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Environnement / Social

Y. Penel (FFBaD) : « Important de se doter d’une capacité d’ingénierie sur l’innovation sociale »

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Comment une fédération sportive doit-elle s’y prendre pour mener à bien sa politique sociale et environnementale tout en diffusant ses orientations à l’ensemble des acteurs de son écosystème ? Voilà une mission qui n’est pas simple à remplir, y compris pour les fédérations comptant à leur tête des dirigeants très sensibles au sujet. Ayant érigé le renforcement et la mise en avant de l’utilité sociale du badminton parmi les sujets prioritaires depuis leur élection à la tête de la FFBaD, Yohan Penel et ses équipes s’activent pour transformer au mieux les activités de la fédération afin de développer et de mesurer l’impact social de la pratique du badminton. Lors d’un entretien accordé à Ecofoot, le Président de la FFBaD revient sur les travaux engagés mais aussi les difficultés rencontrées.

La Fédération Française de Badminton est fortement montée en puissance sur les thématiques sociales et environnementales au cours des dernières années. Quelle place ces sujets occupent-ils désormais dans le fonctionnement de la FFBaD ?

Depuis notre arrivée à la tête de la FFBaD (ndlr : Yohan Penel a été élu Président de la FFBaD en décembre 2020 pour un mandat de 4 ans), notre cheminement consiste à répondre à cette question existentielle : à quoi sert-on ? C’est une question légitime qui doit être posée même au sein d’une fédération olympique et paralympique. Car notre écosystème ne vit pas en marge des problèmes de la société. Les acteurs du badminton français sont confrontés au quotidien à des problématiques sociales, à l’éco-anxiété, aux défis démocratiques avec une sorte de défiance générale face à la démocratie représentative – crise qui trouve un prolongement dans la gouvernance du sport pour tout un tas de raisons…

On a ainsi voulu requestionner le pourquoi de l’existence de la Fédération Française de Badminton. En fonction de la réponse, qui est d’ordre politique, nous avons alors cherché – à travers des actes et des paroles – à répondre à notre manière aux grands enjeux de société. Malheureusement, cette démarche a créé un clivage fort au sein de notre communauté. Il y a un peu plus d’un mois, nous avons connu une Assemblée Générale plutôt tendue. Expliquer que la production de champions n’est pas la seule finalité d’une fédération sportive, cela bouscule beaucoup de monde dans leurs convictions profondes. Avec mon équipe, nous avons peut-être voulu aller trop vite, nous n’avons sans doute pas assez expliqué notre vision. Nous sommes pourtant là pour être utiles, pour aider nos associations qui sont parfois dans des situations complexes, à construire leur résilience pour les 10 prochaines années qui vont être encore une période de chamboulement.

Les problématiques sociales et environnementales sont-elles aujourd’hui érigées au même niveau de priorité que les sujets sportifs et économiques au sein du sport français ?

Le mythe des valeurs du sport nous a fait beaucoup de mal. On part souvent du principe que ces valeurs sont inhérentes à la pratique du sport en association. Du coup, pendant longtemps, on ne s’est pas posé beaucoup de questions à ce sujet. Comme ces valeurs sont intrinsèques, on mène des actions sans se questionner sur les impacts en termes de santé, en termes de mixité, au niveau éducatif… Selon moi, le vrai problème réside dans le discours politique schizophrène. D’un côté, le sport est le plus petit budget des politiques publiques. Et de l’autre, on lui attribue toutes les vertus, on fait appel à lui dès qu’il y a un problème de société à résoudre. Cette dichotomie est incohérente.

« Expliquer que la production de champions n’est pas la seule finalité d’une fédération sportive, cela bouscule beaucoup de monde dans leurs convictions profondes »

Par ailleurs, à la fin des années 90, suite à l’organisation de la Coupe du Monde de football, on a observé le lancement d’une réelle dynamique associative autour de l’impact du sport en France. Une grosse dizaine d’associations ont lancé leurs activités à ce moment-là : PLAY International, l’Agence pour l’Education par le Sport (APPELS), Sport dans la Ville, Rebonds… Or, toutes ces associations ont grandi en-dehors du monde fédéral qui est pourtant la représentation référente du monde sportif en France. Et c’était encore plus vrai à la fin des années 90 !

Petit à petit, le monde fédéral s’est éloigné des attentes des bénéficiaires / licenciés. Selon les données publiées dans les rapports de l’INJEP, les Français font avant tout du sport pour s’amuser, se détendre, être en bonne santé, rencontrer des gens… La compétition arrive très loin dans le classement. Et ce n’est pas forcément un phénomène nouveau. Mais, dans le même temps, au sein des fédérations, on continue à véhiculer le seul idéal compétitif. Cette distorsion fait, qu’au bout d’un moment, les licenciés claquent la porte du monde fédéral. Ils ne se retrouvent plus dans le message qui est porté.

Néanmoins, les fédérations ne sont pas forcément aidées par l’Etat qui juge avant tout nos activités sur… le nombre de médailles remportées dans les compétitions internationales et l’évolution de nos licenciés ! Cela favorise le statu quo : les dirigeants fédéraux adoptent alors toujours le même logiciel. Pourtant, certaines recettes ne fonctionnent plus.

Comment vous y êtes-vous pris à la FFBaD pour donner du poids aux sujets environnementaux et sociétaux ?

Cela commence par l’évolution du discours. L’idéal compétitif est ancré dans les fédérations et il ne faut pas y toucher. En revanche, il faut accepter la cohabitation d’un autre idéal qui se veut complémentaire. C’est de cette manière que nous avons articulé notre discours autour de la performance sportive et de la performance sociale. La FFBaD doit avancer sur ses deux jambes et elles sont aussi importantes l’une que l’autre. Or, pendant plusieurs décennies, une jambe avait largement pris le pas sur l’autre !

Mais cela ne veut pas dire déshabiller la performance sportive pour habiller la performance sociale. Il faut simplement avoir le même niveau d’ambition et d’exigence pour les deux sujets. Et donc y allouer les mêmes moyens. Or, encore aujourd’hui, c’est très loin d’être le cas.

Justement, quels sont les moyens alloués par la FFBaD aux questions RSE ?

A ce jour, très peu de fédérations françaises disposent d’un secteur dédié à la performance sociale ou sociétale. Elles sont moins d’une dizaine. On retrouve parmi les précurseurs sur le sujet la FFHandball, la Fédération Française de Tennis de Table, la FFJudo

C’est le cas aussi à la FFBaD. Huit personnes au sein de notre fédération travaillent sur les sujets en lien avec la performance sociale. On ne se contente pas de jolis mots : c’est important de se doter d’une capacité d’ingénierie sur l’innovation sociale pour que cela marche.

Toutefois, de la performance sociale, les clubs en font depuis des décennies. Mais ils n’avaient pas forcément conscience de l’impact de leurs activités sur la vie des gens. Certains licenciés ont fondé une famille grâce au club, ont trouvé un nouvel emploi ou encore ont recréé un tissu amical. Mais c’était alors un bénéfice collatéral : les activités du club n’étaient pas pensées pour atteindre de tels objectifs. Aujourd’hui, on veut passer d’un bénéfice collatéral à un objectif clair et tangible.

« Huit personnes au sein de notre fédération travaillent sur les sujets en lien avec la performance sociale »

En parallèle des activités de la Fédération, nous avons aussi lancé au mois d’octobre dernier notre Fondation qui s’appelle 1PACTE Gagnant. Ses activités sont intégralement tournées vers la performance sociale du sport. Son premier objectif est d’activer le potentiel créatif de tous les bénévoles et professionnels du badminton sur le sujet. 1PACTE Gagnant va prochainement lancer ses premiers appels à projets.

Dans ce projet de muscler la performance sociale du badminton, cherchez-vous à en évaluer précisément les impacts ?

Cela fait bien sûr partie de nos chantiers. Nous travaillons avec l’ESSEC à ce sujet. Nous avons noué une convention de partenariat sur 4 ans. L’objectif est de construire un référentiel de mesure d’impact de la pratique du badminton. Concrètement, il y a une première phase au cours de laquelle deux cohortes de 10 associations sont accompagnées par les équipes de l’ESSEC avec des premières expérimentations de terrain. Puis, les équipes plancheront sur la construction du référentiel qui sera à terme valable pour toutes les associations affiliées à la FFBaD.

C’est un investissement relativement important mais c’est indispensable pour aller au-delà de simples paroles autour des belles valeurs du sport. Car il ne suffit pas de mettre des enfants sur un terrain pour faire de l’éducation par le sport. Il faut préciser comment on souhaite éduquer les gens à travers la pratique sportive et mettre en place un plan d’action adapté. Nous souhaitons vraiment objectiver ce qu’est le badminton-santé, l’éducation par le badminton, l’inclusion par le badminton ou encore une pratique écoresponsable du badminton. Et c’est une démarche bien plus complexe que de compter le nombre de médailles gagnées lors d’un championnat…

Mesurer ses impacts à travers un référentiel précis, est-ce suffisant pour pérenniser une politique sociale et environnementale ?

Une telle politique doit être incarnée à tous les niveaux de la pratique. Cela passe par de nombreuses actions. Par exemple, nous avons cherché dernièrement à faire évoluer les statuts de la FFBaD en y intégrant une raison d’être (ndlr : Influencer positivement les trajectoires de vie grâce au potentiel du badminton et de ses pratiques à travers les territoires). Et ce projet a pourtant créé beaucoup d’incertitudes et de remous lors de notre dernière Assemblée Générale. Certains acteurs historiquement engagés dans le badminton ont l’impression qu’on perd notre âme. Ils ont le sentiment qu’on oublie l’essence du badminton c’est-à-dire la volonté de gagner le point face à son adversaire en tapant dans un volant. Ils nous reprochent d’abandonner nos ambitions en matière de formation des champions. Cela peut être déceptif voire démoralisant pour les personnes éprouvant ce sentiment. Or, à aucun moment nous remettons en cause les vertus de la compétition. La compétition, cela inculque des valeurs de discipline. C’est très structurant dans un parcours de vie.

Néanmoins, face à la démobilisation des bénévoles, au développement des pratiques en-dehors du giron fédéral, à la fragilité du modèle économique de nos associations… il est impératif de servir un autre discours ! Il y a un badminton pour tout le monde dans nos structures : de celui qui veut être champion à celui qui veut juste s’amuser en pratiquant notre sport. On a la chance d’évoluer dans une discipline qui balaie un spectre immense en matière de pratique. On commence le badminton à 5 ans et on peut le pratiquer jusqu’à 90 ans et plus. C’est la force de notre sport. Mais il faut parvenir à fédérer tout ce monde-là sans donner l’impression de renier ce qui a été fait avant. C’est tout l’enjeu.

Concrètement, comment est organisé le département performance sociale à la FFBaD ?

Sur la performance sportive, un cadre est fixé par l’Etat à travers le PPF (ndlr : Projet de Performance Fédéral). C’est une obligation à remplir pour les fédérations délégataires tous les 4 ans. C’est très cadré en matière de méthodologie, de progression, de jalons dans le temps… A la FFBaD nous avons voulu créer le même référentiel pour notre deuxième jambe. On a alors mis en place le Projet de Performance Sociale. Nous nous sommes appuyés sur des cabinets de conseil pour nous aider à structurer notre pensée et construire notre feuille de route autour des quatre piliers de notre politique sociale : éducation, santé, inclusion et écoresponsabilité.

Pour en revenir à notre équipe, nous comptons dans notre organisation une Directrice de la Performance Sociale en la personne de Martine Robert. Elle a un parcours qui l’a amenée à collaborer avec de nombreuses fédérations et elle dispose d’une solide expérience dans le domaine de l’éducation par le sport. C’est la manager de notre service.

Puis, nous nous appuyons sur des chargés de mission. Nous disposons d’un chargé de mission pour chacun de nos grands piliers. Nous avons aussi une ressource à temps plein sur la partie culture et un expert éducation à mi-temps. Enfin, nous accueillons à la FFBaD deux alternants qui, chacun, travaille sur deux des quatre piliers.

Comment la FFBaD s’y prend-elle pour convaincre tous les acteurs du badminton français de l’importance des enjeux sociaux et environnementaux ?

C’est une question essentielle. Jusqu’à présent, nous avons bien avancé sur la structuration de notre projet. Mais le sujet d’inspirer notre communauté sur ces enjeux est toujours en réflexion. Comme je l’ai indiqué précédemment, on ressent encore des crispations parmi les acteurs du badminton. Il faut corriger le tir. Réinventer un imaginaire collectif, c’est complexe.

Les enjeux liés à la communication ne doivent en rien être négligés. Ils sont extrêmement importants. Le COJO de Paris 2024 a eu l’extraordinaire idée de créer le fonds de dotation Impact 2024 pour financier de nombreux projets. C’est une mine d’or. Ce sont des millions d’euros qui sont investis dans des projets visant à promouvoir la pratique sportive. Mais si on ne met pas en lumière ces centaines de projets financés en racontant de belles histoires avec des contenus impactants, on aura alors jeté de l’argent par les fenêtres ! Cela ne fera pas de petits. La valorisation de ces projets est aussi importante que le fait de les cofinancer. Si ce défi n’est pas relevé, le grand public va continuer à se dire que le sport ce n’est que du fric, des histoires scabreuses, des trucages de match, du dopage, des scandales sexuels, des violences homophobes, des conflits d’intérêt… Et il y a du grain à moudre en ce moment. Ces derniers mois, à chaque fois qu’un président de fédération a fait la une de l’actualité, ce n’était pas pour de bonnes raisons !

« Réinventer un imaginaire collectif, c’est complexe »

A la FFBaD, pour relayer nos actions et messages, nous avons inséré une nouvelle rubrique dédiée à la performance sociale au sein de notre magazine fédéral. On cherche à mettre en valeur quelques retours du terrain. Sur LinkedIn, on publie un post hebdomadaire dans lequel on fait le bilan des actions menées. Mais on s’interroge sur la mise en place de nouvelles actions. Doit-on par exemple organiser une tournée des territoires pour évoquer le sujet au sein des associations ?

Exemple de publication LinkedIn publiée par la FFBaD


Les meilleurs ambassadeurs pour transmettre les bonnes pratiques en matière de performance sociale sont sans doute les dirigeants des associations. Ils peuvent se parler entre pairs. Cela fonctionne souvent mieux qu’une communication descendante provenant d’un président de fédération qui peut être jugé complètement hors-sol dans sa tour d’ivoire à Paris.

Enfin, en matière de communication, il ne faut pas négliger la partie chiffrée. Il faut impérativement mener des études pour calculer son SROI, c’est-à-dire le retour sur investissement social des actions menées. Les mettre en valeur peut aider à diffuser les bonnes pratiques – du moins celles qui génèrent l’impact le plus important – mais cela peut aussi favoriser la conclusion de partenariats vertueux avec des sponsors qui ne souhaitent pas se contenter d’un logo sur un support de communication. C’est en tout cas notre pari même si le contexte économique ne nous aide pas pour le moment à capter l’attention des grands mécènes. On parviendra à relever ce défi si, et seulement si, on se rend compte qu’à la FFBaD on travaille différemment par rapport à d’autres organisations sportives.

Songez-vous à faire appel à des athlètes de haut niveau pour incarner la nouvelle politique sociale et environnementale de la FFBaD ?

Il y a une petite dizaine d’années, la FFBaD avait nommé un ambassadeur écoresponsabilité en équipe de France. Il participait à des vidéos pédagogiques sur le sujet et les clips sont toujours accessibles même s’il a depuis quitté l’équipe de France.

Les athlètes sont clairement des porte-voix importants. Mais ils doivent être profondément animés par la cause qu’ils défendent pour que leurs messages soient efficaces. On fait vite la différence entre un athlète réellement engagé et un autre à qui on fait jouer un rôle. C’est à nous à la FFBaD d’aller à la rencontre de nos athlètes pour leur partager notre utopie. Tout en essayant d’identifier les thèmes qui leur parlent. Certains athlètes auront une préférence pour les sujets en lien avec la santé, d’autres avec l’éducation par exemple…

Néanmoins, actuellement, nous sommes en pleine préparation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Le regard et les énergies sont tournés vers la performance. La priorité va à la préparation de ce grand événement qui se déroulera à domicile.

La montée en puissance de la FFBaD sur les questions sociales et environnementales explique-t-elle le nouveau record de licenciés battu en cette saison 2022-23 ?

J’aimerais répondre oui à cette question ! Mais je ne dispose pas des retours des 200 000 licenciés pour savoir quelles sont leurs motivations les ayant encouragé à prendre une licence de badminton. On perçoit un véritable rebond post-Covid qui est aussi palpable au sein d’autres fédérations. Mais elles n’ont pas toutes battu leur record de licenciés !

La FFBaD a franchi le seuil symbolique des 200 000 licenciés lors de cette saison 2022-23

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette tendance. Il y a d’abord l’effet Pass’Sport. Cette aide de l’Etat facilite la prise de licence pour les familles les plus précaires. Chez nous, 15 000 licenciés ont bénéficié de cette aide. Ce n’est pas négligeable.

Nous avons aussi une élite sportive qui se porte de mieux en mieux. On a enregistré notre premier titre paralympique à Tokyo grâce à la performance de Lucas Mazur. La paire mixte Faustine Noël – Lucas Mazur a également glané la médaille d’argent lors de cette même olympiade. Chez les valides, notre paire double-mixte Delphine Delrue – Thom Gicquel est classée dans le top 10 mondial. Grâce à de telles performances, nous avons un peu plus de retombées médiatiques. Cela a certainement une incidence.

Après, on peut penser que notre message orienté autour de la performance sociale a convaincu certains nouveaux licenciés de nous rejoindre. Mais il ne faut pas arrêter l’analyse à cette saison 2022-23. Il faudra analyser la saison 2023-24 mais aussi les suivantes pour déterminer si c’est un rebond ponctuel ou une tendance durable en matière de croissance de licenciés.

Y. Penel (FFBaD) : « Important de se doter d’une capacité d’ingénierie sur l’innovation sociale »
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