Interview

« Le budget des clubs de J-League oscille entre 30 et 50 millions USD »

Ecofoot.fr a eu la chance cette semaine de s’entretenir avec Pedro Iriondo, contributeur pour J-Soccer magazine, média de référence sur le football japonais. Cela a été l’occasion d’évoquer la J-League, championnat totalement méconnu auprès du grand public européen. Petit à petit, le championnat japonais commence à se réimposer comme la référence footballistique asiatique même si certains verrous freinent toujours son développement. Explications…

Pedro, pouvez-vous vous présenter aux lecteurs d’Ecofoot.fr ? Comment avez-vous développé cette passion pour le football japonais ?

Je suis Pedro Iriondo, éditeur du site espagnol « Futbol Finanzas » et collaborateur auprès du magazine « J-Soccer », traitant du football japonais. A l’image de nombreux jeunes de ma génération, mon premier contact avec le Japon concernait les aventures du Capitaine Tsubasa (ndlr : Olive et Tom). Quelques années plus tard, grâce à mon emploi au sein d’une multinationale japonaise, j’ai eu l’opportunité de me rendre au Japon à plusieurs reprises et d’en savoir plus sur cette culture. Durant mes visites, j’en ai profité pour visiter plusieurs stades de football. Au même moment, je ressentais un peu de lassitude vis-à-vis d’un football européen où les inégalités ne cessent de se creuser. Au Japon, j’ai découvert un football avec un assez bon niveau et où le résultat est souvent difficile à prévoir.

Pouvez-vous nous présenter le magazine J-Soccer et votre rôle au sein de ce média ? Quel est l’objectif principal de J-Soccer ?

J-Soccer Magazine constitue une véritable source d’informations sur le football japonais pour ceux qui ne lisent pas le Japonais. Même si la J-League a progressé depuis cette année dans la mise à disposition d’informations en anglais, il y a toujours assez peu de contenus sur le net utilisant notre alphabet. La plupart des clubs mettent à disposition du contenu exclusivement en japonais et ceux qui possèdent une chaîne ou un site en anglais, ils ne prennent pas réellement soins de ces organes de communication sauf rares exceptions.

J-League magazines

Depuis Düsseldorf, je suis les joueurs japonais évoluant dans les championnats européens et j’écris des articles ou j’interviews certains d’entre eux en m’intéressant à leurs expériences. J’aime bien me focaliser sur les joueurs un peu moins connus car des informations sur les grands noms du football japonais comme Kagawa ou Uchida sont disponibles au sein d’autres médias. Dernièrement, j’ai notamment interviewé Yuki Ogimi, joueuse à Wolfsburg et avant-centre de la sélection japonaise féminine.

Quels sont les clubs les plus compétitifs de la J-League ? A quel championnat européen peut-on comparer le football japonais ? Existe-t-il une hiérarchie établie ou s’agit-il d’une compétition homogène ?

Un des points forts de la J-League se situe dans son caractère imprévisible, il s’agit d’une compétition plutôt homogène. Bien évidemment, il existe des clubs qui sont traditionnellement performants comme les Urawa Red Diamonds, Kashima Antlers ou encore le club de Yokohama F. Marinos… mais aucune de ces formations n’a gagné le championnat au cours des cinq dernières années ! Par exemple, l’an dernier, le club de Gamba Osaka a réalisé un triplé historique alors qu’il s’agissait d’un promu. Gagner un titre national directement après une montée était amusant en Europe dans les années 80 ou 90 mais désormais, c’est impensable. Je peux donc dire que le championnat est plus homogène que les standards du football moderne.

Il est difficile de comparer la J-League avec un championnat européen. Si nous mettons de côté les tops clubs des championnats néerlandais ou belges, les clubs de la J-League seraient en mesure d’être compétitifs au sein de ces deux championnats européens.

Les clubs japonais sont-ils puissants à l’échelle continentale ?

Ils ne sont pas aussi puissants qu’ils le devraient. En analysant la qualité du championnat, les clubs japonais devraient pouvoir rivaliser avec les meilleures équipes du continent. Pendant longtemps, le Japon possédait le meilleur niveau de professionnalisme des championnats asiatiques. Cependant, contrairement en Europe, les fans et les clubs japonais ont privilégié le championnat national plutôt que les compétitions continentales comme l’AFC Champions League. Les longs voyages et le manque de renommée de la C1 asiatique expliquent ce choix. Cependant, avec la montée du niveau général en Asie et la possibilité d’accéder au Mondial des clubs via cette compétition, l’AFC Champions League a retrouvé de l’intérêt eux yeux des clubs nippons. Cette saison, deux clubs japonais, Kashiwa Reysol et Gamba Osaka, se sont qualifiés pour les quarts de finale de la compétition ce qui constitue une bonne performance.

Quel est le chiffre d’affaires moyen d’un club de J-League ? Existe-t-il des écarts financiers importants entre les différents clubs ?

« Les clubs de J-League possèdent des revenus qui ne sont pas éloignés de ceux générés par les formations de Bundesliga 2 »

Le budget des clubs de J-League oscille entre 30 et 50 M USD. La billetterie et le sponsoring sont les deux principales sources de revenus. Les meilleures équipes de D2 japonaise possèdent un budget entre 10 et 20 M USD. Généralement, les clubs situés en-dehors des grandes villes comme Tokyo et Osaka sont ceux qui composent avec le plus petit budget mais les différences sont moins importantes que dans les championnats européens. Pour donner une idée de la dimension économique, les clubs de J-League possèdent des revenus qui ne sont pas éloignés de ceux générés par les formations de Bundesliga 2.

Concernant le contrôle financier, la J-League possède son propre système de régulation qui est équivalent à celui de l’UEFA avec le fair-play financier. Le système impose des restrictions en matière de pertes financières et empêche les clubs de dépenser des sommes supérieures à leurs revenus. Certains clubs japonais commencent à construire leur propre stade afin d’accroître leurs recettes.

Quels sont les revenus télévisuels des clubs japonais ?

La J-League encaisse à peu près 200 M JPY de droits TV alors que la D2 japonaise reçoit la moitié de ce montant. Cet argent provient essentiellement des accords de diffusion nationaux signés avec l’opérateur pay-per-view SkyPerfect TV. Dans ce domaine, la J-League peut largement progresser même si le championnat vient de signer un accord de 5 ans avec SkyPerfect à hauteur de 2,9 M USD concernant les droits TV internationaux. Néanmoins, ce deal a été largement subventionné par le gouvernement qui a reversé une enveloppe de 37 M USD au groupe SkyPerfect afin de l’aider à investir dans la chaîne internationale japonaise « Waku Waku » qui diffuse la J-League en Asie du Sud-Est. A travers cette chaîne, la J-League va bénéficier d’une exposition renforcée à travers cette région.

 Les clubs japonais bénéficient-ils de gros revenus en provenance du sponsoring ?

Les revenus de sponsoring sont clés pour les clubs japonais, qui perçoivent environ 50% de leurs recettes en provenance de cette source. Néanmoins, parler de sponsoring dans le cadre des clubs de J-League est trompeur. Vous pouvez notamment remarquer que la plupart des clubs du championnat n’ont pas changé de sponsor maillot depuis de nombreuses années. Les clubs sont majoritairement détenus par des grands groupes industriels du pays. Ces grands groupes qui détiennent la majorité du capital social des différents clubs et en profitent pour être également leur sponsor maillot à l’image de Nissan avec les Yokohama F. Marinos, Hitachi avec Kashiwa Reysol ou encore Panasonic avec Gamba Osaka. Ainsi, il s’agit plus d’investissements opérés par les entreprises pour éponger les dettes des clubs plutôt que des contrats de sponsoring.

Pedro Iriondo

« Mon premier contact avec le Japon concernait les aventures du Capitaine Tsubasa »

En France, aucun média ne couvre régulièrement les rencontres de J-League. Est-ce la même situation dans les autres pays européens ? Selon vous, pourquoi les pays européens ne s’intéressent-ils pas au football japonais ?

En Europe, Eurosport 2 a diffusé pendant plusieurs années la J-League mais je ne connais pas leur offre concernant le marché français. Il existe plusieurs sites qui offrent la diffusion de rencontres de J-League sur le système du pay-per-view à l’image de LiveSport TV ou encore Sportdigital. En Allemagne, où je vis actuellement, LiveSport offre un accès à une sélection de rencontres de J1 et J2 tous les week-ends pour 5 € par mois. Sur Sportdigital, il est possible d’acheter la retransmission au match même si le nombre de rencontres disponibles est limité.

« Les fans européens s’intéressent assez peu à ce qui se passe ailleurs »

Je pense que les Européens possèdent de grands championnats dans leurs propres pays et généralement, ils s’intéressent assez peu à ce qui se passe ailleurs, notamment en Amérique ou en Asie. En plus, la plupart des joueurs de J-League sont japonais et inconnus du grand public. Et il est nécessaire de se réveiller très tôt pour assister aux rencontres du championnat en raison du décalage horaire !

Pourquoi les propriétaires de Manchester City ont-ils investi au sein des Yokohama F. Marinos ? Cet investissement encouragera-t-il d’autres investisseurs étrangers à entrer dans le capital social des clubs japonais ?

Il ne faut pas oublier que le Japon est toujours l’une des plus grosses économies du monde avec la possibilité d’attirer d’importantes entreprises en tant que sponsors. Néanmoins, depuis que la croissance du PIB du pays est quasi-nulle, les entreprises accordent de plus en plus d’importance aux marchés internationaux et spécialement aux économies émergentes qui sont des marchés également ciblés par les clubs européens de football.

Concernant l’investissement de City Football Group, entité qui prospecte au sein d’un marché global, les Yokohama F. Marinos étaient probablement le club le plus attractif dans lequel investir au sein de la J-League. D’un côté, Yokohama est la deuxième plus grande ville du Japon et est localisée pas très loin de Tokyo. Le potentiel de fans intéressés par ce club est conséquent. De l’autre côté, Nissan est l’entreprise qui soutient financièrement ce club. Nissan est en train actuellement de faire de gros efforts pour accroître ses ventes via le sponsoring footballistique. Cet investissement opéré par City Football Group dans le club de Yokohama a permis d’attirer le constructeur automobile comme sponsor de City Group.

C’est difficile à dire si cet investissement entraînera l’arrivée d’autres partenaires étrangers au sein du football japonais mais la régulation sévissant au sein de la J-League doit néanmoins évoluer. Selon les règles en place, un investisseur étranger ne peut acquérir plus de 49% du capital social d’un club japonais même si cette restriction peut être contournée par la création d’une entité japonaise contrôlant les actions du club pour un groupe étranger.

Personnellement, je ne pense pas que beaucoup d’investisseurs étrangers seront intéressés par le football japonais à court terme. En Europe, nous voyons des investisseurs étrangers intervenir au sein d’un environnement globalisé et standardisé. Ce n’est pas le cas au Japon où les choses sont toujours faites selon la « manière japonaise ». Des entreprises comme City Group possèdent le pouvoir de contourner ces barrières mais il n’y a pas encore beaucoup de groupes dans le monde du football structurés de la même manière.

Pourquoi autant d’internationaux japonais évoluent au sein du championnat de Bundesliga ?

Je pense qu’il s’agit d’une combinaison de deux facteurs : le profil des joueurs japonais et un environnement culturel allemand adapté. D’un côté, les joueurs japonais sont généralement bons techniquement mais pas très agressifs. Des caractéristiques qui conviennent parfaitement à la Bundesliga, les joueurs japonais pouvant combler le manque de joueurs techniques de certains clubs de l’élite allemande. Cependant, cela serait beaucoup plus difficile pour les joueurs nippons de réussir dans des pays comme en Espagne où les clubs produisent eux-mêmes un grand nombre de joueurs très doués techniquement. De l’autre côté, l’esprit besogneux du joueur japonais colle bien à la culture allemande. Ainsi, les joueurs japonais se sentent certainement plus épanouis en évoluant en Bundesliga plutôt que dans d’autres championnats européens.

Si vous souhaitez poursuivre cette discussion sur le football japonais, n’hésitez pas à suivre Pedro Iriondo sur Twitter 

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