Interview

« Il ne suffit pas d’avoir un nouveau stade pour créer une nouvelle économie »

exploitation stade l1 interview jérémy moulard
LongJon - Shutterstock.com

Alors que la modernisation du parc des stades français prévue pour l’EURO 2016 devait permettre aux clubs de Ligue 1 de transformer leur modèle économique ; peu d’entre eux sont parvenus à sortir de la dépendance des droits audiovisuels et de la vente de joueurs pour équilibrer leurs comptes. Un effet nouveau stade décevant qui s’explique par une multitude de facteurs. Jérémy Moulard, Docteur en Management du Sport Professionnel, Consultant stade/arena et Auteur d’une thèse sur les nouveaux stades du football français, nous livre ses analyses éclairantes sur les difficultés éprouvées par les clubs français à exploiter de manière optimale les nouveaux stades.

Dans sa volonté de modernisation de son parc de stades à l’occasion de l’EURO 2016, la France a souhaité s’inspirer de l’exemple allemand. Une modernisation qui devait permettre aux clubs résidents de dynamiser leurs affluences et leurs revenus grâce à l’exploitation de nouveaux outils. Or, sur les deux critères, la Ligue 1 ne semble pas avoir comblé son retard sur le championnat allemand. Comment expliquez-vous cet échec ?

Avant de définir les causes des différents échecs, il est important de rappeler que la Bundesliga a toujours eu des résultats d’exploitation au sein de ses stades plus importants qu’en Ligue 1. Du point de vue des affluences par exemple, l’Allemagne comptait en moyenne 7 500 spectateurs de plus en 2001. En 2018, la différence est de plus de 21 000 spectateurs. Un gouffre important qui s’est creusé malgré les nouvelles constructions françaises. Un écart visible également sur d’autres variables comme les taux de remplissage, le nombre de naming, les revenus de billetterie…

Ainsi, s’inspirer de la réussite d’un modèle étranger comme l’Allemagne à travers une analyse macro-localisée était l’une des premières limites de la politique publique de rénovation des stades. Plus spécifiquement, les écosystèmes du sport spectacle français et allemand divergent sur un certain nombre de points avec des effets sur les résultats escomptés.

On peut citer empiriquement l’exemple de la Loi Evin qui interdit aux clubs français de vendre et de promouvoir des boissons alcoolisées dans l’enceinte des stades alors qu’il s’agit d’une recette substantielle pour les clubs allemands – 24 millions d’euros de sponsoring d’alcool et 40 millions d’euros de consommation de bière selon une étude menée par l’UNFP en 2014.

De plus, la « primum movens » qui met en avant le rôle premier en France des collectivités publiques dans le financement et la construction des équipements est une autre spécificité française. Une spécificité qui a contribué à éloigner les clubs de la responsabilité des projets. A l’inverse, les clubs germaniques ont su et pu analyser l’ensemble des besoins spécifiques des parties prenantes en amont de la construction. La vraie qualité des projets germaniques ce n’est pas seulement les nouvelles enceintes, c’est surtout la capacité qu’ils ont développée pour être à l’écoute des différents publics, de la sécurité et du confort pour les familles, du réseau et du business pour les entreprises, et de la flexibilité et de l’animation pour les fans avec des tribunes debout.

Outre les spectateurs, les 14 namers de stade en Allemagne ont tous été impliqués dans la programmation et l’identification des besoins en amont des projets. Ce qui n’est pas le cas en France où les sponsors ont choisi de donner leur nom de marque à un stade qu’ils n’avaient pas configuré. Si Orange et l’OM avaient participé dès le départ à la configuration du stade, ils auraient fait un stade totalement différent à Marseille, même chose à Nice, Bordeaux et même Lyon. Une situation qui peut expliquer le manque d’investissement financier et humain de ces sociétés privées qui ont pourtant un savoir-faire marketing précieux à faire valoir dans la montée en compétence marketing des clubs professionnels et l’élargissement de leur clientèle.

« Les 14 namers de stade en Allemagne ont tous été impliqués dans la programmation et l’identification des besoins en amont des projets »

En France, le rapport Besson, comme les parties prenantes françaises ont longtemps considéré que l’agrandissement de la capacité des stades était corrélé à celle de la demande. Tout comme le développement de nouveaux services suffisait à attirer et fidéliser une nouvelle clientèle. Une analyse très éloignée de la réalité des faits. Pour développer un avantage concurrentiel, il faut s’adapter aux écosystèmes locaux. Des écosystèmes, qui n’ont pas été analysés dans la plupart des cas quantitativement et qualitativement.

Il n’est en effet pas apparu dans les études de cas menées que les décideurs publics – qui ont fait les choix concernant les stades – appuyaient leurs décisions sur des études territoriales. Ainsi, Saint-Étienne Métropole n’a réalisé aucune étude sur la sociologie des supporters et spectateurs du stade à même de préciser leurs attentes. Même constat chez les constructeurs.

De plus, on se rend compte que la théorie du potentiel local est souvent absente des projets. Cette logique de géomarketing est ainsi largement éludée par les acteurs du sport spectacle français, alors même qu’elle constitue une variable très attentivement scrutée dans bon nombre d’autres secteurs. Il est par exemple regrettable qu’aucune réflexion globale sur la multiplication de nouvelles enceintes n’ait été réalisée. Une analyse qui aurait permis d’anticiper une cannibalisation de ces structures sur un marché où les stars et événements capables de remplir un stade de plus de 40 000 places sont limités. Résultat, l’ensemble des exploitants comptaient sur les revenus d’événements hors jour de match exceptionnel pour équilibrer leur business model. Loupé !

Ce manque d’analyse s’explique du point de vue marketing, par le manque de personnes capables d’analyser la demande d’une manière micro-localisée. Des compétences non possédées par les collectivités et les PPPistes, souvent leaders des projets. Au niveau des clubs, l’importante externalisation commerciale de ces derniers a été un frein à la captation de la demande. Les clubs ont une très faible connaissance de leur clientèle. C’est les régies commerciales externes qui connaissent le mieux le public français. C’est un problème important, car ces régies n’ont pas été impliquées sur l’analyse de la demande locale. En France des bonnes pratiques existent. L’OL a travaillé avec Lagardère sur une analyse locale, le PSG a lui internalisé sa force commerciale depuis 2013 pour optimiser sa connaissance client. Une montée en compétences est en cours depuis 1 ou 2 saisons dans d’autres clubs.

De fait, l’absence de mise en relation entre le potentiel local, analysé quantitativement et qualitativement et les projets est une constante selon les entretiens réalisés auprès des acteurs. C’est pourtant une des explications de l’échec constaté, marquant de façon généralisée, à l’exception des cas du PSG et de l’OL, un décalage entre l’offre proposée et la demande.

Une absence d’analyse qui a notamment contribué aux différentes limites structurelles identifiées. Parmi ces dernières, l’augmentation massive de la capacité des stades a amplifié une offre devenue surdimensionnée sur un marché de consommation déjà restreint et parfois saturé localement. Au sein de mes études, dans 80% des cas la capacité du stade pose un problème au club résident. Un surdimensionnement qui n’est pas la cause du Cahier des Charges UEFA. Mes résultats montrent que les stades ont en moyenne 7 000 places de plus que la jauge demandée pour l’accueil de l’Euro 2016. Ces derniers ont également 20 500 places de plus que la moyenne d’affluence historique de chacun des clubs résidents. Au final, le nombre moyen de places vides au sein de ces nouveaux stades est de 14 000 depuis leur inauguration.

« Dans 80% des cas la capacité du stade pose un problème au club résident »

Une surcapacité qui a notamment concouru à un surcoût financier important. Le rapport de la Cour des comptes (2016) fait état ainsi d’un surcoût de rénovation/construction à la place significativement plus élevé que dans d’autres projets européens dont l’Allemagne. Mes résultats montrent notamment une hausse des coûts dans les projets où les clubs étaient absents de la programmation finale. En effet, l’absence de certains clubs dans la rédaction des cahiers des charges a contribué à une multiplication d’oublis. Dans le cas stéphanois les surcoûts trouvent ainsi leur origine dans les hésitations des besoins du maître d’ouvrage. La Cour des Comptes note dans ce cas que « la définition des besoins et ainsi l’exécution des contrats ont été chaotiques ». Même constat à Lille et Nice. Ainsi pour ces 3 exemples, le surcoût des stades représente un montant total de 337 millions d’euros. Un montant important qui peut être additionné au surdimensionnement évoqué de certains. Une facture globale qui se répercute forcément sur les redevances des loyers payés par les acteurs.

Les loyers moyens entre les anciens et les nouveaux stades sont ainsi passés de 0,7 million d’euros à 4,5 millions d’euros pour les clubs. Soit une hausse de 540% ! Outre cette redevance, les charges de nettoyage, les fluides ou encore les frais de sécurité sont à additionner à ce montant. Ainsi plus le stade est dimensionné, plus les charges d’exploitation sont importantes. Au final, elles ont été dans 80% des cas, mal appréhendées par les exploitants.

Le choix du Partenariat Public Privé – utilisé pour plusieurs projets de modernisation/construction– explique-t-il la mise en service de stades qui ne répondent pas exactement aux besoins des clubs résidents ?

To Top
Send this to a friend