipe, je pars toujours à la pêche aux informations sur les contraintes sportives. Car, en plus des convocations en équipe première, il y a aussi les sélections dans les équipes nationales de jeunes. Nous devons être réactifs voire proactifs pour anticiper les difficultés. Sans oublier d’accompagner les jeunes afin que la charge mentale ne soit pas trop difficile à supporter. Ils ne doivent pas se sentir pris en étau entre leur développement sportif et leur parcours scolaire.

Par ailleurs, on peut difficilement anticiper les besoins. En fonction des blessures ou des aléas sportifs, les jeunes joueurs sont plus ou moins sollicités. On ne connait pas le déroulement de leur saison à l’avance. On doit ajuster au fil de l’eau.

Accompagnez-vous au cas par cas chaque joueur de votre centre de formation dans son parcours sportif et scolaire ?

Au Stade Toulousain, on a affecté une ressource à temps plein à ce sujet. Un membre de mon équipe est chargé au quotidien, en fonction des choix d’orientation, d’adapter le parcours de chaque joueur de notre centre de formation et de prévenir les lycées ou établissements d’études supérieures de possibles aménagements.

« Le Stade Toulousain a un ADN de club formateur »

C’est un travail minutieux car nous avons autant de joueurs que de projets différents. On se refuse catégoriquement d’imposer à un joueur un projet qui ne lui correspond pas. Actuellement, un de nos joueurs suit en parallèle des études de médecine. On l’accompagne dans son ambitieux projet du mieux possible. François Cros, pur produit de notre centre de formation et désormais international français, a suivi des études de podologie. On l’a accompagné jusqu’au bout dans ce projet. Notre joueur Joel Merkler, qui en train de se révéler au plus haut niveau, a bouclé sa 2e année à l’IEP de Toulouse. On doit être toujours au service du double projet du joueur.

Nouez-vous d’étroites relations avec les établissements d’enseignement supérieur de la région toulousaine pour qu’ils puissent accueillir vos sportifs de haut niveau dans de bonnes conditions ?

Un gros travail est également mené à ce niveau. Nous signons des conventions de partenariat avec des établissements qui acceptent d’accueillir nos sportifs. Mais c’est difficile de répondre à l’ensemble de leurs demandes. Par exemple, en amont de la rentrée scolaire, ils souhaiteraient avoir une visibilité sur l’agenda des joueurs sur l’ensemble de la saison. Or, c’est impossible de répondre à cette demande. Dans le rugby professionnel, on ne connait la date définitive de nos rencontres que trois semaines à l’avance en raison du choix des diffuseurs. Et le planning d’entrainement de la semaine va changer en fonction du jour de programmation du match. Par ailleurs, il y a aussi les convocations lors des rassemblements des équipes nationales. Et on ne peut pas anticiper les sélections à l’avance.

Par exemple, nous avons systématiquement des joueurs sélectionnés pour les tournois internationaux de moins de 20 ans qui se déroulent généralement en juin. On va ainsi savoir au dernier moment si nos jeunes inscrits au BTS vont pouvoir se présenter à la date initiale d’examen.

Combien de personnes encadrez-vous dans l’exercice de vos activités ? Quelles sont vos interactions avec les autres services ?

Nous comptons fortement sur la formation dans notre modèle. Chaque année, environ 60% de notre effectif professionnel est composé de joueurs issus de notre filière de formation. Le Stade Toulousain a un ADN de club formateur.

« On va connaître une véritable révolution dans la manière d’évaluer les centres de formation »

Dans mon service, nous sommes une dizaine de salariés, accompagnés par une dizaine de formateurs, pour encadrer une trentaine de joueurs âgés entre 17 et 22 ans. Mais on travaille en interaction constante avec le staff technique de l’équipe première. Entre 10 et 15 jeunes du centre s’entrainent régulièrement avec les professionnels en semaine et peuvent être amenés à jouer avec l’équipe première le week-end. Chaque vendredi, mes équipes ont des réunions avec deux représentants du staff professionnel afin de faire le point sur la semaine à venir et anticiper les allers-retours. Certains préparateurs physiques du staff professionnel dédient leurs activités au suivi des joueurs faisant l’aller-retour entre le centre et le groupe pro. Ils vont porter une attention accrue à leur évolution en cherchant à les développer individuellement et collectivement.

Quel a été le plus gros défi opérationnel auquel vous avez été confronté en tant que Directrice du centre de formation ?

Il y a un défi sur lequel nous travaillons actuellement et qui est particulièrement difficile à relever. On va connaître une véritable révolution dans la manière d’évaluer les centres de formation dans le rugby français.

Jusqu’à présent, les centres de formation de TOP 14 étaient classés de 1 à 14 selon plusieurs indicateurs. Parmi les critères retenus, il y a le temps de jeu de nos jeunes en TOP 14 et dans les compétitions européennes, le nombre d’internationaux, le nombre de joueurs signant un contrat professionnel à la sortie de leur formation, le niveau du dernier diplôme obtenu…

Grâce à la politique volontariste du club en matière de formation, nous avons été classés 4 fois au 1e rang lors des 5 dernières années. Mais suite aux enseignements de la Coupe du Monde 2023, la LNR va faire évoluer sa méthode d’évaluation à compter de la saison prochaine. Et la focale va complètement changer. En plus des critères habituels pris en compte pour évaluer le centre de formation – qui pèseront pour 80% de l’évaluation totale – seront également évalués la préformation (10%) ainsi que la reconversion des sportifs professionnels (10%).

Classement des centres de formation – TOP 14 – 2022-23

Nous sommes donc en train de travailler sur une nouvelle organisation qui correspond aux besoins du club et aux nouvelles demandes de la LNR. On doit réaménager les outils que nous avons formalisés durant les 20 dernières années pour élargir leur utilisation aux équipes de jeunes de l’association. Il faudra donc travailler sur des cohortes de joueurs bien plus importantes que les effectifs de notre centre. On va passer d’une trentaine à 150 joueurs et joueuses. On ne pourra donc pas être aussi précis dans le suivi mais il faudra s’adapter. Néanmoins, on avait déjà anticipé une telle évolution avec la mise en place de notre bloc de performance sur demande d’Ugo Mola.

En parallèle, on va aussi devoir assurer de manière bien plus poussée l’accompagnement de la reconversion de nos joueurs professionnels. Jusqu’à présent, nous accompagnions surtout les joueurs qui étaient demandeurs dans le cadre de leur reconversion. Désormais, pendant leur carrière sportive, on devra les aider à passer des diplômes. Ce suivi devra être systématisé. On devra faire une offre de parcours à tous les joueurs pour les aider à préparer leur reconversion.

Le principal défi va être de coordonner les activités des différentes structures du club c’est-à-dire de l’association, du centre de formation traditionnel et de la SASP. Tout le monde va contribuer à notre note globale. Cela va nous demander de redéfinir nos processus. En termes de gestion de projet, c’est un sacré travail.

Sur quels critères est évalué votre travail au Stade Toulousain Rugby ?

Nous devons en priorité maintenir ce haut taux de joueurs professionnels – compris entre 60 et 70% en fonction des saisons – issus de notre filière de formation. C’est le critère le plus important. Nous sommes aussi attentifs à figurer parmi les meilleurs clubs français dans le classement des centres de formation établis chaque année par la LNR.

« On a toujours un souci de conserver un temps d’avance dans nos outils pédagogiques »

En complément, il y a d’autres critères permettant d’évaluer notre capacité à venir en soutien du service RH de la SASP concernant la formation de nos salariés. On doit mener un travail d’accompagnement en matière d’ingénierie pédagogique et financière. Les besoins vont du joueur en reconversion souhaitant passer ses diplômes d’entraineur jusqu’à la DSI demandant une formation sur un logiciel particulier.

L’association a aussi des besoins spécifiques auxquels on doit répondre dont notamment d’accompagner leurs meilleurs éléments pour qu’ils intègrent des lycées aménageant leur emploi du temps afin qu’ils puissent s’entrainer plus facilement.

Globalement, on va nous demander d’être suffisamment proactifs pour innover dans nos méthodes. On a toujours un souci de conserver un temps d’avance dans nos outils pédagogiques. Par exemple, nous travaillons actuellement sur la formalisation des compétences attendues de nos entraineurs pour contribuer à modéliser l’ADN du jeu à la Toulousaine. On travaille bien sûr avec le secteur sportif à ce sujet. On formalise des principes qui pourront constituer des points de ressources pédagogiques pour les entraineurs et les éducateurs du club.

Au final, on reçoit des demandes d’un ensemble de commanditaires qui vont être en attente d’une réelle efficacité sur des missions bien différentes.  On doit toujours trouver des solutions fluides pour satisfaire les besoins de chacun.

Quelles qualités une Directrice du Centre de Formation doit-elle réunir pour mener à bien ses missions ?

Il faut avant tout être curieux de l’actualité, des évolutions en matière d’ingénierie pédagogique et financière sur les problématiques de formation et savoir se remettre en question. Il faut aussi pouvoir échanger avec toutes les composantes du club, aussi bien le médecin que le directeur financier par exemple. Ce poste exige d’être solide sur son cœur de métier tout en étant à l’écoute et réactif pour s’adapter aux contraintes sportives. C’est très important d’être souple dans son organisation car il est parfois nécessaire de renoncer à un dispositif sur lequel on a travaillé durant plusieurs mois car l’actualité l’impose.

Il faut savoir travailler dans l’urgence, se montrer diplomate tout en tenant des positions affirmées. C’est important d’être diplomate car on fait face à des interlocuteurs qui peuvent être soumis à une très forte pression et ont besoin de réponses rapides à leurs problématiques. Mais, en même temps, c’est indispensable de défendre ses positions pour ne pas renoncer à sécuriser la logique de double formation de nos joueurs. On n’hésite pas alors à rappeler le cahier des charges fixé par le Ministère des Sports.

Sur quels projets de développement travaillez-vous actuellement au Stade Toulousain Rugby ?

Comme je l’ai indiqué précédemment, un de nos gros projets se situe dans la modélisation du savoir-faire de nos entraineurs au jeu à la Toulousaine. L’objectif est d’obtenir un référentiel de compétences qui correspond à l’ADN du club. Il sera décliné des équipes de jeunes jusqu’à l’équipe espoir car on ne demandera pas les mêmes choses aux entraineurs et aux joueurs en fonction des catégories. On monte également un projet de Bachelor.

Cet entretien en accès libre est offert par l’UNIPAAR.

Les métiers du sport : Directrice de centre de formation avec Valérie Vischi Serraz (Stade Toulousain)
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