Edito

Edito – Eloge des ultras

Eloge des ultras
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Les ultras sont-ils diabolisés par les médias français ? Pierre Rondeau, Codirecteur de l’Observatoire Sport et Société de la Fondation Jean Jaurès, s’insurge contre le portrait des fervents supporters dressé par certains médias et journalistes.

C’est devenu une ritournelle à chaque début de saison. Année après année, journée après journée, à écouter les médias spécialisés et à lire la presse, on a l’impression que la France serait touchée par un mal profond, retord, difficile. Notre beau pays serait attaqué par des hordes d’ultras, d’affreux hooligans sanguinaires et violents, s’accaparant le plaisir des quelques fans apeurés dans les tribunes, protégés par des CRS désorganisés et des officiels intransigeants.

Le football vivrait ses heures les plus sombres. Les stades de l’hexagone ne seraient plus des endroits calmes et accueillants mais des lieux de décrépitudes, de brutalités et de barbarie. Rendez-vous compte, on allume des feux dans les enceintes, on chante la gloire des vieux succès et on se moque des adversaires. La paix a disparu, le règne de la chienlit s’est installé !

C’est en tout cas ce que pourrait croire n’importe quelle oreille intéressée, qui suivrait épisodiquement le théâtre du football. Certains moralisateurs du PAF accusent, d’autres dénoncent. « Les ultras sont la misère du football ! », « des cerveaux d’huitre », « des individus dangereux, idiots et bêtes ». Alors on condamne et on sanctionne.

Depuis la reprise – mais nous pourrions aller encore plus loin dans l’étude – des tribunes ont été fermées après le débordement de quelques-uns, des clubs ont reçu des amendes, des supporters ont été interdits de déplacement voire carrément interdits de stade. Nous en sommes là aujourd’hui.

Dorénavant, en France, le fan de foot subit de plein fouet la politique ultrasécuritaire mais surtout la vision ultra-caricaturale et segmentée du secteur. Le stade doit être calme, plat, aseptisé et tranquille. Les matchs doivent être diffusés sans entrave à la télévision – vu le prix que payent les chaines, il est bien normal de respecter leurs désirs – et rien ne doit dépasser.

Quitte alors à ne pas respecter quelques normes juridiques fondamentales, quitte à oublier l’individualité des peines pour préférer la collectivisation. On accuse sans preuve et on interdit à tout va. Quelques fumigènes allumés dans le stade, le huis clos est voté manu militari. Une centaine de supporters désireux de faire le voyage avec leur équipe favorite, on empêche le déplacement sous couvert d’argumentaires mystérieux. Des ultras s’invectivent pendant un derby, on accuse et on offense, quitte à remettre en cause l’essence même du ballon rond.

Car le football populaire, le foot qu’on aime et qu’on adore, c’est aussi ça, c’est l’outrage, la tension, la pression, l’affrontement, l’affirmation de nos identités régionales, la défense de notre classe, de notre groupe, de notre clan. Le football est un champ de bataille moderne, il réunit des peuples pendant 90 minutes et permet de déconstruire les tensions et les préjugés, d’unifier la diversité et de coaliser les foules derrière un même idéal. Le football a un effet cathartique, purgatif, libérateur.

Non, les ultras, les supporters ne sont pas des hooligans. Ils expurgent simplement un sentiment fugace pendant une rencontre, ils intensifient leur sentiment d’être et d’appartenance, derrière un même drapeau, un même fanion, et soutiennent la socialisation, la solidarité et l’unité.

Vouloir à tout prix les condamner, les victimiser, les insulter, les parjurer, c’est aussi prendre le risque de tuer ce qu’est surtout et avant tout le football. Alors que voulons-nous ?

Par Pierre Rondeau  Codirecteur de l’Observatoire Sport et Société à la Fondation Jean Jaurès

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