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Quelle valorisation pour la future société commerciale de la LFP ?

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Au cours des derniers mois, plusieurs grandes ligues du football européen ont entamé des négociations avec des fonds d’investissement pour une prise de participation dans une société ad-hoc rassemblant leurs principaux actifs commerciaux. Motivées par les graves conséquences économiques de la crise sanitaire, ces discussions n’ont pour le moment pas abouti en Lega Serie A ou encore en Bundesliga. Et en Liga, Javier Tebas doit affronter l’hostilité des géants du championnat. La LFP sera-t-elle finalement l’une des premières grandes ligues du football européen à être accompagnée par un fonds d’investissement dans son développement ? Et quelle pourrait être la valorisation de cette hypothétique société commerciale ? Luc Arrondel, Economiste du Sport et Directeur de Recherche au CNRS, livre ses analyses à ce sujet. Entretien.

Un accord de principe a été annoncé la semaine dernière concernant une prise de participation minoritaire de CVC dans une société regroupant tous les actifs commerciaux de LaLiga contre un investissement de 2,7 Mds€ (ndlr : l’accord devrait être finalement de 2,1 Mds€ en raison du retrait de certains grands clubs ibériques). Pourquoi les fonds cherchent-ils à entrer au capital de sociétés commerciales contrôlées par les ligues ?

Avant de répondre précisément à cette question, il peut être intéressant de prendre un recul historique afin de mieux comprendre le présent et entrevoir un futur possible. Le football « post-moderne », celui qui débute au milieu des années 1990 avec « l’arrêt Bosman », est une économie en forte croissance : pour les clubs du Big Five, 2,7 Mds€ de chiffre d’affaires en 1997 contre 17 Mds€ en 2019. Cette croissance, au moins à l’origine, s’explique d’une part par l’explosion des droits TV et d’autre part par l’arrivée des milliardaires, puis des États, qui rachètent des clubs.

Pourquoi investissent-ils dans le football ? Les motifs sont divers. On invoque souvent des raisons géopolitiques et de soft power pour les États. Pour les milliardaires, les clubs de football pourraient être des sugar daddies, des « biens positionnels », détenus par « rivalité pécuniaire » (T. Veblen), évergétisme (P. Veyne) ou encore par une stratégie économique liée à d’autres secteurs. Ce qui est notable, c’est que ces propriétaires n’attendent pas de rendements pécuniaires de leurs investissements dans les clubs : leur intérêt est ailleurs et on peut même dire que le football a pu bénéficier de leur « philanthropie » ou de leur « mécénat ». Ce qui tombe bien puisque les clubs de football ne sont pas réputés pour leur rentabilité – ce sont les joueurs qui « captent » la rente. Néanmoins, depuis 2011, avec le FPF et la croissance des revenus, et avant la crise du Covid ; le football européen a considérablement comblé ses déficits et son endettement, et présentait même une balance globalement excédentaire avant le « grand confinement ». La hausse des droits TV et du sponsoring a notamment permis à de nombreux clubs de Premier League d’atteindre un résultat d’exploitation positif.

Parallèlement à cette croissance économique, le football a vu le marché des transferts se développer et les valeurs d’échange croître de manière importante, même si on est loin d’une bulle spéculative que beaucoup invoquent pour en prédire l’explosion. Par ailleurs, les plus grands clubs européens n’ont jamais été autant valorisés.

Ce nouveau contexte économique caractérisé par la forte croissance des droits TV, l’inflation des montants de transferts et la forte valorisation des clubs, fait que certains acteurs anticipent, à moyen terme, que le football sera, d’une manière ou d’une autre, rentable économiquement : soit en percevant des bénéfices via l’exploitation du club, soit en engrangeant d’importantes recettes via le trading de joueurs, soit en enregistrant une plus-value au moment de la revente des parts du club. C’est, de mon point de vue, le pari et la logique économique des fonds d’investissement ou de private equity (capital-investissement).

Jusqu’à présent, ces fonds ont surtout investi dans les clubs. En France, par exemple, le fonds RedBird a investi au Toulouse FC, New City Capital à l’AS Nancy-Lorraine, Oaktree au Stade Malherbe Caen, City Football Group à l’ESTAC… Mais les fonds explorent d’autres pistes pour gagner de l’argent dans le football. Et la crise sanitaire pourrait ouvrir ces pistes.

En effet, pour les fonds de private equity, investir dans les clubs peut apparaître trop risqué en raison de l’aléa sportif lié au système de promotion-relégation européen. Le développement, par les ligues de football, de sociétés commerciales dédiées à la gestion de leurs droits sportifs, leur offre ainsi l’opportunité d’investir dans les championnats plutôt que dans les clubs, éliminant ainsi le risque sportif. La prise de participation des fonds dans ces sociétés commerciales consistera alors à optimiser l’exploitation des droits TV qu’ils anticipent en hausse. La crise sanitaire, ayant mis à mal les finances de beaucoup de clubs européens, y compris certains gros, pourrait effectivement faciliter l’arrivée de ces fonds dans les ligues qui y injecteraient alors des liquidités.

« La présence importante de ces fonds dans le football européen est susceptible de modifier profondément le fonctionnement de son économie »

Mais il n’y a pas que les championnats nationaux qui intéressent les fonds. Ces derniers lorgnent aussi sur les compétitions internationales. Ainsi, le projet de Coupe du monde des clubs de la FIFA et celui de refonte de la Ligue des champions auraient eu pour partie prenante le fonds Centricus Asset Management.

La présence importante de ces fonds dans le football européen, que ce soit au niveau des clubs ou des compétitions, est susceptible de modifier profondément le fonctionnement de son économie. Contrairement à sa pratique habituelle et « historique », il va « devoir » être rentable économiquement.

Un accord du même type a failli être conclu au mois de février dernier entre la Lega Serie A et les fonds CVC, Advent & FSI. Une transaction à hauteur de 1,7 Md€ était évoquée mais le deal n’est finalement pas allé à son terme en raison de l’opposition manifestée par plusieurs grands clubs italiens. Pourquoi certains dirigeants de grands clubs européens manifestent-ils des réticences concernant ces accords ?

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