Sujet longtemps ignoré au sein du sport professionnel français, plusieurs clubs de Ligue 1 ont conduit ces derniers mois d’intenses réflexions visant à enrichir la fan-expérience au stade et à créer un véritable parcours spectateur dans l’optique de séduire et fidéliser de nouveaux publics. Avec des prises d’initiatives intéressantes…
« En France, on a trop longtemps accepté une qualité de service moindre dans les stades sans réelle justification. » Le ton est donné par Benjamin Roumegoux. Aujourd’hui chez Ticketchainer, l’ancien Responsable des activités commerciales des Chamois Niortais a eu tout le loisir d’étudier le fonctionnement et l’organisation des franchises de sports US en réalisant en 2019 une grande tournée des stades les plus mythiques du continent nord-américain. L’occasion de découvrir une conception de la fan-expérience très éloignée du marché français voire européen.
« Aux Etats-Unis, la satisfaction spectateur constitue la priorité ultime des organisateurs d’événements, quel que soit le profil du public. Par exemple, à Atlanta, les portes du Mercedes-Benz Stadium sont ouvertes 4 heures avant le coup d’envoi du match. Et il y a des animations pour tous les publics : concerts, bornes de réalité augmentée, shows d’acrobates, manèges pour les plus jeunes… Dans les coursives cohabitent chaînes traditionnelles de restauration de type Shake Shack et restaurateurs locaux ou healthy. On se croirait dans un véritable parc d’attractions. Le spectateur français a de quoi être décontenancé » décrit avec le sourire Benjamin Roumegoux.
En effet, le contraste est saisissant par rapport à l’expérience régulièrement vécue dans les principales enceintes du football français. Offre de restauration relativement pauvre et peu accessible lors des temps forts, sanitaires sales, stadiers obnubilés par les consignes de sécurité et oubliant parfois certaines règles élémentaires de politesse… le spectateur hexagonal a rarement droit à un traitement de faveur lors de sa venue au stade. Sauf s’il a accès aux salons réceptifs destinés essentiellement à la clientèle B2B.
Un manque de considération pour le sujet de la fan-expérience qui a créé de mauvaises habitudes au fil des saisons. « Le schéma classique du spectateur français est de se rendre au stade pour le coup d’envoi et, souvent, de repartir avant la fin du match pour éviter les bouchons » explique Olivier Maillard, travaillant dans le secteur du sport professionnel depuis plus de 20 ans. La (mauvaise) qualité d’accueil et l’absence de parcours spectateur sont les principales causes de ce temps restreint passé au cœur de l’enceinte selon ce professionnel de l’industrie sportive. « Un spectateur doit être accueilli avec le sourire et non comme un hooligan potentiel ! En France, on utilise le terme de stadier pour désigner le personnel d’accueil alors qu’aux Etats-Unis, on fait de la Guest Experience. A travers le vocabulaire, on saisit rapidement la différence d’approche » illustre ainsi Olivier Maillard.
Cette absence de prise en compte des enjeux liés à la fan-expérience engendre de fortes répercussions sur le développement du sport français. Sans surprise, les clubs éprouvent des difficultés à attirer de nouveaux publics dans les enceintes ou encore à augmenter le panier moyen du spectateur. Résultat : malgré la livraison des nouveaux stades pour l’EURO 2016, les revenus tirés de la billetterie grand public ont stagné en Ligue 1 autour de la barre des 200 m€ par saison, représentant seulement 10% des produits d’exploitation des clubs de l’élite du football hexagonal.
Une réelle prise de conscience émerge au sein du football français
Plusieurs facteurs peuvent expliquer le prétendu désintérêt des clubs professionnels français pour la question de la fan-expérience. Le modèle économique, essentiellement basé sur la croissance des droits TV et les plus-values enregistrées sur le marché des transferts, constitue un élément d’explication dans le football hexagonal. La qualité des équipements et le modèle d’exploitation des stades sont également des motifs régulièrement avancés pour justifier le manque de dynamisme. La crainte de réactions négatives manifestées par les plus fervents supporters a aussi longtemps eu un effet anesthésiant. « Les ultras représentent l’âme d’un club de football. Ils sont les garants de l’animation en tribunes et, d’une certaine manière, de l’identité du club. Il faut toujours leur réserver une place à part. Mais cela ne doit pas empêcher les clubs de songer à des plans d’action pour ouvrir leur enceinte à de nouveaux publics. On ne dénature nullement le spectacle sur la pelouse en proposant de nouvelles animations ou encore une offre de restauration de meilleure qualité » préconise ainsi Olivier Maillard.
Si les clubs ont longtemps été pris en défaut en matière de qualité d’accueil au stade, plusieurs formations de premier plan de Ligue 1 ont pris le sujet de la fan-expérience à bras le corps au cours des derniers mois. Une montée en puissance qui se traduit par un réaménagement des organigrammes et la création de postes dédiés à la fan-expérience. « Il y a encore une poignée d’années, les clubs de Ligue 1 ne dédiaient aucune ressource à la fan-expérience. Cela commence à évoluer dans le bon sens. A titre d’exemple, l’AS Saint-Etienne a recruté Aymeric Pijanowski en qualité de Référent Fan Expérience » observe Benjamin Roumegoux.
D’autres clubs se sont attachés à créer un véritable pôle fan-expérience en y rattachant plusieurs ressources. C’est le cas notamment au FC Girondins de Bordeaux, club au sein duquel la fan-expérience est rattachée au service marketing événementiel. « La crise liée au Covid-19 a constitué une période propice à la réflexion au sein du club. Nous avons bien pris le temps de réfléchir à notre stratégie de fan-expérience. Ce n’est pas toujours évident au sein d’un club de Ligue 1 de prendre du recul. Nous sommes toujours pris dans l’urgence de l’organisation du prochain match. Cela a été le seul bon côté de cette période difficile mais on a su en tirer profit » révèle ainsi Paul Bouffard, Chef de Projet Fan Expérience au FC Girondins de Bordeaux.
L’intégration à l’organigramme de ressources dédiées à la fan-expérience permet aux clubs d’enclencher une véritable politique de grands travaux. Une stratégie qui donne naissance à des projets concrets. Du côté de Geoffroy Guichard, l’AS Saint-Etienne a ainsi mis sur pied en cette saison 2021-22 sa Fan Squad. Cette équipe, composée de 20 à 30 personnes selon les matches, est chargée d’accueillir les spectateurs dès leur arrivée sur le parvis de l’enceinte stéphanoise. Regroupés en trois équipes – information, servicing et animation – les membres de la Fan Squad sont les véritables porte-voix de l’ASSE en jour de match. Autre nouveauté de cet exercice : l’aménagement d’un corner famille dans la tribune Henri-Point avec la mise en place d’animations dédiées aux enfants en avant-match et durant la mi-temps.