Pourquoi tant de clubs européens – PSG, Manchester City, SM Caen, OGC Nice, Juventus… – ont-ils fait évoluer leur logo au cours des dernières années ? Pour tenter de répondre à cette question, Ecofoot.fr s’est entretenu avec Nicolas Chanavat, enseignant-chercheur en Marketing du Sport et auteur de l’excellent ouvrage Marketing du Football aux Editions Economica.
De nombreux clubs européens ont procédé à des modifications de leur logo au cours des dernières années (PSG, Manchester City, SM Caen…). Ce mouvement traduit-il une professionnalisation des politiques marketing menées par les clubs européens ?
À partir des années 70, les clubs professionnels de football ont progressivement intégré le marketing comme une fonction nécessaire à leur pérennisation. Et depuis une vingtaine d’années, il est devenu un état d’esprit indispensable au développement du football mondial. Dans un univers en perpétuelle mutation, les clubs doivent désormais différencier leur marque et innover au service de l’expérience client et des partenaires économiques.
Leur première démarche consiste à mener une réflexion autour de leur marque-club en amont. Ils leur faut avant tout définir la façon dont ils souhaitent être perçus. Le changement de logo s’inscrit dans cette démarche de construction de l’offre.
Dans le cas du PSG, fondé en 1970, l’évolution du logotype, qui date de 2013, marque une étape importante dans leur stratégie d’internationalisation de marque. Leur nouvelle identité visuelle traduit parfaitement l’orientation du club : « moins Saint-Germain » et « plus Paris », avec une volonté de conquérir de nouveaux marchés étrangers.
Mais changer de logo n’est pas la panacée. Des marques-clubs centenaires et puissantes comme le Real Madrid ou le FC Barcelone n’ont quasiment pas touché leur logotype depuis plusieurs dizaines d’années. Un changement doit se faire au « bon » moment : nouvelle direction, nouvel actionnaire, modification des valeurs fondamentales du club… C’était le cas pour le PSG et l’acquisition du club par Qatar Sports Investments. Le club est alors entré dans une nouvelle ère et souhaite concurrencer les plus grandes marques de sport du monde.
Quelle est la place du logo dans la stratégie marketing déployée par un club de football ? Le rôle joué par le logo est-il plus important au sein d’une entité sportive ?
La construction de la marque reste l’enjeu primordial pour chaque entité sportive professionnelle. Et les opérations de marketing qui en découlent ne doivent en aucun cas s’écarter de cette vision stratégique, elles doivent nourrir le positionnement du club et favoriser sa différenciation. Dans cette optique, le logo représente la partie émergée de l’iceberg. C’est un symbole fort qui occupe une place importante dans le développement de la marque. On peut le considérer comme le trait d’union entre l’histoire, les valeurs, l’ADN du club et ses fans.
Mais plus qu’une réflexion sur son identité visuelle, un club doit faire face à plusieurs défis : promouvoir sa marque et innover sur les produits et services à proposer aux supporters. Il lui faut alors mettre en place une stratégie afin d’attirer, d’entretenir et de développer la relation client. L’autre enjeu consiste à répondre aux besoins des entreprises à travers les activités de sponsoring, les relations publiques… Il est question également de construire ou de rénover son enceinte sportive, de l’équiper et de préparer le parcours client. Enfin, les activités marketing et événementielles conduisent les clubs à se tourner vers le digital, dans la mesure où les supporters sont de plus en plus connectés.
La Juventus a opéré un choix plus radical en changeant totalement de logo pour notamment dynamiser sa stratégie d’internationalisation. Le club turinois n’a-t-il pas pris un trop grand risque en opérant un tel changement, quitte à susciter un certain mécontentement auprès de ses supporters historiques ? Quel est le point d’équilibre à trouver entre préservation de son identité et conquête de nouveaux marchés ?
Depuis la construction de son nouveau stade, volontairement plus restreint, pour favoriser la rareté et l’exclusivité, la Juventus a réinventé sa stratégie de développement. Le club, 10ème puissance économique du football mondial avec environ 340 millions d’euros de revenus et un palmarès unique, est doté d’un fort capital-marque et envisage légitimement un développement à l’international.
Le club a souhaité un changement de logo significatif. Un nouveau logo plus moderne, en adéquation avec cette nouvelle démarche de marque globale censée toucher de nouveaux territoires et de nouveaux publics. S’il est encore trop tôt pour mesurer pleinement l’impact de la stratégie d’internationalisation qui a conduit le club a internaliser ses activités de merchandising et de licensing ; le club a essuyé de nombreuses critiques au sujet de son nouveau logo par ses fans historiques et les amateurs de football. Mais ce n’est pas un cas isolé.
L’identité visuelle est un symbole important pour les fans qui entretiennent des liens émotionnels forts avec le club. Ce n’est donc pas étonnant que l’on observe des mécontentements. Les grosses cylindrées européennes qui privilégient une stratégie de fidélisation conquérante peuvent passer par là. Globalement, certaines cibles peuvent mettre du temps à assimiler les innovations marketing des clubs. Depuis 2015, presque 200 clubs de football se sont engagés dans l’e-sport avec parfois certaines réticences. Pourtant je ne serais pas étonné de voir la Juventus s’engager dans cette industrie en plein essor dans une démarche de globalisation de marque, afin de toucher l’audience des millennials, quitte à froisser quelques susceptibilités…
A l’avenir, faut-il s’attendre à d’autres changements de logo au sein des grands clubs européens ? Par exemple, un grand club londonien pourrait-il être tenté par l’intégration d’un monument mondialement connu au sein de son logo afin de favoriser son internationalisation ?
Force est de reconnaître une « vraie » tendance dans le changement d’identité visuelle des clubs. Si leur dimension historique est conservée, elle se trouve simplifiée. L’idée est d’aller à l’essentiel en proposant un logo à la fois épuré, identifiable immédiatement et unique. L’atout numéro 1 du PSG est Paris. La Tour Eiffel occupe ainsi une place centrale dans le nouveau logo parisien. Les grands clubs européens sont des marques mondiales, reconnaissables, à l’identité attractive pour le fan. De là à voir demain Big Ben sur le maillot d’Arsenal au détriment de son canon historique pour favoriser sa globalisation ? C’est loin d’être évident et encore moins une nécessité.
En effet, à l’inverse du PSG ou de la Juventus, les clubs londoniens, qui sont avant tout associés à un quartier comme Tottenham ou Chelsea, évoluent dans une ligue puissante qui fait figure d’exemple en matière de développement à l’international.
En tout cas, un club ne doit jamais oublier que c’est sur la base d’une identité clairement définie qu’il doit segmenter et se positionner sans jamais se trahir. Le fan peut comprendre que son équipe perde des matchs, en revanche, il n’est pas en mesure d’accepter que l’identité ou l’image de son club soit bafouée.
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Nicolas Chanavat est enseignant-chercheur en Marketing du Sport. Il dirige le Master 1 Management du Sport à l’Université Paris-Saclay et le Centre d’Etude Olympique Français. Nicolas a travaillé pour des clubs de football professionnels et participé à de très grands événements sportifs internationaux (CIO, FIFA, UEFA). Il est l’auteur de nombreuses publications et notamment de l’ouvrage « Marketing du Football » (Editions Economica) Follow @NicolasChanavat