Stratégie

Le défi de l’indépendance de la FIFA : la mission cruciale pour Gianni Infantino

Gouverner, c’est choisir”. Si le Duc de Lévis[1] ne songeait pas à la FIFA en réfléchissant à l’exercice du pouvoir, Gianni Infantino, son nouveau président, a déjà dû méditer cette phrase. En effet, à peine élu, dans des circonstances qui le laissent dépendants de ses soutiens américains, le successeur de Sepp Blatter devra montrer une habileté politique manifeste au regard des défis qui se profilent pour renouveler et refonder l’institution zurichoise.

Faire face aux menaces : Reconquérir une indépendance aujourd’hui perdue

Restaurer l’image de la FIFA” est le premier objectif avoué. La victoire de l’italo-suisse, ses apparitions récentes en short et crampons ou la campagne de communication permanente qui l’accompagne, attestent d’une relative réussite médiatique. Pour autant, l’image ne suffira pas.

Car l’enjeu majeur est tout autre pour cette organisation qui reste la plus puissante des institutions du sport global avec le CIO: c’est le retour de son indépendance. En effet, là où la FIFA avait su bâtir en trois décennies, son autonomie vis-à-vis des Etats. Aujourd’hui, tout semble à refaire. Devenue l’une des rares organisations supra-nationales capable d’exercer une gouvernance mondiale, l’institution qu’on comparait volontiers à l’ONU, n’a plus son destin en mains. Tel est l’héritage laissé par Sepp Blatter, digne continuateur de Joao Havelange et Host Dassler.

En raison de ses scandales répétés (ISL, désignation des Coupes du monde 2018 et 2022…), de sa corruption systémique, des abus de ses élus et de l’opacité de ses transactions, la FIFA a perdu son autonomie de décision, et plus encore l’indépendance que sa puissance globale lui avait offerte. Ce qui couvait depuis une décennnie est devenue réalité avec l’intervention américaine des derniers mois : la fin de l’innocence, de l’insouciance et de l’entre-soi.

Résister aux pressions et répondre par l’exemplarité : le défi politique et personnel de Gianni

Aujourd’hui, l’organisation zurichoise est sous pression comme jamais. Dans la ligne de mire des justices suisse et américaines, elle est menacée par les investigations du FBI, du FISC américain… Plus encore, est-elle attaquée par les médias, par les politiques suisses, par la société civile et des journalistes aussi acharnés qu’Andrew Jennings (Le Scandale de la FIFA, Seuil) ou Heidi Blake et Jonathan Calvert (L’homme qui acheta une coupe du monde – Le complot qatari, Hugo et Compagnie).

Un positionnement public et une remise en cause permanente qui sont difficilement tenables quand on sait la manne financière d’un sponsoring global plutôt versé dans la discrétion en affaires (Coca, Adidas, Visa, Gazprom, Hyundai-Kia) et l’importance d’une certaine exemplarité à l’heure de négocier les droits télévisés.

Par ailleurs, au coeur de luttes géopolitiques qui tendent à réduire la FIFA à un instrument de pouvoir et de rayonnement, cette dernière n’est plus l’acteur indépendant des années 2000. Sous la férule de Gianni Infantino, la FIFA va devoir sauver ce qui peut encore l’être. Car les Etats-Unis, qui ont grandement manoeuvré pour élire le candidat de l’UEFA, voudront tirer profit de leur avantage, tout en défiant une Chine qui footballistiquement, s’éveille.

L’ancien secrétaire général de l’UEFA devra donc agir pour redonner des latitudes à sa gouvernance, négocier pour préserver l’autonomie de l’institution, reconquérir ce qui peut l’être, tout en réunissant une famille du football divisée comme jamais, à l’image de l’élection écoulée. Il lui faudra donc prévoir et donner des gages, céder et peut-être sévir, tout en bouleversant la culture d’une FIFA qui n’est pas prête de changer, comme en atteste les 88 voix portées au crédit de celui qui fut son plus redoutable adversaire, le très contesté sheikh Salman.

Des réformes profitables pour solder définitivement le passé et tout oublier ?

Pour solder les dossiers du passé, une seule solution : réformer rapidement et le faire savoir. La séparation des activités marketing de celles de la gouvernance proprement dite, s’impose en cela comme une action remarquable et nécessaire. Votée en même temps que l’élection de Gianni Infantino, cet outil précieux servira de garde-fou pour les acteurs du football mondial mais aussi de gage pour les partenaires de la FIFA et ceux qui en suivent les péripéties.

Cette réforme de fond – dont on se demande pourquoi elle n’est pas survenue plus rapidement – peut mettre fin en partie à la corruption systémique qui sévissait, ainsi qu’aux rétro-commissions entre élus du football et candidats à l’organisation et à la diffusion des épreuves FIFA. Ajoutée à la transparence des revenus, tout semble en place pour que Gianni Infantino relève un premier défi à la fois en interne et vis à vis de l’environnement extérieur.  Restent pourtant deux autres défis majeurs qui se profilent : rétablir les comptes et préparer l’avenir du football.

Dans ce sens, on peut d’ores et déjà se poser plusieurs questions embarrassantes. La parution du rapport Garcia restera-t-elle un serpent de mer à l’heure où la Coupe du monde de 2022 ne semble toujours pas remise en cause par le nouveau président Infantino ? Et surtout, comment le patron du football mondial se positionnera-t-il face à l’avenir de l’UEFA et aux décisions de justice qui trancheront le sort de Sepp Blatter, son prédecesseur et de Michel Platini, cet ancien mentor  à qui, il adressait il y a peu une “très forte pensée” ?

[1] Maximes et réflexions sur différents sujets de morale et de politique, 1812

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Source photo à la Une : © Capture vidéo FIFATV (Youtube)

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