Interview Jacques Reboh Bruleurs de Loups Grenoble
Interview

J. Reboh (Brûleurs de Loups) : « Le hockey français peut devenir le sport-spectacle du XXIe siècle »

Photo Icon Sport

Depuis son arrivée à la tête des Brûleurs de Loups, Jacques Reboh a érigé le club grenoblois en véritable locomotive du hockey français. Lors d’un entretien exclusif accordé à Ecofoot.fr, le dirigeant aborde les principaux piliers de la stratégie de croissance des Brûleurs de Loups tout en évoquant la vision ambitieuse qu’il porte pour le développement du hockey français. Interview.

Les Brûleurs de Loups ont pris pour habitude de présenter le plus important budget de Ligue Magnus au cours des dernières saisons. A quel niveau se situe-t-il en cet exercice 2025-26 ? Quelle est son évolution par rapport aux saisons précédentes ?

Notre budget pour la saison 2025-2026 s’élève à 7,2 millions d’euros, ce qui fait des Brûleurs de Loups le premier budget de la Ligue Magnus. C’est une progression impressionnante : en six ans, nous avons doublé notre budget, sans jamais perdre de vue la rigueur de gestion.

Notre force, c’est notre modèle intégré : rien n’est externalisé.Nous gérons en interne la communication, la commercialisation, les buvettes, l’événementiel, la production audiovisuelle et même une partie de notre merchandising. Cette intégration nous permet de garder la main sur l’image du club, d’être plus réactifs, et d’optimiser chaque euro investi.

Notre chiffre d’affaires repose sur un équilibre solide : 3 m€ de billetterie, 3 m€ d’hospitalités et de partenariats, 1 m€ de restauration et buvettes et, enfin, 200 000 € de merchandising.

Et il faut le rappeler : l’augmentation du budget global ne signifie pas une explosion de la masse salariale joueurs. Nous avons certes la plus forte masse salariale joueurs de la Ligue Magnus, mais elle est légèrement devant Angers et Rouen, et elle reste parfaitement proportionnée à nos ressources et à l’équilibre du championnat.

Ce développement est la conséquence directe d’une stratégie à long terme : professionnalisation, fidélité des partenaires et autonomie économique. Nous avons créé autour du club une véritable économie circulaire locale.

Quels seront les prochains piliers de la stratégie de croissance économique des Brûleurs de Loups ?

Notre moteur de croissance, c’est l’expérience spectateur. Nous voulons que chaque match soit un événement total, à la manière des franchises nord-américaines, où le sport et le spectacle ne font qu’un.

Nous accueillons environ 140 000 spectateurs par saison, lors de 32 à 34 matchs, dont 70 000 ne viennent qu’une fois : cela illustre le formidable potentiel de fidélisation qui reste à exploiter.

« Notre moteur de croissance, c’est l’expérience spectateur »

Notre patinoire de 4 208 places affiche guichets fermés plus de 90 % du temps. Nous sommes donc dans une logique de qualité, pas seulement de volume. Nous portons plusieurs projets pour continuer à développer nos revenus en jour de match dont concrètement :

1/ La construction d’un nouveau bâtiment mitoyen à la patinoire de 1000 mètres carrés qui accueillera les bureaux du club mais surtout un espace de 500 mètres carrés destiné à nos partenaires avant et après les matchs. Ce futur Club Business sera un lieu d’échanges, de rencontres et d’expériences B2B, ouvert toute l’année.

2/ Des investissements dans la technologie du spectacle : bandeaux LED, écran central, mapping vidéo sur glace, effets lumière et son immersif… Chaque rencontre est scénarisée comme un show

3/ Adoption d’un logiciel de billetterie dynamique, calqué sur les modèles du transport aérien et ferroviaire : le tarif varie selon la demande et le moment d’achat. Nous sommes probablement l’un des premiers clubs en France à adopter le Yield Management.

4/ Suppression des abonnements classiques, remplacés par un programme de fidélisation intelligent, la carte BDL Nation, qui accorde des priorités d’achat, des réductions, et des expériences exclusives à nos supporters les plus fidèles.

Ce modèle est novateur en France et correspond aux nouvelles habitudes de consommation : flexibilité, instantanéité, personnalisation. Notre public est à 50 % composé de femmes et d’enfants : c’est notre ADN. Une ambiance familiale, joyeuse, respectueuse. C’est ce qui fait la singularité des Brûleurs de Loups et la force de notre modèle.

En parallèle, nous avons aussi souhaité innover dans le confort et le bien-être de nos joueurs. Nous sommes propriétaires de notre bus couchette, un investissement rare dans le sport français. Ce bus est entièrement aménagé pour le repos, la récupération et le confort des athlètes pendant les longs déplacements.

Cela nous permet d’optimiser la performance en limitant la fatigue et d’offrir à nos joueurs une qualité de récupération comparable à celle des plus grandes équipes européennes. C’est une approche à la fois humaine et professionnelle : nous plaçons la santé, la récupération et la performance durable au cœur du projet sportif.

Plus globalement, à l’échelle de la compétition, quels leviers pourraient permettre à la Ligue Magnus de franchir un cap dans son développement sportif et économique ?

Le premier levier est institutionnel : il faut créer une Ligue professionnelle indépendante. J’appelle cette évolution de mes vœux depuis le Covid. C’est le seul moyen de structurer durablement notre sport, d’unifier la communication, de mutualiser les ressources et d’offrir un produit homogène aux diffuseurs. Le projet avance, avec un objectif à l’horizon 2030, mais nous devons accélérer.

Jacques Reboh plaide pour accélérer le projet de création d’une ligue professionnelle au sein du hockey français. Photo : Icon Sport

Le deuxième levier, c’est la formation. Aujourd’hui, trop peu de moyens sont consacrés à ce pilier fondamental. Notre club investit près de 500 000 € par an dans la formation, un effort unique en France. Les Brûleurs de Loups sont les premiers fournisseurs des équipes de France, toutes catégories confondues.

Mais sans un plan national coordonné, la France restera en retard. Il faut un engagement fédéral clair, une réforme du parcours de formation, et une aide structurelle aux clubs formateurs.

Enfin, le championnat doit gagner en lisibilité et en intensité.Une saison légèrement plus longue, débutant fin août et s’achevant juste avant les championnats du monde, permettrait de donner davantage de rythme, de visibilité et d’intérêt médiatique.

Mais il y a aussi un sujet fondamental dont on parle trop peu : l’iniquité entre clubs. Aujourd’hui, certaines collectivités locales soutiennent massivement leurs clubs, parfois à hauteur de 25 à 30 % du budget, quand pour nous, à Grenoble, les aides publiques ne représentent qu’environ 5 %.

À cela s’ajoutent, dans certains cas, des investissements directs dans les infrastructures sportives, alors que chez nous, c’est le club qui porte l’essentiel des charges d’amélioration liées à la patinoire et aux équipements. Cette situation crée de fortes disparités économiques, qui finissent par rompre l’équité sportive.

Nous respectons les choix des territoires, mais nous appelons à une prise de conscience nationale : sans règles plus équilibrées, le hockey français ne pourra pas progresser harmonieusement.

« Le hockey sur glace génère une économie extrêmement solide dans de nombreux pays »

C’est une forme de frustration, car notre performance économique et notre capacité d’innovation reposent avant tout sur le travail, la créativité et l’investissement privé, là où d’autres bénéficient d’un soutien public massif. Il faut redonner du sens à la notion de compétition équitable.

Et c’est d’autant plus paradoxal que le hockey sur glace est un sport majeur à l’échelle internationale : il génère une économie extrêmement solide dans de nombreux pays — Suisse, Allemagne, Finlande, Tchéquie, Suède — et bien sûr en Amérique du Nord, où il est une véritable industrie du spectacle. Ces pays démontrent qu’un modèle économique performant et une gouvernance professionnelle peuvent coexister avec la passion populaire. La France doit désormais s’en inspirer.

Les droits TV et l’exposition médiatique sont un enjeu central : comment la Ligue Magnus pourrait-elle mieux valoriser son produit auprès des diffuseurs ?

Nous avons progressé, mais nous sommes encore loin du compte. La captation automatique est une avancée technique, mais elle ne véhicule pas l’émotion du hockey. Ce sport mérite un traitement éditorial fort : des caméras manuelles, des ralentis, des commentaires professionnels, des interviews, du storytelling.

La solution passe par une production centralisée, soutenue par la Fédération et la future Ligue professionnelle, et une diffusion gratuite ou hybride sur des plateformes comme YouTube, Twitch, voire des chaînes sportives en clair. Nous devons rendre le hockey visible et accessible à tous.

Je plaide aussi pour une libération contrôlée des droits : permettre aux clubs et médias locaux de réutiliser les extraits renforcerait la viralité du hockey sur les réseaux sociaux. Plus d’images suscitent plus d’intérêt et créent plus de valeur.

Aujourd’hui, nos patinoires sont pleines, mais notre produit reste invisible à l’échelle nationale. Il faut aligner la qualité de la production audiovisuelle sur la qualité du spectacle réel.

Des investisseurs institutionnels (fonds, family offices, entreprises…) pourraient-ils à terme s’intéresser aux clubs de Ligue Magnus ? Leur entrée au capital des clubs est-elle souhaitable ?

Absolument. Le hockey est un produit sous-exploité, mais extrêmement attractif pour des investisseurs éclairés. Le rapport émotion / investissement est imbattable : public fidèle, valeurs positives, ambiance familiale, image premium, visibilité locale forte.

« Le rugby a vécu cette transition il y a trente ans. Le hockey doit suivre la même voie »

L’arrivée d’investisseurs institutionnels ou privés permettrait une professionnalisation accélérée : nouvelles infrastructures, nouveaux modèles de gouvernance, meilleure exposition. Le rugby a vécu cette transition il y a trente ans. Le hockey doit suivre la même voie.

Mais cela suppose une gouvernance ouverte, capable d’intégrer des compétences économiques, juridiques et marketing nouvelles. Il faut savoir partager le pouvoir pour faire grandir le produit collectif.

Si vous vous projetez à dix ans, quelle est votre vision pour les Brûleurs de Loups et pour le hockey français ?

Je crois que le hockey français peut devenir le sport-spectacle du XXIe siècle. Populaire, accessible, festif et technologique à la fois.

À Grenoble, nous voulons incarner ce futur avec à la fois : une ligue professionnelle forte, des clubs viables économiquement, une formation reconnue, une diffusion télé valorisante et des patinoires pleines et vibrantes dans tout le pays.

Nos trois axes d’avenir seront clairs :

1/ L’innovation digitale et commerciale – billetterie dynamique, data-fan, CRM intégré, marketing prédictif.

2/ La durabilité et la responsabilité – transition énergétique de la patinoire, récupération de chaleur, mobilité douce, ancrage territorial.

3/ L’impact humain et sociétal – bien-être des joueurs, actions solidaires, et transmission des valeurs sportives.

Et sur ce dernier point, notre Fonds de Dotation des Brûleurs de Loups joue un rôle essentiel. Chaque match que nous thématisons est associé à une cause caritative ou à une association partenaire. À travers ce fonds, nous soutenons des projets liés à l’enfance, la santé, la recherche, la sécurité, l’inclusion ou la jeunesse, en mobilisant nos supporters, nos partenaires et nos joueurs.

C’est une démarche qui donne du sens à notre réussite : le spectacle sportif devient un outil d’utilité collective. Nous voulons que chaque victoire sur la glace se traduise aussi par une victoire sociale sur le terrain de la solidarité. C’est une fierté partagée par toute la famille des Brûleurs de Loups.

Le hockey français a tous les atouts pour réussir. Il a prouvé ailleurs en Suisse, en Finlande, en Suède, en Tchéquie, en Allemagne et en Amérique du Nord, qu’il pouvait être un sport majeur, populaire et économiquement puissant. Ce qu’il lui manque aujourd’hui en France, c’est une vision commune, une équité réelle et une audace collective. Et cette audace, à Grenoble, nous la cultivons chaque jour.

J. Reboh (Brûleurs de Loups) : « Le hockey français peut devenir le sport-spectacle du XXIe siècle »
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