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Les footballeurs sont trop payés, et si on arrêtait l’hypocrisie ?

salaire footballeurs
Ververidis Vasilis / Shutterstock.com

Cette semaine, Pierre Rondeau, Economiste du sport, démontre dans son édito que s’en prendre aux prétendus salaires « mirobolants » des joueurs de football est un non-sens économique.

C’est la même rengaine qui est répétée match après match, saison après saison : les footballeurs sont trop payés. Ils ne font que taper dans un ballon, ils ne sont pas utiles à la société, n’ont pas acquis des compétences intellectuelles ultra-spécifiques après de longues études, mais empochent plusieurs siècles de SMIC en une seule carrière. Ce ne sont que des prolétaires du sport qui se retrouvent à gagner des millions.

Peut-être par jalousie ou seulement par mépris de classe, des centaines de milliers de personnes s’amusent à se moquer de ces footballeurs ignorants, illettrés ou immatures. On connait le discours, déjà entendu mille fois, toucher jusqu’à 38 millions d’euros par an juste pour jouer, juste pour courir, juste pour marquer, c’est indécent, choquant, grossier, malséant, déplacé, impoli et injuste.

Et c’est aussi tellement simple. C’est facile de taper sur ces nantis du sport, dans le stade ou sur son canapé, protégé derrière un écran de télévision.

Ne rentrons pas dans les détails économiques et sociaux, ne précisons pas que seule une petite caste de footballeurs empoche des salaires mirobolants et que les autres ne récupèrent que des miettes. N’expliquons pas que les inégalités dans le football sont bien plus importantes qu’ailleurs, que moins de 25% des joueurs, en France, touchent plus de 80% du total des salaires ; que 40% des footballeurs vivent dans une grande précarité et une grande incertitude ; que plus de la moitié sont ruinés 5 à 10 ans après la fin de leur carrière ; que la très grosse majorité n’a pas fait d’études et que l’étape de la reconversion est très difficile ; que très peu deviennent de riches rentiers à l’abri du besoin ; que les séquelles psychologiques et les moments de déprimes sont nombreux dans le sport, encore plus dans le football.

Oublions ces éléments – bien qu’ils soient essentiels pour comprendre le problème – et regardons seulement de quoi on parle : l’utilité du ballon rond.

Nous sommes tous d’accord pour dire que le football ne sert à rien, que nous regardons bêtement des matchs tous les week-ends, que nous nous intéressons inconsciemment à l’actualité du sport mais qu’au final, on pourrait s’en passer. Non ? Admettons-le, le football est inutile et les footballeurs ne nous apportent rien. Contrairement aux médecins, aux infirmiers, aux professeurs, aux juges ou aux policiers.

Voilà justement pourquoi ces derniers sont si mal payés et pourquoi les footeux sont grassement choyés, parce que le degré d’utilité est totalement différent. C’est en tout cas l’explication donnée par l’économie Classique et David Ricardo, au XIX° siècle.

D’après l’intellectuel britannique, « l’utilité n’est pas le fondement de la valeur d’échange parce qu’une marchandise utile est souvent considérée comme présente en quantité très importante et nécessite peu de travail pour la produire. […] Inversement, un bien considéré comme naturellement peu utile sera peu présent et il faudra une importante quantité de travail pour le produire. Sa valeur d’échange augmentera certainement. »

Voilà où nous en sommes. Parce que le football est totalement inutile, il est naturellement rare et vaut alors très cher. De l’autre côté du mur, les métiers indispensables sont eux présents en très grandes quantités et se retrouvent donc très mal dotés.

C’est indécent, peut-être incompréhensible, mais ça explique, en partie, la situation. Le football est inutile, les footballeurs sont des millionnaires, CQFD.

Par Pierre Rondeau

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