Politique / Droit

Les clubs de foot peuvent-ils décider unilatéralement d’une baisse de salaire de leurs joueurs en cas de relégation ?

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Ververidis Vasilis / Shutterstock.com

Un club professionnel use de sa faculté de réduire unilatéralement le montant de la rémunération de ses joueurs en cas de relégation sportive. Bien que prévue par la Charte du football professionnel, cette faculté semble aller à l’encontre de certains principes prévus par le droit du travail. Décryptage par Hadrien Flamant et Me Quentin Leclerc.

Au terme de chaque saison sportive, des clubs de Ligue 1 et Ligue 2 se retrouveront relégués dans la division inférieure.

La relégation est synonyme de baisse importante de revenus, en termes de billetterie, sponsoring ou encore et surtout droits de retransmission télévisuelle.

Or, les clubs relégués disposent encore d’une masse salariale correspondant logiquement à celle d’un club de division supérieure.

Partant, ces sociétés sportives auront pour objectif après une relégation d’alléger cette masse salariale, particulièrement celle de leur effectif professionnel. Si des mutations et fins de contrat sont envisageables, l’article 761 de la Charte du football professionnel, convention collective nationale des métiers du football, peut représenter une solution de choix.

Cet article prévoit, qu’en cas de relégation en division inférieure, le club a la faculté de diminuer le montant des contrats de ses joueurs professionnels, sous réserve du respect du salaire mensuel brut minimum conventionnel.

Cette diminution de salaire pourra être collective ou individuelle. Lorsqu’elle est collective, elle devra être limitée à 20%. Au-delà de ce plafond, les clubs ont la possibilité de proposer par écrit et de manière individuelle, une diminution de salaire dans la limite des plafonds décrits par la Charte. Le joueur aura alors le choix entre l’acceptation de cette baisse de sa rémunération, ou en cas de refus, être libéré de son contrat sans indemnité au 30 juin.

Le 25 janvier 2018, la cour d’appel d’Angers a eu à se prononcer, sur renvoi après cassation (cass. soc., 14 septembre 2016 ; n°15-21794), sur l’application de cette disposition de la Charte du football professionnel.

En 2013, un joueur alors salarié de l’En Avant Guingamp avait formulé devant le conseil de prud’hommes une demande de rappel de salaires et de dommages intérêts, aux fins de réparer le préjudice subi notamment par la décision unilatérale par l’employeur de baisser sa rémunération lors de la relégation sportive du club à l’issue de la saison 2009/2010 (relégation en championnat de National). Ces demandes furent écartées par le conseil de prud’hommes de Guingamp.

Pour la juridiction de première instance, il ressortait des dispositions de la Charte du football professionnel que l’accord du joueur n’est pas requis en cas de relégation du club lorsque la diminution de salaire ne dépasse pas 20%, et lorsque cette mention figure au contrat de travail ce qui était le cas en l’espèce. Ainsi, pour le conseil de prud’hommes, cette mesure avait fait l’objet d’une contractualisation et était donc opposable au joueur.

Le joueur interjeta appel de cette décision.

Par un arrêt du 20 mai 2015, la cour d’appel de Rennes confirmait la décision du conseil de prud’hommes, et le joueur formait alors un pourvoi en cassation.

Dans un arrêt du 14 septembre 2016 (cass. soc., 14 septembre 2016 ; n°15-21794), la chambre sociale de la cour de cassation considérait au visa notamment de l’article 1134 du code civil (désormais 1103 et 1104 C. Civ.) que sauf disposition légale contraire, une convention collective ne peut permettre à un employeur de procéder à la modification du contrat de travail sans recueillir l’accord exprès du salarié.

L’arrêt de la cour d’appel de Rennes est ainsi cassé par la cour de cassation en ce qu’il déboutait le joueur de sa demande de rappel de salaire et renvoie les parties devant la cour d’appel d’Angers.

La cour d’appel d’Angers se conforme alors à la décision rendue par la cour de cassation.

En effet, la cour d’appel estime, dans son arrêt du 25 janvier 2018 (n°16/02326), qu’il est constant que la rémunération contractuelle d’un salarié ne peut pas être modifiée par l’employeur ni dans son montant, ni dans sa structure, sans l’accord du salarié. Une convention collective ne peut pas permettre à un employeur de modifier le contrat de travail sans recueillir l’accord exprès du salarié.

De plus, la cour d’appel estime que s’il est patent qu’en s’engageant avec le club, le salarié a accepté de se soumettre aux dispositions de la charte du football professionnel, il n’en demeure pas moins que cette charte a valeur de convention collective sectorielle et que l’En Avant Guingamp ne pouvait pas procéder à une baisse de la rémunération de son salarié qui avait pour effet de modifier son contrat de travail, sans obtenir l’accord exprès de ce dernier.

Par ailleurs, la cour d’appel constate que le club, qui ne produit aux débats aucune pièce relative à cet accord de la part du joueur, et ne démontre pas non plus l’avoir sollicité, a procédé à une diminution unilatérale de la rémunération contractuellement prévue.

En conséquence, la cour d’appel d’Angers fait droit à la demande du joueur de condamner le club à lui verser la somme de 36 000 € à titre de rappel de salaire.

Cette décision logique au regard de l’ordre public social permet de se questionner sur la légalité de cette disposition de la Charte du football professionnel.

Cette affaire présente le mérite de rappeler qu’un salarié ne peut en tout état de cause renoncer à ses droits, par avance, et même dans le cadre de son contrat de travail. La diminution de salaires doit alors faire l’objet d’un accord exprès du salarié, au moment où elle est proposée.

Il serait ainsi approprié pour les clubs professionnels de prévoir contractuellement une rémunération fixe, assortie de primes plus ou moins importantes selon la division dans laquelle le club évolue.

Par Hadrien Flamant & Me Quentin Leclerc

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