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Interview

Quel potentiel de croissance pour le marché des droits TV ?

Paolo Bona / Shutterstock.com

La crise sanitaire met en exergue les difficultés rencontrées par les diffuseurs pour rentabiliser les importants investissements consentis dans l’acquisition de droits TV footballistiques, à l’image de la situation de Mediapro sur le marché français. Des signaux avant-coureurs d’une fin de cycle haussier concernant la commercialisation des droits TV des principaux championnats européens étaient déjà perceptibles avant même l’irruption de la pandémie. Le marché des droits TV footballistiques est-il entré dans une phase durable de stagnation ou reprendra-t-il sa marche en avant à la sortie de la crise du Covid-19 ? Pierre Rondeau, Expert en Economie du Sport et Co-Auteur de l’ouvrage « Le foot va-t-il exploser ? » livre ses analyses. Entretien.

Principal diffuseur de la Ligue 1 et Ligue 2 sur le marché français pour la période 2020-24, Mediapro n’honore plus ses traites à la LFP depuis le mois de novembre dernier. Les difficultés rencontrées par le groupe sino-espagnol sont-elles imputables à la crise sanitaire ? Mediapro n’a-t-il pas surpayé les lots acquis lors de l’appel d’offres organisé en mai 2018 ?

C’est toute la question et la période actuelle ne peut pas être le révélateur de la situation globale. Tout d’abord, au-delà des considérations sportives, où il faut bien admettre que le championnat de France ne peut légitimement pas se présenter comme membre d’un big-Five tout puissant, ce sont des considérations économiques qu’il faut avoir en tête. Et à ce niveau-là, le milliard atteint en 2018 est parfaitement légitime.

La France est la 2e puissance économique européenne, avec une très forte densité démographique et une situation sociale stable. Lorsqu’on estime que, potentiellement, jusqu’à 5 millions de personnes ayant un fort pouvoir d’achat déclarent être prêtes à débourser de l’argent pour s’offrir un abonnement à une chaîne de football, mécaniquement ça attire des diffuseurs.

Mais c’est ici tout le paradoxe. Comme le marché français est resté très immature, très inexpérimenté, avec une présence continue de Canal+ et l’arrivée d’un acteur à capitaux illimités, BeIN Sports, et ce malgré les échecs de TPS ou d’Orange Sport, rien ne laissait présager à un éclatement du modèle. Le football attirait des annonceurs, des consommateurs, des acteurs. Autrement dit, il excitait les investisseurs.

Rajoutez à cela une conjoncture intéressante et des événements particuliers : une intervention politique en 2014 qui a permis de maintenir les droits du foot français à un niveau inférieur à la moyenne haute européenne, l’émergence du grand Paris Saint-Germain avec l’arrivée de Neymar et de Mbappé, la montée en puissance de Monaco, l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, qui avait grandement amélioré la réputation de la France à l’échelle internationale, tous les voyants étaient au vert. A cette date, le milliard apparaissait comme légitime.

« Le cas des droits TV en France est la démonstration empirique et réaliste qu’un modèle de marché dérégulé et libéralisé n’est pas optimum »

Seulement, ce n’est pas la question du prix qui pose problème ici, c’est plutôt celle du modèle. Une chaîne monothématique à 25€ par mois, ne proposant que 80% du football français sur un marché caractérisé par une hyperconcurrentialité avec 5 chaînes de sport payantes, et une législation anti-piratage en retard par rapport aux normes européennes peut-elle fonctionner ? Rajoutez à cela la crise du coronavirus, qui n’a pas été un déclencheur mais un accélérateur, et tout l’édifice fragile s’écroule.

Mais je persiste à croire que le milliard d’euros n’était pas surpayé à l’époque. Une chaîne comme Canal+ aurait pu rentabiliser le milliard avec ses 7 millions d’abonnés. BeIN Sports aurait pu booster ses ventes et dépasser les 4 millions d’abonnés en obtenant les droits du foot. Mais pour atteindre le milliard, il faut de la concurrence et donc une fragilité du marché. Le cas des droits TV en France est la merveilleuse démonstration empirique et réaliste qu’un modèle de marché dérégulé et libéralisé n’est pas optimum.

Puis, à mon sens, l’erreur de Médiapro n’a pas été de surpayer mais de monter une stratégie dangereuse. Ils espéraient pouvoir revendre les droits en sous-licence à Canal et/ou à BeIN, afin de rentabiliser leurs investissements. Malheureusement, Mediapro n’a conclu aucun accord et s’est retrouvé contraint de lancer à toute vitesse une chaîne bancale et peu rentable.

Lors du dernier appel d’offres organisé sur son marché domestique, la Premier League a connu une stagnation de ses droits TV pour la période 2019-22. La Bundesliga a connu un résultat similaire lors de sa dernière consultation, avec des droits TV domestiques qui vont connaître une légère baisse pour la période 2021-25 (passant de 1,16 à 1,1 Md€ par saison). A-t-on atteint un plafond de verre concernant les droits TV domestiques des principaux championnats européens ? A terme, l’irruption de nouveaux acteurs (GAFA ? Opérateurs mobiles via la 5G ?) peut-elle relancer un nouveau cycle de croissance ?

Quel potentiel de croissance pour le marché des droits TV ?
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