Quel est le périmètre d’intervention d’un pôle juridique au sein d’une organisation sportive ? Service peu mis en lumière, il joue pourtant un rôle clé dans la vie d’un club professionnel et son développement. Dans ce troisième épisode des Métiers du Sport, Yves-Marie Fève, Secrétaire Général et Directeur Administratif & Juridique du Stade Rochelais, nous décrit son quotidien au sein des Maritimes tout en revenant sur les interconnexions de son service avec les autres pôles du club. Entretien en accès libre offert par l’UNIPAAR.
Quelles sont vos principales missions en tant que Directeur Administratif et Juridique du Stade Rochelais ?
Le plus gros morceau est la supervision de l’intégralité des contrats de travail. Les contrats où les enjeux sont les plus importants sont ceux des joueurs et des staffs rattachés aux clubs professionnels (ndlr : rugby et basket). Au-delà des enjeux financiers, il faut être très rigoureux dans la préparation et rédaction des documents car tout litige peut coûter cher. Cela demande un suivi très précis des dossiers. Il y a aussi la partie enregistrement et qualification des contrats auprès des différentes institutions. Concernant cette activité, le pic intervient l’été, période au cours de laquelle la plupart des mouvements sont conclus.
Au-delà de l’enregistrement des contrats de joueurs, nous nous occupons aussi des échanges avec les différentes institutions sportives c’est-à-dire essentiellement la LNR, la LNB et les organisateurs des compétitions européennes de rugby. Il faut s’assurer de respecter les cahiers des charges réglementaires.
Un volet juridico-RH est également intégré aux missions de mon service. Comment accompagnons-nous les salariés ? Comment les aidons-nous à s’épanouir au sein du club ? On parle souvent de qualité de vie au travail. On essaie d’en faire un vrai atout au Stade Rochelais. C’est important pour que les salariés s’y plaisent et surtout se projettent un bout de temps au club.
La partie droit des sociétés / droit fiscal représente aussi une part importante de notre charge de travail. On en revient alors à des missions classiques de juriste en entreprise. Cela consiste notamment à valider les contrats de partenariat et les différentes conventions conclues avec nos prestataires, nos fournisseurs, nos intérimaires… Il y a aussi le suivi du dossier des assurances. On s’occupe également de la rédaction de tous les documents juridiques qu’on adore (rires) – conditions générales de vente, DUERP (ndlr : document unique d’évaluation des risques professionnelles)… On s’assure de la conformité de nos activités avec les règles RGPD.
Certaines missions ont-elles eu tendance à gagner en importance au fil des saisons ?
Les questions rattachées à la propriété intellectuelle ont en effet gagné en importance ces dernières années. C’est sans doute en raison de la hausse de notoriété du club, elle-même liée aux bons résultats obtenus. La protection de nos marques et de nos signes distinctifs devient un enjeu important. D’autant plus que la branche retail se développe fortement en parallèle. On ne peut plus se permettre de se faire concurrencer par des produits de contrefaçon. Mais les démarches sont souvent chronophages.
Entretenez-vous régulièrement des relations avec les collectivités dans l’exercice de vos missions ?
Les échanges avec les collectivités sont essentiellement conduits par notre Président Vincent Merling et notre Directeur Général Pierre Venayre. Mon service intervient généralement dans un second temps, une fois que les dossiers de subvention de fonctionnement ou d’investissement sont à monter. On lie alors les dossiers administratifs / juridiques au volet financier.
Comment la gestion du salary cap est-elle abordée au Stade Rochelais ? Êtes-vous directement concerné par ce sujet ?
C’est un outil de régulation clé en TOP 14 qu’on gère quasiment au jour le jour avec notre Directeur Général, notre Directeur Sportif et notre direction financière. Il faut sans cesse vérifier que les évolutions contractuelles rentrent dans les clous. Cela demande une rigueur extrême dans la connaissance des contrats pour pouvoir formuler des propositions restant en conformité avec le salary cap. C’est interdit de commettre une erreur sur un tel sujet.
A quoi ressemble votre journée type en tant que Directeur Administratif et Juridique ?
Il n’y a pas de journée type. En revanche, il y a des périodes au cours desquelles on sera davantage focalisé sur certains sujets. Par exemple, lors de chaque dernière semaine du mois, avec la direction financière, on s’occupe de la gestion de la paye. Mais il y a rarement une journée qui ressemble à celle de la veille. C’est ce qui fait le charme de nos métiers.
Managez-vous des équipes en tant que Directeur Administratif et Juridique du Stade Rochelais ?
Nous sommes désormais bien staffés au club. Dans le service, on retrouve Léo Guyony. Juriste de formation, il a sous sa responsabilité toute la partie protection intellectuelle et rédaction des documents juridiques. Côté sportif, il participe aussi à la rédaction des contrats.
Nous pouvons aussi nous appuyer au sein de l’équipe sur un Responsable des Ressources Humaines et des Affaires Sociales en la personne de Sylvain Rossetto. Il est dédié à la gestion des salariés et plus particulièrement des salariés hors sportifs. Cela représente environ 80 personnes sur un effectif de l’ordre de 130 salariés au club. Il a également sous sa responsabilité le volet formation et qualité de vie au travail.
Nous comptons aussi dans l’équipe Laura Lubert, Assistante de Direction / Secrétaire Médicale. Elle partage son temps entre ces deux missions sachant que le secrétariat médical représente une part de plus en plus importante avec la gestion des arrêts de travail, des rendez-vous médicaux et du contrôle & suivi des aptitudes des joueurs.
Quelles sont vos interactions avec les autres services du club ?
Avec la direction financière, on travaille main dans la main. Initialement, c’était un seul et même service mais avec le développement des activités du club, il a finalement été scindé en deux. La Directrice Financière, Valérie Fabre, est mon binôme. On fonctionne en étroite collaboration.
Plus globalement, nous avons des échanges de manière quotidienne avec l’ensemble des principaux pôles du club. C’est pour cela qu’il faut être très impliqué dans la vie de ce dernier. On a souvent des documents à rédiger, à interpréter ou à valider. Nous sommes très régulièrement sollicités pour accompagner les différents acteurs du club dans leurs démarches et les sécuriser dans leurs projets. Il faut donc tout le temps être en alerte voire même anticiper certains sujets. C’est important d’être curieux du fonctionnement global du club pour bien appréhender les interactions.
Par ailleurs, on adopte comme philosophie le fait de dire « non » le moins souvent possible. Car c’est trop facile de dire que c’est impossible. Quand on porte à notre connaissance une problématique, on cherche toujours à trouver des solutions. Y compris quand elles sont très complexes. Evidemment, on mesure le sens de nos réponses et les impacts qu’elles peuvent avoir. Mais notre objectif est toujours d’apporter une solution et non de bloquer des projets.
Comment vous tenez-vous à jour des dernières modifications réglementaires ou de textes de loi ?
On mène un travail classique mais nécessaire de veille. Dans l’équipe, nous avons tous la chance d’être issus du CDES Limoges. Par le biais de ce réseau, on récupère de la documentation juridique qui est toujours pertinente sur les évolutions récentes. Nous sommes également abonnés à tout un tas de revues spécialisées en droit du sport, droit des sociétés, droit fiscal…
Enfin, les syndicats nous alimentent en bonnes pratiques. L’UCPB et l’UCPR réalisent par exemple un gros travail de veille sur l’actualisation des normes. Ils font redescendre beaucoup d’information. L’UNIPAAR réalise également très bien ce travail sur le volet salarié. Ce sont des sources précieuses d’information.
Sur quels critères est évalué votre travail au Stade Rochelais ?
C’est compliqué de ressortir des critères quantitatifs pour évaluer le travail d’un directeur ou plus globalement d’un pôle juridique. C’est plus facile de fixer des objectifs chiffrés à un directeur commercial par exemple. Néanmoins, le nombre de contentieux – ou plutôt de non-contentieux – peut constituer un bon indicateur.
Au-delà des critères quantitatifs, notre principal objectif est aussi d’être considérés comme des facilitateurs de projets en trouvant les bonnes solutions aux problématiques exposées. Quand on parvient à débloquer les dossiers, on remplit notre mission de soutien aux autres fonctions du club.
Quelles qualités un Directeur Administratif et Juridique doit-il réunir pour mener à bien ses missions ?
Il faut impérativement être rigoureux car on rédige des documents qui ont des impacts juridiques et financiers. On ne peut pas s’exonérer de le faire de la manière la plus rigoureuse possible. Il faut aussi être curieux et ouvert sur son environnement. C’est un atout pour comprendre, intégrer et essayer d’anticiper les problématiques qui peuvent survenir. Si on ne connait pas l’environnement dans lequel on évolue, on aura du mal à apporter les bonnes solutions, même si on est un super technicien du droit.
Plus globalement, au Stade Rochelais, dans notre politique de recrutement, on met plutôt l’accent sur l’état d’esprit et le savoir-être. Nous sommes convaincus que les qualités humaines sont autant voire plus importantes que les hard skills qui peuvent être développées tout au long de sa vie professionnelle. J’ai d’ailleurs pu moi-même bénéficier de cette vision de la direction générale au moment de mon recrutement il y a 8 ans. Quand je suis arrivé au Stade Rochelais, je sortais de mes études. J’ai eu la chance de me développer avec le club.
Les contrats dans le rugby et le basket professionnel ont-ils eu tendance à se complexifier d’un point de vue juridique ces dernières années ?
Pas vraiment. La base des contrats reste sensiblement la même de saison en saison. Après, cela dépend des habitudes de chacun. Certains directeurs sportifs ont pris pour habitude d’insérer certaines clauses concernant les évolutions contractuelles. Et c’est à nous de les rendre juridiquement transposables.
Globalement, je n’ai pas noté une réelle complexification des contrats dans le sport professionnel ces dernières années. La LNR et la LNB font par ailleurs un très gros travail d’accompagnement. Les documents types que nous devons utiliser pour enregistrer les contrats des joueurs sont bien cadrés. Ce sont presque des documents à trou ! Bien sûr, il y a des champs qui nous permettent d’imaginer des clauses spécifiques. Mais cela limite largement le risque d’erreur et de complexification. La LNR et la LNB font aussi un gros travail d’interprétation sur la légalité des éléments transmis. Ce qui est très rassurant pour tous les acteurs. Nous sommes bien accompagnés.
Sur quels projets de développement travaillez-vous actuellement au Stade Rochelais ?
Nous sommes en train de finaliser notre plan 2030 qui sera prochainement dévoilé. Le développement de nos infrastructures – que cela soit notre stade ou notre centre d’entrainement – constituera à nouveau un axe majeur. Nous sommes convaincus que ce sont des outils qui font rayonner le club et participent grandement à son développement économique, sportif et humain. Ce type de projets demande évidemment de boucler d’importants dossiers juridiques et financiers en amont. Nous planchons dessus actuellement.
Cet entretien en accès libre est offert par l’UNIPAAR.