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Rétro – Les prémices de la relation football, télévision et argent dans le foot français

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Nationaal Archief Fotocollectie Anefo - CC BY-SA 3.0 NL

Alors qu’aujourd’hui, les recettes télévisuelles constituent la première source de revenus pour de nombreux clubs professionnels hexagonaux ; le football professionnel français n’a pas toujours adopté un modèle TV-dépendant au cours de son histoire. Dans ce nouvel épisode rétro, Matthieu Delahais, Co-Auteur du Dico des Bleus, nous rappelle qu’aux prémices des retransmissions télévisuelles des rencontres, les chaînes « dédommageaient » les clubs concernés pour le manque à gagner au niveau de la billetterie. Une époque qui semble déjà loin…

La finale de la Coupe de France 1952, entre l’OGC Nice et Bordeaux est le premier match diffusé en direct en France. En octobre de la même année, les Tricolores sont également à l’honneur face à la RFA. La veille de cette rencontre, près de 1 000 téléviseurs s’étaient vendus, portant le parc à 40 000 appareils. En dépit de ces débuts prometteurs, le football et la télévision vont se quereller pendant une bonne vingtaine d’années. Le premier craint de voir ses stades se vider, et la seconde n’arrive pas à fidéliser son public avec les matches en différé. Ce n’est qu’au milieu des années 70, notamment avec le démantèlement de l’ORTF en trois nouvelles chaînes (TF1, Antenne 2 et FR3) que le sport roi va commencer à s’imposer sur le petit écran, par le jeu de la concurrence mais grâce aussi à des équipes françaises enfin compétitives sur la scène internationale.

L’épopée européenne des Verts en 1976 est le premier grand spectacle télévisé de football auquel la France va assister. L’engouement pour l’équipe stéphanoise est tel qu’un tirage au sort est nécessaire pour décider qui, de TF1 ou d’Antenne 2, diffusera le match. C’est la Une qui rafle la mise, Antenne 2 devant se contenter d’une rediffusion en différé. La technologie n’étant pas à cette époque lointaine aussi développée que de nos jours, le match est en noir et blanc lors du direct – ce qui contraint les Verts à jouer avec un short noir pour qu’on puisse bien les distinguer des Munichois. Mais la rediffusion sur Antenne 2 se fit en couleur. A ce moment, on estimait que 14 millions de foyers possédaient un téléviseur, mais seul 1 million étaient en couleur. L’audience de cette rencontre n’a été mesurée par aucun organisme. Cependant, Philippe Gastal, le patron du musée des Verts s’avance sur un chiffre de 30 millions de téléspectateurs. Cette finale, et toute l’épopée européenne du club forézien, a montré l’importance que le football pouvait avoir à la télévision en termes d’audience, et par voie de conséquences en termes de revenus.

Le président de la Ligue, Jean Sadoul, a essayé de profiter de cette magnifique campagne pour faire du football un spectacle télévisuel. Il a alors proposé de céder gratuitement à Antenne 2 la diffusion de résumés de matches du championnat de Division 1. Mais Robert Chapatte (spécialiste du cyclisme) et Roger Couderc (spécialiste du rugby) refusèrent, précisant même qu’une émission montrant des buts n’intéresserait personne… Un an plus tard, TF1 acceptera de payer près de 450 000 francs pour mettre en place une émission consacrée au football. Téléfoot nait le 16 septembre 1977. Les fans peuvent découvrir à partir de 23 heures un résumé de deux matches ainsi que de nombreux reportages. Le contrat passe à 1,5 million dès l’année suivante puis à 3 millions en 1979. En 1981, l’émission est décalée au dimanche de 12 heures à 13 heures pour toucher un plus large public.

En 1983, FR3 tente de lancer sa propre émission de football, Soir 3-Football, mais sans autorisation de la Ligue. TF1 réagit bien entendu puisqu’elle doit débourser plusieurs millions pour diffuser les images du championnat de France. FR3 tente d’invoquer le droit à l’information, mais sans succès. Ce conflit débouche sur une loi qui régule le droit à l’information. Mais ce droit ne s’applique que pour les journaux télévisés, pas pour les magazines. La Trois est contrainte de mettre un terme à son émission.

Un an plus tard, à l’issue du championnat d’Europe remporté par les Bleus de Platini, TF1 réalise une véritable OPA sur le football français. Elle devient détentrice des droits de diffusions des matches de la sélection pour 10 millions de francs. Elle réussit également à transférer dans ses studios Thierry Rolland et Jean-Michel Larqué, qui officiaient alors sur Antenne 2.

D’une politique de dédommagement jusqu’à l’achat au prix fort

Jusqu’aux années 70, la télévision dédommageait le football pour diffuser les rencontres. Le prix avait pour objectif de couvrir la « perte » en termes de recettes aux guichets causée par la retransmission des matches. Mais l’intérêt grandissant du football pour le public fait évoluer les choses. Claude Bez, le président des Girondins de Bordeaux le résume bien dans cette phrase : « Il n’y a pas si longtemps, le football était à genoux devant la télévision. Maintenant, celle-ci doit se plier aux règles du jeu. ».

En 1983, le Paris Saint-Germain accepte 50 000 francs pour laisser TF1 diffuser la rencontre européenne l’opposant au Lokomotiv Sofia. Mais la Ligue intervient et fixe le prix du match à 150 000 francs. En 1985, la demi-finale de la Coupe des Clubs Champions entre la Juventus et Bordeaux est facturée 2 millions de francs. Il faut dire que le président Bez allait toujours au bout de ses idées et qu’il était prêt à couper le faisceau du direct 10 secondes avant le début du match. Deux ans plus tard, la Cinq paiera 4 millions de francs pour la demi-finale de la Coupe des Coupes entre Bordeaux et Leipzig. Le tarif des matches des Bleus suit la même courbe ascendante, passant de 100 000 francs en 1977 à 300 000 en 1983 puis 1 million deux ans plus tard pour arriver à 6 millions de francs à partir de 1986.

1984 est aussi l’année de la naissance de Canal+. Initialement destinée à être la chaîne du cinéma, la nouvelle venue sur le marché réoriente rapidement une partie de ses programmes sur le football. La chaîne payante retransmet son premier match le 14 novembre – Nantes-Monaco. Le prix de base est de 250 000 francs, mais ce tarif augmente en fonction du nombre d’abonnés. Il faudra tout de même plus de 6 mois avant que le nombre d’abonnés décolle enfin.

En 1986, lors de la Coupe du monde au Mexique, les matches sont joués à midi ou en tout début d’après-midi pour qu’ils puissent être diffusés en début de soirée en Europe qui représente le plus gros marché télévisuel. Sur cette année, les chaînes françaises ont déboursé 65 millions de francs.

En une grosse décennie, l’argent est devenu un facteur déterminant de la relation entre les deux entités, à tel point que la télévision, autrefois si réticente à diffuser ce sport, va utiliser le pouvoir de l’argent pour finir par imposer ses contraintes horaires au football dans les années qui suivront. Les dirigeants de la ligue et de la fédération s’adaptent bien à ce nouveau marché en plein essor en créant les appels d’offres, ce qui depuis plus de 30 ans, leur a permis d’accroître de façon presque continue leurs ressources.

Par Matthieu Delahais, Co-auteur du Dico des Bleus 

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