Interview

Me. Alvarez : « Il y a une réelle réflexion à mener sur le rôle, l’activité et la place de l’agent de joueurs vis-à-vis des clubs »

interview loïc Alvarez
Me Loïc Alvarez

Un ancien agent de joueurs a-t-il le droit d’exercer des fonctions managériales au sein d’un club professionnel français ? Si, en apparence, la législation semble claire à ce sujet ; il existe en réalité de nombreuses incertitudes concernant le périmètre d’application des textes. Pour faire la lumière sur la situation réglementaire et juridique en vigueur, Ecofoot.fr a interrogé Me. Loïc Alvarez, Avocat au barreau de Paris, Mandataire Sportif et Président de la Commission Régionale d’Appel de la Ligue Méditerranée de Football.

Olivier Letang a dernièrement été intronisé Président du Stade Rennais. Or dernièrement, il travaillait pour Sports Invest UK, société gérant les intérêts de plusieurs joueurs professionnels. La législation française permet-elle aussi facilement à un agent de prendre des fonctions au sein d’un club de football professionnel ?

C’est une question assez sensible qui met en lumière certaines zones d’ombre de la législation et réglementation applicables aux agents sportifs ainsi qu’aux intermédiaires sportifs.

Au niveau législatif, le Code du Sport prévoit certaines limites à l’exercice du métier d’agent de joueurs. Des limites qui sont définies au sein des articles L 222-9 et L 222-10. Ces articles prévoient que toute personne ayant exercé l’activité d’agent sportif ne peut durant l’année écoulée ou l’année suivante intégrer une association sportive ou une société employant des sportifs professionnels, une ligue ou une fédération.

Néanmoins, le cas d’Olivier Létang est particulier. Premièrement, à ma connaissance, il ne possède pas de licence d’agent de joueurs. Et, lors de son passage au sein de la société Sports Invest UK, a-t-il réellement exercé l’activité d’agent de joueurs ? Officiellement, Olivier Létang était dirigeant d’une société d’agents, basée au Royaume-Uni.

Être dirigeant d’une société d’agents correspond-il juridiquement à l’exercice de la profession d’agent de joueurs ? Toute la question est là ! Sur la définition stricte de « l’exercice de la profession d’agent de joueurs », nous n’avons pas vraiment, aujourd’hui, de réponses concrètes. La jurisprudence n’est pas bien établie et aucune décision d’une fédération sportive n’existe à ce sujet.

Le flou entourant la définition de « l’exercice de la profession d’agent de joueurs » ne permet donc pas de définir avec précision le périmètre d’application des articles L 222-9 et L 222-10 ?

Tout à fait ! Et concernant la nomination d’Olivier Létang au Stade Rennais, il y a une ambiguïté supplémentaire. Ce dernier a travaillé au sein d’une société d’intermédiaires et non d’agents sportifs ! Car au Royaume-Uni, depuis l’abandon par la FIFA de son règlement sur les agents de joueurs, c’est le règlement des intermédiaires sportifs qui s’applique.

Ainsi, sur le marché britannique, il n’est plus nécessaire de détenir une licence pour exercer la profession d’agent, contrairement au marché français. Outre les questions en matière de concurrence au sein de l’U.E., cette différence de législation soulève une deuxième interrogation : l’activité d’intermédiaire correspond-elle exactement à celle d’agent sportif ? A nouveau, ni les textes, ni la jurisprudence ne permettent de répondre à cette question selon moi.

Cette deuxième problématique découle-t-elle de la législation particulière maintenue en France concernant l’exercice de la profession d’agent de joueurs ?

Exactement. En 2015, la FIFA a édité un nouveau règlement concernant les intermédiaires. Désormais, il n’y a plus besoin de licence pour pouvoir exercer une telle profession dans le football.

Mais la France a conservé sa législation dans ce domaine. Elle a maintenu l’obligation de détenir une licence d’agent pour pouvoir exercer l’activité sur son marché. Et cette législation prévaut sur les règlements de la FIFA.

L’été dernier, le club d’Amiens a été sanctionné d’une amende de 15 000 € par la commission fédérale des agents sportifs en raison du double rôle de John Williams, à la fois actionnaire minoritaire du club et agent de joueurs. Une sanction qui a été annulée suite à la conciliation proposée par le CNOSF. Comment jugez-vous l’évolution de cette affaire ?

Cette affaire constitue un cas d’infraction aux articles L 222-9 et L 222-10 du Code du Sport, sans aucune discussion possible. Dans ce dossier, une personne détentrice de la licence d’agent de joueurs faisait partie du capital social d’un club professionnel.

Une première sanction a été prononcée par la Commission des Agents l’été dernier. Une amende de 1 500 € et 4 ans de suspension de licence avaient été prononcés contre John Williams. Et le club d’Amiens avait reçu une amende de 15 000 €.

Cependant, cette sanction était tout de même très lourde à l’encontre de John Williams. Par la suite, dans sa mission de conciliation, le CNOSF a proposé de retirer les sanctions émises à l’encontre de ce dernier et du club d’Amiens SC. Une conciliation qui a finalement été acceptée par l’ensemble des parties.

Le maintien des articles L 222-9 et L 222-10 du Code du Sport est-il encore justifié aujourd’hui ?

Le but de ces articles est de préserver une certaine éthique et de prévenir tout conflit d’intérêt qui pourrait exister dans le milieu du football. Le but recherché à travers ces textes est pleinement légitime. Ces textes doivent être conservés.

Maintenant, il y a une réelle réflexion à mener sur le rôle, l’activité et la place de l’agent de joueurs vis-à-vis des clubs.

D’autres affaires similaires à celle ayant touché le club d’Amiens peuvent-elles éclater à l’avenir ? La DNCG est-elle attentive aux profils des actionnaires minoritaires des clubs professionnels ?

Une affaire du même type pourrait se reproduire même si je n’ai pas d’exemple particulier en tête. Les relations entretenues entre agents et clubs peuvent être parfois ambiguës. Et, effectivement, cela pose une réelle question en termes de contrôle.

Dans le dossier concernant le club d’Amiens SC, John Williams n’était pas un nouvel actionnaire. Quand l’affaire éclate, le club picard avait réintégré le monde professionnel depuis une saison. Cela veut dire que la DNCG avait déjà contrôlé les comptes du club et avait connaissance de l’actionnariat du club. Or, il a donc fallu attendre que certains clubs saisissent la Fédération pour faire la lumière sur ce dossier.

C’est malheureusement symptomatique selon moi du traitement des agents de joueurs en France. On a des règles. Du pouvoir est donné à certains organes. Mais, malheureusement, l’activité d’agent étant laissée de côté, on se retrouve face à des pratiques qui ne sont pas en conformité avec les textes.

Depuis l’adoption de la loi du 1er mars 2017 visant à préserver l’éthique du sport, on donne encore un peu plus de pouvoir à la DNCG. Désormais, l’instance peut contrôler les flux financiers concernant les activités d’agent de joueurs. Mais si ces pouvoirs ne sont pas utilisés, au final, l’activité n’évolue pas.

Une législation similaire, empêchant les agents d’intervenir dans la gestion des clubs, est-elle en place chez nos voisins européens ?

La plupart des fédérations ont intégré des dispositions dans leurs règlements permettant d’éviter tout conflit d’intérêt. C’est également rappelé par l’article 4.3 du règlement de la FIFA concernant les intermédiaires. Cet article oblige les fédérations nationales à faire le nécessaire pour éviter tout conflit d’intérêt entre les intermédiaires et les clubs.

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