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Les clubs de football professionnel doivent-ils inclure les indemnités de transfert dans le calcul de la CVAE ?

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Alors que de nombreux acteurs du football français ont concentré leur attention ces derniers jours sur la publication du décret d’application de la nouvelle formule du droit à l’image destiné aux sportifs professionnels – publication qui a depuis été repoussée – une décision de justice dernièrement rendue à l’encontre du PSG au sujet du calcul de la taxe professionnelle et l’entrée en vigueur prochaine d’une réforme des caisses de retraite pourraient venir alourdir significativement le poids de la fiscalité appliquée au football professionnel français. Ecofoot.fr fait le point sur ces deux sujets avec Me Skander Karaa, Maître de Conférences en droit privé au CDES de Limoges.

Le Conseil d’Etat a dernièrement décidé d’annuler un arrêt prononcé par la Cour d’Appel de Versailles, donnant ainsi raison à l’administration fiscale dans le litige l’opposant au PSG au sujet du calcul de la taxe professionnelle. Pouvez-vous nous éclairer sur le verdict prononcé par le Conseil d’Etat ?

L’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 6 décembre dernier est loin d’être anodin pour les clubs professionnels, en particulier de football, dans la mesure où il apporte une confirmation importante, sous forme de solution de principe, concernant le sort fiscal et comptable des indemnités de transfert de joueurs. Cet arrêt est d’ailleurs venu nourrir une actualité assez riche concernant les transferts avec, à la même époque, le dépôt d’une proposition de loi visant à instaurer une taxe sur les indemnités de transfert, des accords conclus au plan international notamment entre la FIFA et la FIFPro conduisant au retrait de la plainte de cette dernière déposée en 2015 devant la Commission Européenne contestant le système des transferts, ou encore avec la rencontre entre le Président de la République, Emmanuel Macron et le Président de la FIFA, Gianni Infantino, autour de la régulation des transferts.

Mais, pour en revenir à cette affaire, c’est effectivement le club du PSG qui en est à l’origine après avoir fait l’objet d’une vérification de sa comptabilité sur les exercices 2008 et 2009, puis dans la foulée d’une décision de l’administration fiscale ne lui étant pas favorable. Plus précisément, en l’espèce, l’administration fiscale avait décidé de réintégrer, dans la valeur ajoutée servant de référence pour la détermination de la cotisation minimale de taxe professionnelle, les produits tirés des cessions de contrats de joueurs réalisées par le club durant cette période. Rappelons ici que, dans le cadre du calcul de la taxe professionnelle hier, de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) aujourd’hui, est prise en compte la valeur ajoutée produite par l’entreprise (qui diffère du chiffre d’affaires incluant notamment les produits exceptionnels) tel que précisé par la réglementation comptable.

La question posée était donc de savoir dans quelle mesure les indemnités de transfert perçues par un club professionnel entraient ou n’entraient pas dans la base de calcul de cet impôt.

Alors qu’en première instance la requête du PSG (en réduction de cotisation minimale et décharge de cotisation supplémentaire de taxe professionnelle) fût rejetée, la Cour administrative de Versailles a, à l’inverse, donné raison au club. Elle a estimé que, pour ce dernier, les indemnités de transfert perçues en 2008 et 2009 ne participaient pas de son activité normale et habituelle, ni n’entraient dans ses produits courants devant être pris en compte dans le calcul de la valeur ajoutée. Les juges versaillais sont partis du principe qu’à la différence d’autres clubs pour lesquels ces indemnités tendent à devenir des instruments structurels d’ajustement budgétaire, ces cessions ne révélaient pas un modèle économique axé sur la vente de joueurs professionnels qui était d’ailleurs intervenue à l’initiative des joueurs, en raison de leur mésentente au sein de l’équipe ou pour rejoindre d’autres clubs.

Le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt d’appel pour erreur de droit. Remettant en cause l’analyse au cas par cas, il estime que « les cessions de contrats de joueurs présentent désormais de manière générale, pour les clubs de football professionnels, un caractère récurrent et génèrent une part significative voire structurelle des produits qu’ils réalisent », et d’ajouter que ces produits « font ainsi partie du modèle économique de ces clubs et doivent dès lors être regardés, compte tenu de la spécificité de leur activité, comme ayant un caractère habituel, alors même que le transfert des joueurs n’interviendrait pas toujours au moment où les clubs pourraient en tirer le plus grand profit ». Autrement dit, parce qu’elles font communément partie du modèle économique des clubs professionnels, les indemnités de transfert doivent être prises en compte dans le calcul de la valeur ajoutée, en l’occurrence pour le calcul de la taxe professionnelle.

Pour en savoir plus sur le calcul de la CVAE : https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/F23546

Cette décision signifie-t-elle désormais que les clubs professionnels français vont devoir inclure les indemnités perçues lors de la vente de joueurs dans le calcul de la CVAE ? Un nouveau recours est-il possible à ce sujet ?

Effectivement, il me semble que les clubs professionnels vont devoir désormais intégrer les indemnités de transfert dans le calcul de la CVAE pour éviter tout risque de redressement. Comme d’autres auteurs, on peut dire qu’il s’agit d’une décision de principe qui vient confirmer une jurisprudence dominante au niveau des cours administratives d’appel. A la réalité de l’activité économique de certains clubs professionnels, le Conseil d’Etat a, semble-t-il, privilégié un principe de simplicité. En effet, il paraît écarter une analyse au cas par cas permettant de voir si les indemnités de transfert constituaient des produits courants nécessaires à l’activité économique du club ou alors de simples produits accessoires liés à des choix sportifs plutôt qu’économiques. En employant les termes « désormais » ou « de manière générale », le Conseil d’Etat affirme clairement que les indemnités de transfert constituent des recettes normales et courantes qui entrent dans le calcul de la valeur ajoutée du club, sans forcément ouvrir la voie à des exceptions…

Sur le dernier point, plus qu’un nouveau recours c’est plutôt une nouvelle décision de juges du fond que l’on doit attendre puisque le Conseil d’Etat a renvoyé l’affaire devant la même cour d’appel de Versailles. Sauf « rébellion », cette dernière devrait vraisemblablement se conformer à la solution rendue par les Hauts magistrats fin 2017.

Peut-on déjà évaluer l’impact fiscal d’une telle décision sur le football professionnel français ?

Si cette décision devait être confirmée, cela aurait forcément un impact négatif sur le montant de la CVAE payée par les clubs français. Mais, à ce stade, il est difficile d’en dire plus car les acteurs du football professionnel se penchent actuellement sur cette question de façon plus précise. Notons d’ailleurs qu’une telle évaluation n’est pas forcément évidente dans la mesure où les cessions de joueurs sont, comme vous le savez, très variables d’une année sur l’autre.

Je profite de votre question pour évoquer un autre point d’actualité qui va prochainement avoir un impact financier important sur les clubs professionnels de football mais, plus généralement, sur tous les clubs professionnels de sports collectifs. En effet, au 1er janvier 2019, entreront en vigueur la fusion des deux caisses de retraite AGIRC et ARCCO  ainsi que la réforme des taux de cotisation retraite qui en découle. Avec notamment un déplafonnement pour les salariés non-cadres (que sont les sportifs !), cela va de fait entrainer un surcoût de cotisation assez conséquent pour les clubs. Là encore, une estimation plus précise de l’impact de cette réforme serait en cours de réalisation.

Au final, tout cela doit évidemment s’inscrire dans une réflexion plus globale, déjà pas mal nourrie par un certain nombre de textes de loi et de rapports récents, en ce qui concerne la compétitivité de nos clubs professionnels dans le contexte concurrentiel européen que l’on connaît ainsi que sur la pérennité de leur modèle économique, en football mais également dans les autres disciplines professionnelles.

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