Edito

Vers une régulation algorithmique du marché des transferts ?

FIFA régulation transferts
Yuri Turkov / Shutterstock.com

Faut-il mieux encadrer le marché des transferts ? Alors que la FIFA, consciente de l’inflation galopante, commence à proposer des solutions pour mieux contrôler la hausse des prix ; Pierre Rondeau, Codirecteur de l’Observatoire Sport et Société de la Fondation Jean Jaurès, estime que les premières mesures évoquées ne sont pas appropriées pour mieux réguler cette activité.

La chose était dans les petits papiers de la FIFA depuis longtemps, l’organisation internationale du football veut réguler l’économie explosive du ballon rond. Cela fait maintenant quelques années que les montants des transferts grimpent, que les salaires connaissent une hyperinflation et que les inégalités montent dangereusement.

C’est simple, en moins de 10 ans, le football, et notamment européen, a connu une croissance bien plus importante que sa croissance totale sur tout le siècle précédent. L’année dernière, des records ont été battus, avec notamment le Paris Saint-Germain qui s’est offert, pour respectivement 222 millions d’euros et 180 millions d’euros, les stars Neymar et Mbappé. Il y a quelques années, les joueurs vendus à plus de 50 millions d’euros étaient une rareté, aujourd’hui, c’est presque devenu la norme.

Nécessaire régulation

A titre d’exemple, dans les années 1970, l’attaquant Johan Cruyff n’avait été vendu «que» 2 millions de dollars, valeur 1973, soit 9.6 millions d’euros, valeur 2018. Idem dans les années 1980, où Bernard Tapie, le président de l’Olympique de Marseille de l’époque, avait proposé un chèque de 40 millions de francs au Napoli pour s’offrir Diego Maradona. En comparaison avec les valeurs économiques de 2018, c’est comme si Nanard n’avait proposé que 9.47 millions d’euros pour le meilleur joueur du monde.

Aujourd’hui, avec l’augmentation considérable des droits TV nationaux et internationaux, avec la mondialisation du football, avec l’arrivé des investisseurs étrangers et la mise en place du fair-play financier, la croissance économique du ballon rond est continue et exponentielle. Mais jusqu’à quel point ?

Car c’est simple, les arbres ne montent pas au ciel et on ne peut pas espérer une croissance footballistique infinie. A un moment, tout va s’arrêter et cela peut arriver n’importe quand. Il suffirait que la bulle sportive explose, que les investisseurs se rendent compte que l’argent n’afflue pas en masse dans le foot, que les téléspectateurs arrêtent d’être pris pour des vaches à lait et se désabonnent des chaînes de télévision payantes, que les inégalités bloquent la glorieuse incertitude et l’équilibre compétitif, que l’intérêt et le suspense du foot disparaissent, et tout est fini.

L’UEFA, l’instance européenne, et la FIFA ont très certainement compris ce scénario et tentent d’insuffler une idée de régulation dans le foot. Coté européen, l’UEFA a d’abord renforcé le fair-play financier puis modifié les règles de dotation des primes dans ses compétitions (Europa League et Ligue des Champions) afin d’apparaître plus juste et équitable.

Du côté de la FIFA, la nouveauté est apparu mardi 25 septembre, après la publication d’un rapport intitulé « Réforme du système des transferts 2018 ». Celui-ci souhaite poser les bases du système footballistique de demain, garant d’une justice sociale et d’une stabilité économique. D’après le président de la FIFA, Gianni Infantino, « il s’agit d’une étape importante dans nos efforts visant à accroître la transparence, mais aussi dans la mise en place efficace de règles qui permettront aux clubs de bénéficier d’importantes contributions de solidarité, ainsi que dans l’établissement d’un consensus autour de l’activité des agents, des prêts et d’autres aspects clés du système des transferts ».

La fée mathématique rentre dans le football

Et que dit précisément ce rapport ? Que la piste est celle d’une régulation algorithmique du marché des transferts. Autrement dit, le foot de demain pourrait être contrôlé et dirigé par des formules mathématiques capables de prédire la valeur réelle des joueurs. En conséquence, une taxe sera payée par tous les clubs proposant un prix supérieur à la valeur estimée par le programme mathématique.

Les joueurs seraient ainsi associés à un « prix officiel de marché », calculé par des variables sportives (performances, but marqué, kilomètres parcourus, âge, poste, etc.) et extrasportives (durée du contrat, origine géographique, taille, poids, etc.) et les clubs devraient s’acquitter de cette cote. Dans le cas contraire, une majoration sera payée et ira abonder un fonds de développement pour le football.

Merveilleuse modernité non ? Pas tellement, ce vœux de régulation cache en fait un refus de contrôler le marché, précisément ce que la théorie régulationniste souhaite. En passant par une expertise algorithmique, on laisse la main aux forces naturelles du marché, sans imposition politique ou législative. On pense maintenir un idéal objectif, neutre et impartial, avec l’usage des maths, mais on s’engouffre dans une voie dangereuse d’aléas et de défaillances.

Qui pour définir le modèle ? Qui pour cibler et choisir les variables ? Qui pour accorder plus ou moins de poids à l’une ou l’autre ? En optant pour ce modernisme, on se rend totalement dépendant aux risques et aux erreurs empiriques. Le directeur du Centre International d’Economie du Sport, Raffaele Poli, pourtant créateur, en 2011, d’un algorithme capable d’estimer la valeur théorique des joueurs, reconnait lui-même les limites d’un tel système.

« Les valeurs peuvent augmenter et diminuer à partir de rien. Une blessure ou une exposition médiatique soudainement peut faire exploser la valeur d’un joueur […] Le Real a acheté Vinicus 40 millions alors qu’il en valait 14. Mais on sait que dès que Vinicius aura joué 5 matchs avec le Real, il en vaudra au moins 40 ». Traduction, cette mesure pourrait allait à l’encontre de l’investissement d’avenir.

Elle pourrait être profondément dangereuse. Tant en amont, au niveau de la construction et du choix subjectif des variables significatives, qu’en aval, avec l’exposition a posteriori des joueurs. De même, on laisserait entrer dans le monde du foot les usages spéculatifs, avec des mécanismes de trading pariant à la hausse ou à la baisse sur des joueurs et jouant sur de la vente lucrative d’êtres humains.

La solution ne peut pas, ne doit pas être celle-ci. Il faut trouver des alternatives. Et elles existent ! Pourquoi la FIFA n’a-t-elle pas réfléchie à une contribution Coubertobin, ponctionnant l’ensemble des transferts internationaux à un taux très faible, afin de favoriser la redistribution et la protection des joueurs ? Pourquoi ne pas imposer un salary-cap international voire une luxury-tax ? Pourquoi enfin, ne pas imposer un partage égalitaire des droits TV colossaux afin de soutenir l’équité compétitive et le suspense ?

Dit autrement, pourquoi la FIFA ne reverrait pas sa copie ?

Par Pierre Rondeau  Codirecteur de l’Observatoire Sport et Société à la Fondation Jean Jaurès

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