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Evolution actionnariale des clubs français : petit précis de mondialisation

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“J’espère qu’on aura de beaux jours devant nous pour moderniser le football français, on doit être en capacité de se réformer, de retrouver une compétitivité accrue sur la scène européenne, on a plein de choses à faire avec le Paris SG évidemment, mais aussi tous les autres clubs et avec les joueurs”.

Vincent Labrune – Discours d’introduction en tant que Président de la LFP – Septembre 2020

L’ancien président de l’Olympique de Marseille utilise, en guise de premier discours, l’ancestrale maxime du besoin de modernisation du football français afin d’expliquer le terne rayonnement de la Ligue 1 au niveau international. Ce discours tend ainsi à rendre nécessaire la modification de structures et pratiques dans l’optique de « retrouver une compétitivité accrue », ce qu’il faut plutôt entendre comme une capacité à attirer de nouveaux fonds dans le football français afin d’aller concurrencer les autres clubs européens. Si les méthodes déployées sont nouvelles, le mouvement de modernisation des structures sportives, mais aussi du cadre légal sur lequel elles s’appuient, est, lui, beaucoup plus ancien. L’objet de cet article est de mettre en avant les différentes modernisations en cours au sein des structures du football professionnel français, et ce à la lumière d’un indicateur majeur dont les caractéristiques ont profondément changé au cours des deux dernières décennies, celui de la propriété des clubs professionnels français. Analyse de Florent Bergmann.

L’environnement juridique

Depuis l’instauration en 1984 – puis les précisions apportées en 1986 et 1987 – d’une obligation pour les associations sportives de constituer une société commerciale à partir de recettes supérieures à 1,2 million d’euros et/ou de rémunérations versées excédant 800 000 euros (Code du sport, art L.122-1 et R.122-1 al.1), les clubs professionnels ont opté pour des formes de société diverses leur permettant notamment de se rapprocher des structures commerciales des entreprises intervenant dans les autres secteurs de l’économie. Étant donné les caractéristiques historiques des organisations sportives, il a néanmoins été maintenu possible jusqu’en 1999 de conserver une structure associative qui devait alors se doter de “statuts renforcés”.

Faisant suite aux différentes évolutions, le choix demeure aujourd’hui restreint à :

  • La SAOS (Société Anonyme à Objet Sportif), qui ne permet ni la rémunération de ses dirigeants, ni la distribution de dividendes ;
  • L’EUSRL (Entreprise unipersonnelle sportive à responsabilité limitée) ;
  • Les formes classiques de société commerciale (SA, SAS, SARL) ;
  • Ou la SASP (Société Anonyme Sportive Professionnelle) depuis son instauration à la fin des années 1990.

Parmi les 40 clubs professionnels apparaissant dans le dernier rapport DNCG mis en ligne (saison 2019-2020), 25 avaient opté pour le statut SASP, 10 pour la SA (dont Monaco et son statut particulier de SA monégasque), 4 pour la SAS et 1 pour la SASU. A noter néanmoins qu’en droit français, l’association et la société doivent coexister et ce malgré la création d’une société commerciale. Une convention régit alors la répartition de leurs tâches (L.122-14 du Code du Sport). En substance, cela se manifeste également par la détention de quelques actions du club par l’association.

L’évolution des structures

Historiquement, étant donné les prises de participation des différentes collectivités locales, les SEMSL (Société d’Economie Mixte Sportive Locale) et SAEMS (Société Anonyme d’Economie Mixte Sportive) représentaient des modèles de société sportive plutôt répandus qui permettaient d’associer capitaux privés et publics. Ces deux types de société ne permettaient toutefois ni la distribution de dividendes ni la rémunération des dirigeants. Le LOSC (jusqu’en 1999), le Racing Club de Strasbourg (jusqu’en 1997) ou encore le Stade Rennais (également jusqu’en 1997) étaient par exemple détenus majoritairement par les collectivités locales.

En dehors de l’association des capitaux publics et privés, ce modèle pouvait également permettre l’intervention de la personne publique dans le cadre d’un “sauvetage” ponctuel des clubs à la dérive comme ce fut le cas pour l’AS Saint-Etienne en 1996 ou l’Olympique de Marseille en 1995 lorsque les mairies respectives avaient dû intervenir pour éviter la faillite des deux clubs. Cependant, autant le durcissement des conditions de versement des subventions destinées aux structures professionnelles (loi DDOEF du 8 aout 1994 puis révisions) que l’obligation de transformation en sociétés commerciales avec l’apparition du statut de société SASP, ont finalement mis un terme aux pratiques participatives des collectivités locales dans le capital social des clubs.

Si l’épisode de la faillite du Grenoble Foot 38 en 2011 et sa gestion par la ville jusqu’en 2014 nous rappelle néanmoins la volonté d’implication plus ou moins directe des municipalités dans la gestion de clubs qui apparaissent toujours comme des vitrines locales et/ou nationales, il ne demeure pas moins vrai que la personne publique semble s’être éloignée du financement des clubs de football professionnels. Le double mouvement de désengagement des collectivités locales et d’instauration de structures incitatives dans l’optique d’attirer de nouveaux actionnaires au capital, a initié un mouvement d’attraction qui s’est amplifié avec l’explosion des droits télés – et donc des produits potentiels à recevoir pour les clubs.

La première vague d’investissement

L’ouverture des capitaux a ainsi modifié le panel d’acteurs susceptibles d’intégrer l’actionnariat des clubs sportifs. Aux traditionnels entrepreneurs locaux – et / ou entreprises locales – qui semblaient principalement intéressés par un rayonnement territorial, sont venus s’ajouter des apporteurs de fonds poursuivant des objectifs totalement différents.

Les objectifs furent d’abord régionaux et nationaux dans la période de transition post-désengagement institutionnel que l’on peut globalement dater de 1995 à 2005 (le cas du PSG, racheté au début des années 1990 demeurant un cas à part) :

  • M6 reprend la gestion des Girondins de Bordeaux en 2000 ;
  • Michel Seydoux et Isidore Partouche rachètent les parts de Luc Dayan et Francis Graille à Lille en 2004 ;
  • Robert Louis-Dreyfus rachète les parts de la ville pour reprendre la gestion de l’Olympique de Marseille en 1996 ;
  • le groupe Pathé entre au capital – à hauteur de 34% – de l’Olympique Lyonnais en 1997.

En parallèle, la Socpresse – future filiale du groupe Dassault – rachète le FC Nantes, Bernard Caïazzo et Roland Romeyer entrent au capital de l’AS Saint-Etienne, IMG Mc Cormack prend la gestion du Racing Club de Strasbourg…

Une tendance globale consécutive à cette vague de rachats ou entrées au capital semble se dégager : l’objectif principal est au moins autant la maximisation des dividendes que les retombées en termes d’image régionale et nationale. Les rachats des Girondins de Bordeaux par M6 dans une optique de communication à grande échelle pour palier à la communication ratée pendant la Coupe de Monde 1998, du FC Nantes par la Socpresse dans une optique de conquête du marché local ou encore du Stade Rennais par Artémis (groupe François Pinault) sont les exemples les plus criants de ce désir d’expansion locale.

Le désengagement progressif de la puissance publique semble donc avoir, dans un premier temps, fait la part belle aux investisseurs locaux et nationaux ; preuve en est que jusqu’au milieu des années 2000, toutes les prises de participation ont été réalisées par des investisseurs et entreprises d’origine française. C’est, par exemple, la filiale IMG France qui est à l’initiative du rachat du Racing Club de Strasbourg et non la maison-mère. Néanmoins, une seconde vague semble s’enclencher au milieu des années 2000 et prend ensuite sa pleine mesure dans la seconde partie des années 2010.

La seconde vague d’investissement

         Les points de rupture

Deux évènements marquent un véritable point de rupture avec les pratiques connues jusqu’ici en France. En 2004 tout d’abord, le Grenoble Foot 38 est racheté par le groupe japonais Index Corporation. Plus précisément, le groupe devient actionnaire majoritaire en rachetant les parts de la ville de Grenoble. Pari en partie réussi puisque le club retrouve la Ligue 1 après 45 années d’absence au plus haut niveau. Si la suite est beaucoup plus chaotique et aboutit sur un dépôt de bilan en 2011, l’événement est marquant ; une entreprise japonaise a investi dans un club de football français. Deux années plus tard, un autre événement frappe les esprits ; des fonds d’investissement dont Colony Capital – fonds d’origine américaine – s’associent pour racheter le Paris Saint Germain à son actionnaire historique qu’est Canal+.

Ce double épisode, couplé à la parodie de rachat de l’Olympique de Marseille par Jack Kachkar, illustre en réalité une profonde rupture. Le football français est désormais un objet attractif qui séduit les investisseurs internationaux. Les raisons sont bien évidemment multiples, mais deux d’entre elles peuvent être isolées et mises en avant :

Le football demeure un formidable objet politique capable de conférer des retombées en termes d’image à l’international,

Les produits tirés de l’activité sont en hausse constante et ne semblent pas avoir atteint leur plafond (cf. chapitre 2 du livre Créer de la valeur dans le football d’Henri Philippe, Franck Bancel et Bruno Belgodère).

         Les transactions modernes

Il est ainsi possible de voir les conséquences de cette attractivité du football français – et du football en général – sur les mouvements en termes de propriété des clubs professionnels au cours des années 2010. Les prises de participation au sein des clubs revêtent désormais des objectifs fondamentalement différents de ceux qui étaient moteurs des transactions au tournant du millénaire. Trois types de transactions se détachent et peuvent englober l’intégralité des mouvements récents.

Dans un premier temps, il est clair que les investissements, étrangers ou nationaux, dans les clubs français, sont motivés par l’attrait d’un gain à réaliser à plus ou moins long terme. L’explosion prévue des droits télévisés (contrat Mediapro), le potentiel territorial à exploiter ou l’objectif d’achat d’un stade sont des facteurs qui ont certainement poussé Frank McCourt (OM), Dmitri Rybolovlev (AS Monaco), Gérard Lopez (LOSC puis Girondins de Bordeaux) ou Jim Ratcliffe (OGC Nice) à l’investissement. L’objectif initial est de racheter un club à une valeur qui sera inférieure à celle qui aura cours au moment de la revente, tout en tirant des bénéfices au cours de l’exploitation des clubs professionnels.

Ne nous y trompons pas, les récents mouvements de rachat des clubs par des fonds d’investissement (RedBirdCap à Toulouse, Oaktree Cap à Caen, Amber Cap à Lens et surtout King Street à Bordeaux) sont motivés par des ambitions de plus-value à court terme. L’un des exemples les plus récents est bien évidemment le rachat de l’OGC Nice par Chien Lee et Alex Zeng en 2016, puis la revente trois années plus tard au groupe Ineos dont Jim Ratcliffe est le dirigeant. Néanmoins, la perspective de gains peut également être de plus long terme pour les investisseurs. C’est sur cet argument que Jean-Michel Aulas a d’abord introduit 25% du capital de l’OL en bourse – ce qui était interdit par nature avant cet évènement – en 2007 puis a favorisé l’arrivée d’un actionnaire minoritaire chinois en 2016 – IDG Capital pesant désormais environ 20% du capital. Accolé à un projet de construction de stade, l’objectif de long terme a été annoncé aux investisseurs potentiels ce qui a permis d’obtenir un financement durable pour l’Olympique Lyonnais.

Un second facteur d’attrait pour les investisseurs demeure bien évidemment les retombées en termes d’image au niveau international. On retrouve logiquement ici le rachat du Paris Saint Germain par QSI, fonds souverain de l’État du Qatar. L’objectif initial du rachat semblait assez clair, faire du PSG une vitrine de l’État enclavé dans la perspective de l’organisation d’une Coupe du Monde. Objectif atteint puisque la prochaine Coupe du Monde se déroulera au Qatar en 2022. Dans une moindre mesure, la récente entrée au capital du fonds souverain du Bahreïn au Paris FC, semble également intégrer l’objectif de retombées en termes d’image.

Enfin, le récent rachat de l’Estac de Troyes par le City Football Group a mis en avant une troisième logique de rachat, celle d’intégrer des clubs français dans des consortiums de club afin d’en tirer des bénéfices financiers et sportifs. Illustrés par le rachat du Cercle Brugge KSV par l’AS Monaco ou encore par les prises de participation du LOSC dans plusieurs clubs belges, cette logique est mise en exergue dans plusieurs structures professionnelles. L’ESTAC a intégré le City Football Group en 2020, quand le Clermont Foot 63 intégrait le Core Sport Capital d’Ahmet Schafer (Austria Lustenau en Autriche, Vendsyssel FF au Danemark sont également membres de ce groupement), la Berrichone de Châteauroux, l’United World Group (avec Sheffield United en Angleterre, Al Hilal United FC en Arabie Saoudite, Kerala United FC en Inde et K.Beerschot FC en Belgique) et l’AS Nancy Lorraine le New City Capital – dont le président Chien Lee était actionnaire à hauteur de 33% de l’OGC Nice avant le rachat par Ineos –  aux côtés de Barnsley FC (Angleterre), du FC Thun (Suisse), du K.V Oostende (Belgique) et du Esbjerg FB (Danemark). 

Dans une moindre mesure, les rachats du FC Sochaux par le Nenking Group qui compte plusieurs clubs chinois en son sein ou de l’AJ Auxerre par James Zhou, illustrent cette volonté de créer des consortiums de club dans l’optique de faciliter les transactions entre joueurs ou les partenariats entre pays – notamment dans une perspective de développement académique pour les investisseurs chinois.

Ces différents mouvements de rachat ou prise de participation – plus d’une vingtaine depuis 2004 et le rachat de Grenoble – semblent totalement différents de ceux qui étaient réalisés au moment de la disparition de la personne publique en tant qu’actionnaire des clubs. Un exemple criant est de constater que les derniers mouvements de rachat ou de prise de participation ont quasi exclusivement été réalisés par des entrepreneurs ou fonds d’investissement étrangers. Loin donc du grand trait que nous avions pu tirer à propos du rachat des clubs au début des années 2000.

Quel horizon pour les clubs français ?

Dans le cas des rachats par des fonds d’investissement, la longévité pré-revente interpelle. Elle fait notamment écho à des propos retranscrits dans le procès-verbal d’une séance de discussion au Sénat relative à l’introduction de la SASP comme forme de société et à sa potentielle ouverture à l’épargne public le 20 octobre 1999 :

 “Les clubs français – même les plus importants – ont éprouvé certaines difficultés à attirer des actionnaires de référence disposés à s’engager dans un partenariat durable et fondé sur une véritable stratégie d’entreprise. Le cas de « l’association » entre Canal Plus et le PSG est longtemps demeuré une exception. Ce n’est que tout à fait récemment que cet exemple a commencé à faire école et que d’autres sociétés intervenant dans des secteurs susceptibles de synergies avec l’activité sportive ont pris des participations dans des clubs de football, telles M6, Pathé ou MG France. L’introduction en bourse risquerait davantage de favoriser des investissements plus spéculatifs – voire d’offrir à certains investisseurs une occasion bienvenue de récupérer leur mise – que de favoriser des partenariats dont les clubs ont besoin pour bâtir et mener à bien des plans de développement.”

En effet, les trois motivations de rachat que nous avons pu mettre en avant introduisent leurs lots de problématiques :

La logique de maximisation des plus-values à court/moyen terme peut potentiellement mettre en danger les clubs comme l’on a pu le voir avec les cas bordelais (King Street et GACP) et lillois (Gérard Lopez a financé son rachat par un LBO à l’image, entre autres, de celui réalisé par les Glazer au moment du rachat de Manchester United).

Un rachat pour des seules logiques de retombées en termes d’image peut également mettre en danger l’équilibre d’un club à long terme, en témoigne l’exemple du désengagement dangereux de M6 vis-à-vis des Girondins de Bordeaux avant la revente au fonds d’investissement GACP ou encore le point d’interrogation qui entoure la participation de QSI dans le fonctionnement du PSG après la Coupe du Monde au Qatar.

Enfin, un rachat dans l’optique d’une création d’un consortium de clubs peut tendre à faire apparaître les ligues professionnelles françaises comme des “terrains de perfectionnement” pour les jeunes pousses des grands clubs européens et ainsi participer à l’accroissement des écarts. A un degré moindre, cela pousse aussi à la création d’une Super League qui instaurera, cette fois en droit, des écarts établis entre les différentes ligues européennes qui se superposeraient.

S’il est donc important de constater le processus de modernisation des structures sportives du football professionnel français, il semble également essentiel d’y apporter un regard critique et alerte. Certes, il est agréable de constater l’attrait des investisseurs internationaux pour le football français alors même que la DNCG n’entend pas rendre ses règles plus flexibles à l’avenir et que le produit en tant que tel est un vrai point d’interrogation (droits télévisés à la baisse, incertitude intrinsèque de l’investissement dans le football). Néanmoins, les difficultés récentes rencontrées par les Girondins de Bordeaux, comme l’intégration de plusieurs clubs de Ligue 2 dans des consortiums de clubs où ils ne semblent pas être appelés à jouer les premiers rôles, doivent représenter des signaux d’alarme pour les décisionnaires des instances du ballon rond qui souhaitent avant tout “moderniser le football français”.

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