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COVID-19 : quelles solutions pour l’industrie sportive ?

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Hubert Tuillier, Manager Sports Advisory KPMG, et Augustin de Guibert, Senior Manager Restructuring font un premier état des lieux des conséquences économiques de la crise du COVID-19 sur l’industrie sportive française tout en revenant sur les premiers dispositifs gouvernementaux, régionaux et locaux mis en place pour atténuer les effets de cet arrêt soudain des activités.

Une crise sans précédent pour l’industrie du sport qui fragilise ses acteurs

La crise sanitaire actuelle touche de plein fouet l’ensemble de la filière du sport français. Clubs professionnels, fédérations sportives, agences, start up, médias, fabricants et distributeurs d’articles de sports, tous font face à une crise inédite qui interroge à très court terme la solidité financière de la filière ; et à moyen terme la gouvernance, le financement et les mécanismes de soutien institutionnel.

Si l’impact du Covid-19 sur la filière a déjà attiré l’attention de nombreux observateurs, il reste que toutes ces données sont à analyser avec beaucoup de précaution : de nature exogène, cette crise n’a pas de précédent. Elle doit donc être analysée avec la prudence qu’implique l’absence de visibilité dont nous disposons quant aux conditions de retour à la « normale » ; c’est-à-dire le rétablissement du jeu de l’offre et de la demande, l’offre étant – administrativement – partiellement empêchée, tandis que la demande est substantiellement impactée par les mesures de confinement.

Le sport professionnel est composé essentiellement de PME et de TPE particulièrement exposées à la crise, comme d’ailleurs la plupart des autres acteurs de l’événementiel. Les mesures de « containment » entraînent la destruction de toute ou partie de l’activité et modifient les anticipations des acteurs. A court terme, c’est leur survie qui est en jeu. Au-delà des droits audiovisuels qui pèsent notamment très fortement sur le budget des clubs de football et de rugby, et en ce sens la crise entre la LFP et Canal+ est extrêmement inquiétante (même si des bridges de financement via des fonds étrangers sont envisageables),  les clubs professionnels les plus exposés sont ceux qui présentent dans leur budget une part des recettes de billetterie particulièrement élevées (ce chiffre est par ailleurs largement sous-estimé, car dans les rapports DNCG, les recettes de billetterie n’intègrent pas la billetterie BtoB, incluse dans les Autres Produits). On peut également s’interroger sur la capacité des présidents à pouvoir réinjecter des fonds dans les clubs alors même que leurs autres activités sont impactées. Or, ce sont souvent ces apports financiers qui permettent aux clubs de terminer les saisons et de réussir leur passage devant les DNCG.

Un coût global difficile à estimer

Au début du mois de mars, KPMG Football Benchmark a communiqué sur les impacts économiques de la crise sur les principaux championnats européens, et a estimé que la crise du coronavirus coûterait autour de 400M€ aux clubs de Ligue 1 et 2 (hors impact du Covid-19 sur le marché des transferts) sur la saison 2019-2020. Cette estimation est à analyser en tenant compte également de la forte dépréciation des actifs  joueurs et de l’endettement des clubs, (et notamment les dettes sur mutation de joueurs) qui font peser un risque systémique sur l’ensemble de la filière et donc un risque encore plus important. Enfin, il existe un risque majeur pour la LFP et ses clubs : la situation de Mediapro en Espagne, qui pourrait ne pas honorer ses premiers engagements financiers contractuels envers la LFP au titre de l’acquisition pour environ 800 M€/saison et pour 4 saisons, des droits audiovisuels de la Ligue 1 et de la Ligue 2 dès l’année prochaine.

Ainsi, l’ensemble des syndicats des clubs professionnels et les Ligues sont mobilisés pour accompagner les clubs dans cette crise et identifier les leviers pour éviter le dépôt de bilan d’un club qui pourrait exercer un effet domino au sein de l’écosystème.

La mobilisation des institutions publiques

Le gouvernement, mais aussi les régions ont adopté des mesures de sauvetage afin de protéger nos entreprises (et donc nos clubs) et réduire l’impact de la crise sur leur trésorerie et sur la destruction de compétences. Prêteur de dernier ressort, l’engagement de l’Etat est doublé par l’activisme de la Banque Centrale Européenne. Il est d’autant plus intense que le risque d’aléa moral, très présent lors de la crise précédente, n’existe pas. Pour autant, il faut compter avec les anticipations des agents économiques qui en raison du fort niveau d’endettement public pourraient douter de la résilience de l’Etat et de sa capacité à sauver l’économie.

Dans ce contexte, la priorité des clubs pourrait bien être de réussir leur fine tuning du cash-flow dans les prochains mois afin de connaître leur besoin de financement. Il faut donc habilement piloter son BFR et comprendre au milieu de l’ensemble des mesures annoncées aux différents échelons (gouvernement, région etc.), quels sont pour son entreprise, les meilleurs leviers fiscaux et sociaux.

Les dispositions sur l’activité partielle semblent avoir l’impact le plus fort sur le P&L et la trésorerie : en effet, le décret du 25 mars 2020 relatif à l’activité partielle dispose que l’État couvrira les indemnités versées par les employeurs au titre de l’activité partielle (70% de la rémunération brute, soit 84% de la rémunération nette), dans la limite d’un plafond relevé à 4,5 fois le SMIC. Toutefois, si l’employeur verse à ses salariés une indemnité d’un montant supérieur à 70% de leur rémunération antérieure, ce complément n’est pas pris en charge par l’État. En deçà de ce plafond de 4,5 SMIC, l’employeur n’a pas de reste à charge ; au-delà de ce plafond ou dans le cas du maintien du salaire par l’employeur au-delà de l’indemnité d’activité partielle de base, il supporte la charge financière du différentiel. Le remboursement de l’allocation de chômage de base est réalisé par l’Agence de Services et de Paiement (ASP).

Cela signifie donc de grandes disparités entre les disciplines sportives : en effet, si cette mesure est très avantageuse pour les disciplines telles que le volley, le basket ou le handball, force est de constater que la mesure est moins pertinente pour des sports professionnels comme le football.

Considérons un salaire mensuel brut de 100 000 € (soit environ 75 000 € nets). L’État remboursera aux entreprises l’indemnité d’activité partielle dans la limite de 4 849 € (6 927 € bruts x 70%). Cette indemnité est exonérée de cotisations de sécurité sociale mais reste soumise à la CSG et à la CRDS.

Lorsque le salaire est supérieur à ce plafond, le club doit compléter la différence entre le plafond de l’indemnité d’activité partielle et le montant de son salaire net habituel et donc plafonné à 70% de son salaire brut. Dans cette hypothèse, le complément de salaire que le salarié percevra ne pourra donc pas être couvert par l’indemnité d’activité partielle que recevra l’entreprise et sera soumise aux cotisations de sécurité sociale dans les conditions habituelles.

Ainsi, le reste à charge pour le club sera de : 100 000 € bruts x 70% (% indemnité complémentaire activité partielle) : 70 000 € – 4 849 € net (remboursement de l’Etat plafonné à 4.5x SMIC) = 65 151 €

Le club a également la possibilité de compléter la différence entre le plafond de l’indemnité d’activité partielle et le montant de son salaire brut habituel à 100%. Dans cette hypothèse, et comme expliqué dans le paragraphe ci-dessus, le club devrait alors ainsi verser : 75 000 € nets (salaire net habituel) – 4 849 € (remboursement de l’Etat plafonné à 4.5x SMIC)  = 70 151 € (sous réserve des clauses conventionnelles imposant le maintien du salaire à 100%)

A toutes fins utiles, il a été annoncé par la Ministre du travail que le complément de salaire entre le plafond de l’indemnité d’activité partielle et le salaire net habituel du salarié pourrait être exonéré de cotisations de sécurité sociale dans un futur proche.

Comment supporter un tel niveau de charges sans recettes ? La question semble insolvable sans accord avec leurs joueurs pour des réductions de salaire, d’autant plus que de nombreux clubs ont des réserves de trésorerie assez faibles.

Si de nombreux joueurs ont accepté de baisser leur salaire dans les grands clubs européens, cette position n’est pas tenable dans tous les clubs et dans toutes les disciplines, au regard de la durée de certains contrats (notamment en basket et volley qui privilégient les contrats courts) et des salaires très hétérogènes constatés au sein des différentes ligues professionnelles et au sein même des clubs.

Attention, toutefois « Les DIRECCTE rejettent les dossiers insuffisamment motivés et documentés » préviennent Albane Eglinger, avocat associé et Sam Durand, avocat au sein du cabinet KPMG Avocats.  « Il faut également, au préalable, que l’employeur ait notamment pris des dispositions suffisantes sur la prise de congés payés et des RTT, afin d’avoir plus de chances d’obtenir une décision favorable. Le bénéfice du régime de l’activité partielle n’est pas automatique ».

La crise met aussi en exergue la forte asymétrie des relations entre les banques et les clubs professionnels, du fait de la faiblesse de la trésorerie, et fondamentalement, du triangle d’incompatibilité entre aléa sportif, régularité du cash-flow et attentes des investisseurs. Bref, le sport professionnel étant souvent déficitaire, peu de clubs disposent de lignes de crédit auprès de banques qui les jugent trop risqués.

A fortiori, même si l’état garanti entre 70% et 90% des emprunts, les banques vont rester vigilantes quant aux business plans qui leur seront présentés par les clubs.  En effet, l’objectif de ces mesures n’est pas d’accompagner les entreprises en difficulté mais celles qui ont été seulement impactées par la crise sanitaire et de s’assurer que les clubs sont en capacité de pouvoir rembourser à moyen terme leur emprunt.

De nombreuses mesures ont été prises comme les reports (ou remises au cas par cas) de certaines échéances sociales et/ou fiscales et l’accélération des procédures de remboursement des crédits d’impôt.

La BPI : un acteur central pour aider les clubs

Bpifrance a activé plusieurs dispositions pour garantir le maintien de l’accès au crédit par les banques. Les sociétés bénéficiaires peuvent contacter leur interlocuteur bancaire pour actionner ce dispositif ou contacter directement la BPI sur leur site internet. Ces aides sont prévues pour traiter les difficultés « conjoncturelles », liées directement aux conséquences de la crise du COVID-19.

Particulièrement impliquée auprès des clubs professionnels au sein de leur club d’entreprise, la BPI est une porte d’entrée très intéressante à activer via ses fonds de garantie et ses solutions de financement à moyen terme.

Les principales mesures de BPI sont des apports en garantie auprès des banques à hauteur de 90% si elle octroie un prêt de 3 à 7 ans et à hauteur de 90% si la banque confirme un découvert sur une période de 12 à 18 mois. De plus, BPI propose également un prêt sans garantie sur 3 à 5 ans de 10 000 à 5 millions d’euros avec un différé de remboursement.

Les prêts garantis d’Etat, une autre solution pour aider les clubs

Grâce à la garantie d’Etat, les clubs, comme les entreprises ont désormais accès à un prêt de trésorerie, simple et peu coûteux. Tous les prêts de trésorerie qui seront consentis par les banques entre le 16 mars et le 31 décembre 2020 seront couverts par cette garantie. Il est à noter qu’aucun remboursement ne sera exigé la première année et le club pourra choisir d’amortir son crédit sur une durée maximale de cinq ans. Ce prêt de trésorerie pourra représenter jusqu’à trois mois de chiffre d’affaires, et bénéficiera d’une garantie de l’Etat à hauteur de 70 à 90% selon les cas.

Il est à noter que les offres BPI et les PGE sont cumulables.

Un autre point concerne la gestion des loyers

 Les loyers versés par les clubs auprès des collectivités que cela soit pour une salle de sport, un gymnase ou un stade, sont des lignes de coûts non négligeables dans le compte d’exploitation d’un club et leur gel, report ou remises (qui pourraient être négociées au cas par cas) sont également des leviers importants à activer.

En effet, l’ensemble des collectivités ont suspendu les loyers, charges et taxes perçus directement et c’est donc évidemment une piste intéressante pour l’ensemble des clubs professionnels.

Enfin, de nombreuses régions comme l’Occitanie,  la Nouvelle Aquitaine et la région PACA ont mis en place des enveloppes dédiées aux acteurs du sport. Certaines ont même mis en place des fonds complémentaires pour les entreprises non éligibles aux prêts de la BPI.

D’autres pistes pour sortir de la crise

Toutes les entreprises, et à fortiori les clubs doivent dès aujourd’hui réfléchir aux actions post confinement et aux options qui s’ouvrent à eux en matière de financement. Mesure de rebond, l’affacturage qui est aujourd’hui largement utilisé dans le cadre des droits TV peut être une piste à étudier, même si au regard de la crise entre Canal+ et la LFP, d’importantes incertitudes demeurent, sur les dernières transactions. La mise en place de lignes de crédit liées aux sustainable linked loans est également une piste intéressante : ce sont des instruments de prêt innovants parfaitement adaptés aux clubs, qui incitent l’emprunteur/le club à atteindre des objectifs extra-financiers (nombre de jeunes diplômés, nombre d’actions sociales etc.) en échange d’une baisse du taux d’intérêt de la ligne de crédit. Cet outil peut rentrer dans le cadre de la stratégie RSE des clubs.

Enfin, on attend également du Ministère des Sports, très impliqué dans la structuration de la filière sport et de Bercy des mesures fortes de soutien notamment, auprès du secteur professionnel.  Au regard des risques pesant sur les clubs professionnels, ne faut-il pas  s’interroger sur le maintien de la taxe Buffet cette année (5% des droits TV des disciplines professionnelles), qui, si elle est incontestablement importante pour le secteur amateur et le financement de certains équipements,  pourrait aider à sauver certains clubs professionnels et éviter un effet domino ? De la même manière, le code du sport encadre et limite actuellement les aides des collectivités territoriales aux clubs pros. Ne serait-il pas envisageable, notamment au regard des dernières positions de la Commission Européenne, de déplafonner exceptionnellement ce montant ?

Dans ce même objectif, pourrions-nous envisager, bien entendu dans le cadre d’un contrat avec les services du ministère de la santé, d’augmenter le nombre de dérogations de 10 à 20 accordées aux associations sportives pour la consommation d’alcool dans les enceintes sportives  en contrepartie d’intenses campagnes média en matière d’éducation à la santé?

En conclusion, il existe un grand nombre de solutions à portée de mains des clubs. Elles sont nationales, régionales et locales. Il s’agit d’agir vite et de manière coordonnée afin d’éviter l’effondrement du sport professionnel français qui est structurellement souvent à court de cash au printemps.

Cette note a été rédigée par Hubert Tuillier, Manager Sports Advisory KPMG, et Augustin de Guibert, Senior Manager Restructuring, à partir des informations disponibles au 30 mars 2019. Les informations présentées dans ce document sont relatives aux mesures d’urgence prises par le gouvernement ainsi que les autorités régionales et locales françaises. Nous nous sommes attachés à présenter ces mesures factuellement et les éléments figurant dans ce document ne constituent pas des conseils ou des opinions de KPMG.

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