Interview

« Il faut qu’on arrête en France d’avoir une appréhension systématiquement négative des fonds d’investissement »

Ecofoot.fr a eu la chance cette semaine de s’entretenir avec Nicolas Vilas, journaliste expert du football portugais pour Ma Chaîne Sport et France Football. Lors de cet entretien, nous avons fait le tour de la riche actualité du football portugais en évoquant notamment la question des revalorisations des contrats télévisuels…

Nicolas, vous attendiez-vous à une hausse si importante des droits TV des trois géants portugais pour les saisons à venir ? A quoi est-elle due et de quelle ampleur est-elle par rapport aux contrats actuellement en vigueur ?

Les droits TV des clubs portugais sont très difficiles à comparer, ne serait-ce que pour les trois grands. Les contrats ne portent pas sur les mêmes durées, les mêmes termes, les mêmes conditions (certains incluent le sponsoring, l’exploitation de la publicité dans le stade). Les grosses sommes sur lesquelles communiquent les clubs ne sont donc pas comparables et ces chiffres « globaux » ne veulent pas dire grand-chose puisque, dans le détail, ils englobent plusieurs contrats différents.

La réalité des trois grands est elle-même différente. Le Benfica produisait lui-même ses matches de Liga à domicile via sa propre chaîne (Benfica TV) alors que Porto et Sporting sont sous contrat jusqu’en 2018. Les clubs – tous – survivent dans un climat de crise économique. Leur dépendance aux banques est colossale et la crise de ce secteur, additionnée à d’autres facteurs (fin de la TPO, notamment), les obligent à trouver d’autres sources de recettes. Ils doivent continuer de monnayer leurs meilleurs joueurs mais ça ne suffit pas.

« Beaucoup d’économistes se demandent si ce calcul est réellement intéressant pour les clubs »

Beaucoup d’économistes se demandent si ce calcul est réellement intéressant pour les clubs, y compris les trois grands. D’abord, parce que ces ventes sont signées très tôt (entrée en vigueur des partenariats à partir de 2018 pour Porto et le Sporting CP), ensuite parce que les contrats portent sur de très longues durées (jusqu’à plus de dix ans pour certains) et, enfin, et c’est LA problématique parce que ces droits sont individualisés et qu’au final personne n’y est gagnant, à long terme. La légalité même de certains accords est remise en cause par l’ancien président de Ligue, notamment.

Les autres clubs de Liga Nos vont-ils profiter de cette hausse des recettes télévisuelles ?

Plusieurs clubs ont déjà annoncé avoir trouvé un accord avec l’un des diffuseurs. Des contrats à la hausse. Mais ce sont les clubs ayant le plus de notoriété. Les autres s’inquiètent. Ceux de D2, ceux qui sont moins « bankables. » Ils auraient aimé, qu’au moins une négociation commune des droits TV hors clubs du « Big 5 » (Benfica, Porto, Sporting, Braga, Guimarães) puisse se faire.

La vente collective des droits TV était l’une des promesses du nouveau président de la Ligue, Pedro Porença. Il a très vite été confronté aux limites du modèle « à la portugaise », très politisé.

L’augmentation des droits TV est due à un phénomène simple : l’apparition d’un nouvel acteur (Altice) qui instaure une concurrence sur ce marché. Les chiffres sont donc en hausse mais n’auraient-ils pas été plus importants encore si ces droits étaient mutualisés ? Tous les plus grands championnats ont adopté ce modèle et tous ont vu les montants augmenter.

Quel sera l’effet de cette hausse de recettes TV sur la compétitivité du championnat portugais ? Les clubs vont-ils pouvoir petit à petit desserrer les liens noués avec les fonds d’investissement ?

Tout dépend de quel club on parle. Certains petits clubs auront peut-être les moyens de combler leur passif, de garder certains joueurs un peu plus longtemps. La réalité du foot portugais n’est pas homogène. Et puis, pour certains clubs, ces contrats ne seront effectifs que d’ici quelques années. Difficile, encore une fois, d’avoir une vision globale.

« Ces fonds agissent comme des banques »

Sur la question des fonds d’investissement… Il faut vraiment qu’en France on arrête d’avoir une appréhension systématiquement négative dès que ce mot apparaît. Tous les Français possèdent un compte en banque, tous les parents ouvrent un compte à leur gosse à peine est-il né. Ces fonds agissent, notamment depuis que la TPO a été bannie par la FIFA, comme des banques. Pas sûr que ce soit mieux (pour les clubs notamment) mais ça n’a rien d’illégal à partir du moment où cet établissement dispose d’un agrément lui permettant de prêter de l’argent. Beaucoup de Français souscrivent à des crédits revolving, à des conditions parfois suicidaires. Les clubs s’y mettent aussi. La FIFA leur a interdit de pouvoir bénéficier du soutien de tiers pour l’achat des joueurs et, par la même, elle a augmenté leur dépendance vis-à-vis de ces entités.

Le système bancaire est loin d’être totalement transparent (combien de grandes banques ont des branches dans des paradis fiscaux), perceptible (ne serait-ce que par son vocabulaire, ses conditions contractuelles en mutation permanente) mais c’est bien ce type de gestion – pourtant en crise – que les instances veulent imposer aux clubs.

L’interdiction de la TPO n’a réglé en rien la question de la transparence. Une société qui est aujourd’hui interdite de TPO peut très bien, avec agrément, devenir prêteuse d’argent à un club de football à des conditions « scandaleuses » mais signées par celui-ci, et, donc, en toute légalité.

Comprenez-vous la décision prononcée dernièrement par le Tribunal Arbitral du Sport qui condamne le Sporting CP à payer 12,5 M£ au fonds d’investissement Doyen Sports ?

Lorsqu’elle a adopté l’interdiction de la TPO, la FIFA a elle-même admis que les contrats en cours étaient valables jusqu’à leur terme. La FIFA interdit les tiers dans l’acquisition des droits économiques (à ne pas confondre avec les droits sportifs qui sont toujours en possession des clubs) d’un footballeur mais sa définition du tiers n’exclut pas ses clubs actuel ou passés. La triangulation reste donc possible entre plusieurs clubs. La légalité de l’interdiction de la TPO devrait être jugée en Belgique, l’été prochain.

« L’industrie du foot moderne repose sur deux types de revenus importants et en inflation permanente »

On relaie souvent les fonds lorsqu’il s’agit de gros transferts mais il faut être honnête. Revenons à avant ce 1er mai 2015, date de l’interdiction de la TPO. Lorsqu’un fonds achetait les droits économiques (ou une partie) d’un joueur, il prenait un risque. Rien ne garantissait une plus-value. Le footballeur pouvait se blesser, être contre-performant… C’est pourquoi ils essayaient de miser sur des éléments performants afin d’assurer au maximum leur investissement. On entend souvent l’argument suivant : « Oui mais ces entités incitent à l’augmentation des transactions, des transferts. » C’est vrai mais qu’en est-il des clubs, des agents ? L’industrie du foot moderne repose sur deux types de revenus importants et en inflation permanente : les transferts de joueurs et les droits TV. Ces derniers sont d’ailleurs motivés par… les transferts de joueurs. Les fonds ne sont pas plus mesquins, ni débiles que ceux qui sont déjà dans le « système. » Mais eux assument leur but. Si leurs pratiques vous choquent, c’est tout ce système qu’il faut remettre en question…

Peut-on s’attendre à voir les clubs portugais dépenser par anticipation leur nouvelle manne télévisuelle dès ce mercato hivernal ? Quelles seront les tendances de ce marché des transferts au sein du championnat portugais ?

Les contrats ne débutent pas tous au même moment, selon les clubs. Et tous n’ont pas les mêmes priorités. Certains tenteront d’assainir leurs comptes. D’autres, peut-être, de verrouiller certains éléments. Comme toujours, le marché portugais survit surtout grâce à la vente de ses joueurs.

Si vous souhaitez prolonger la discussion, n’hésitez pas à suivre le compte Twitter de Nicolas Vilas 


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Source photo à la Une : © Redstar.fr

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