Interview

« Les ayants droit du sport sont protégés par la valeur primordiale du direct »

spotify football interview antoine feuillet
Dziurek - Shutterstock.com

Quelles seront les prochaines grandes transformations du marché des droits TV sportifs ? Alors que de multiples scénarios sont échafaudés par bon nombre de professionnels concernant l’évolution de ce secteur – éclatement d’une bulle spéculative, entrée de nouveaux acteurs tels que les GAFA, désintermédiation du marché… – Ecofoot.fr a évoqué l’évolution des droits TV footballistiques avec Antoine Feuillet, Doctorant à l’Université de Caen Normandie et spécialiste des questions relatives aux droits TV sportifs.

La déroute financière de l’agence MP & Silva valide-t-elle la théorie évoquant la création d’une bulle spéculative concernant le marché des droits TV footballistiques ? D’autres agences ayant significativement investi dans les droits TV pourraient-elles connaître le même sort prochainement ?

La disparition soudaine de l’agence marketing MP & Silva qui faisait partie des trois plus grandes agences de droits sportifs au monde a en effet mis en lumière les comportements irrationnels de certains acteurs. Des comportements qui ne sont pas uniquement imputables aux marchés des droits TV, même si l’agence avait pour réputation de surpayer les droits sur lesquels elle se positionnait. Malgré cela, il y a encore quatre ans, MP & Silva se présentait comme un des leaders du marché avec un niveau de profitabilité important, 750 millions de dollars de chiffre d’affaires et zéro dette. On peut invoquer quatre raisons à la disparition de l’agence : des raisons actionnariales, managériales, stratégiques, et géopolitiques.

Au niveau de l’actionnariat, un rachat se concrétisa en 2016 avec la prise de pouvoir à hauteur de 65% du groupe d’investisseur Everbright (propriété du gouvernement chinois) et du Baofeng Group, une société spécialisée dans les nouvelles technologies. Dès le départ, le prix d’achat supérieur à 1 milliard de dollars a posé question d’autant que MP & Silva entrait dans une période très incertaine du fait de l’arrivée à terme d’un nombre important de ses contrats en cours. De plus, le Baofeng Group s’est rapidement écarté de la gestion effective de l’agence après avoir plongé en bourse laissant de fait le gouvernement chinois aux commandes, acteur qu’on ne peut pas considérer a priori comme un spécialiste de la gestion des droits sportifs. En ce sens, on peut se demander si, plutôt que la théorie d’une bulle spéculative, MP & Silva n’illustre pas les ‘rookies mistakes’ qu’on pourrait traduire par erreurs de débutant et qui sont invoquées en économie expérimentale pour décrire les faillites d’enchérisseurs inexpérimentés. Cette relation inexpérience-faillite étant particulièrement robuste dans la théorie des enchères. Mais ces erreurs théoriques de valorisation restent à démontrer.

Le management de l’agence par les nouveaux actionnaires peut expliquer la déroute de MP & Silva. Les cofondateurs de l’agence, Ricardo Silva – aujourd’hui propriétaire du Miami FC et actionnaire de l’AC Milan – et Andrea Radrizzani – propriétaire de Leeds United et fondateur de la plateforme Eleven Sport – ont été écartés de la gestion quotidienne, ce qui peut expliquer la perte de compétence sectorielle importante. Cela s’est répercuté dans d’autres fonctions du groupe, notamment au niveau des commerciaux où un fort turnover a eu lieu ainsi que des non-remplacements.

« On ne peut expliquer la faillite de MP & Silva par la formation hypothétique d’une bulle spéculative »

Au niveau stratégique, MP & Silva a perdu certains droits et des collaborations structurantes : la perte des droits TV internationaux de la Serie A au profit d’IMG, la forte dépréciation des droits TV de la Coupe du Monde 2018 en Italie après la non-qualification de la Squadra Azzurra ; et la collaboration avec BeIN Sports qui s’est étiolée. Finalement, au-delà du prix, le contexte de rachat n’était pas des plus propices et le manque d’investissements pour éponger les déficits ou innover n’a sans doute pas aidé à sauver l’agence. Il faut également prendre en compte le contexte géopolitique avec une volonté du gouvernement chinois en 2017 de réduire certains investissements jugés irrationnels dans le football. Orientation qui s’est notamment matérialisée par la baisse du nombre de joueurs étrangers autorisés à jouer en Chinese Super League à partir de 2017. Pour toutes ces raisons, on ne peut expliquer la faillite de MP & Silva par la formation hypothétique d’une bulle spéculative.

La disparition d’un groupe leader a resserré le marché sur les grandes agences notamment IMG, Infront, Lagardère Sports ou Mediapro. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs récupéré les contrats abandonnés par MP & Silva. Il est difficile de prévoir des faillites, mais l’avenir du modèle économique des agences marketing de droits TV est incertain avec des ayants droit qui tendent à court-circuiter ces agences et à parler directement aux consommateurs via les plateformes OTT. Mais, contrairement à MP & Silva dont le modèle économique dépendait exclusivement de l’activité de commercialisation des droits TV, les grandes agences citées ont d’autres segments d’activités leur permettant de réorienter progressivement leurs stratégies, notamment si le marché des droits TV venait à évoluer.

Le morcellement de l’offre audiovisuelle footballistique au sein des principaux marchés européens – notamment en France – oblige les consommateurs à souscrire à de multiples abonnements et à y accorder un budget de plus en plus conséquent. De plus en plus de fans se détournent alors du marché traditionnel pour recourir au piratage. L’industrie des droits TV footballistiques peut-elle connaître alors le même sort que celui de la musique ? Et verra-t-on un jour la création d’un « Spotify » du football ?

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