Face aux importantes difficultés financières actuellement rencontrées par la plupart des clubs professionnels français, plusieurs mesures visant à renforcer la régulation en L1 et L2 ont émergé dans les débats ces dernières semaines. Parmi elles, l’idée d’instaurer un salary cap strict, à l’image du dispositif déjà adopté depuis une quinzaine d’années en TOP 14, fait son chemin. Mais la mise en place d’une telle mesure n’engendrerait-t-elle pas de nouvelles problématiques en matière de compétitivité ? Et serait-elle compatible avec le droit français et européen ? On fait le point avec Me Gautier Kertudo, Avocat Associé au sein du cabinet Barthélémy Avocats. Entretien.
La mise en place d’un salary cap strict est-elle compatible avec le droit français et européen du travail ? Quels sont les principaux obstacles juridiques à l’instauration d’un plafond salarial strict dans le football professionnel ?
La mise en place d’un salary cap « strict » est normalement compatible avec le droit français. En effet, le code du sport à son article L. 131-16 indique expressément que la fédération délégataire peut prévoir des dispositions « relatives au nombre minimal de sportifs formés localement dans les équipes participant à ces compétitions et au montant maximal, relatif ou absolu, de la somme des rémunérations versées aux sportifs par chaque société ou association sportive ».
Le Conseil d’État, dans une décision en date du 11 décembre 2019, s’est d’ailleurs prononcé sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de cet article. Les magistrats ont ainsi pu rappeler que les dispositions précitées du code du sport ne portaient pas atteinte de manière disproportionnée ni à la liberté contractuelle, ni à la liberté d’entreprendre, étant justifiées par la garantie de l’équité sportive des championnats.De fait, aujourd’hui, le salary cap est encadré par des dispositions et une jurisprudence qui garantissent sa légalité.
Concernant les obstacles juridiques, ils peuvent d’abord se trouver au niveau européen. Ainsi, en matière de libre circulation, le salary cap français pourrait être assimilé à une forme d’atteinte à la libre circulation des footballeurs professionnels salariés prévue à l’article 45 du TFUE ou à une entente anticoncurrentielle encadrée par l’article 101 TFUE. La jurisprudence récente issue de l’arrêt DIARRA pourrait également être invoquée pour considérer qu’un salary cap franco-français dans le football porterait atteinte à la libre circulation des joueurs. La décision précitée du Conseil d’État serait un argument fort en réponse. Elle permettrait de rappeler que la restriction envisagée est bien proportionnée, justifiée par un objectif légitime et non discriminatoire.
D’autres obstacles pourraient concerner l’attractivité des clubs français face aux autres pays européens et à l’Arabie Saoudite, au Qatar ou à la MLS, par exemple.Un salary cap exclusivement mis en place en France aurait du sens mais il aurait uniquement de la force s’il était suivi au niveau européen.
Qui pourrait être légitime pour imposer un salary cap dur en France : la LFP, la FFF, l’État, ou une autre instance ? Une telle mesure devrait-elle être négociée avec les syndicats de joueurs et d’employeurs ?
L’article L.131-16 du code du sport fait référence au rôle de la Fédération en matière de salary cap. Ce rôle peut être délégué à la Ligue, comme c’est le cas dans le rugby professionnel. La Fédération comme la Ligue doivent pouvoir imposer un salary cap en France.
Ce rôle des instances n’exclut pas la participation des partenaires sociaux signataires de la Charte du football professionnel, bien au contraire. Cette dernière devra ainsi prendre en considération les mesures de contrôle et l’impact sur le contrat de travail du joueur.
Quelle serait la meilleure méthode pour calculer un salary cap juste et applicable en Ligue 1 et Ligue 2 ? Quels mécanismes de contrôle et de sanction devraient être mis en place pour garantir son efficacité ?
Les outils dédiés au salary cap dans le rugby professionnel ont montré leur efficacité et il est évident que le football devra s’en inspirer. Aujourd’hui, dans le rugby, le dispositif « instaure une limitation, en valeur absolue, des sommes et/ou avantages remis et/ou dus aux joueurs », d’après le règlement de la Ligue. Dans le rugby professionnel, jusqu’en 2027, chaque club ne peut dépasser 10,7 millions d’euros par saison pour les émoluments de ses joueurs auxquels s’ajoutent des crédits supplémentaires. Dans le football, la fixation du plafond aurait tout autant son importance pour garantir la pérennité du dispositif. L’enjeu serait de ne pas accentuer les écarts entre les clubs bénéficiant d’un important budget et les autres.
Concernant les mécanismes de contrôle, là encore, les outils mis en place dans le rugby pourraient être dupliqués : manager et référent salary cap, sanctions financières…
Une telle mesure ne risquerait-elle pas d’affaiblir fortement les clubs français face à la concurrence étrangère ?
