Le (re)gain d’intérêt pour la discipline et des changements réglementaires importants suscitent l’appétit de nombreux investisseurs pour les écuries de Formule 1. Une tendance qui entraine une forte appréciation de la valorisation des 10 équipes concourant dans la discipline. Ces dernières peuvent-elles devenir à terme les actifs les plus précieux du sport mondial ? Décryptage.
Plus de 1 Md$. C’est le montant refusé en 2023 par Red Bull concernant le rachat de sa « petite » écurie Alpha Tauri désormais rebaptisée Racing Bulls. Une offre à 10 chiffres qui n’était nullement envisageable dans la discipline il y a tout juste une poignée de saisons ! En 2021, Sauber a ainsi failli vendre son écurie à Andretti Autosport sur la base d’une valorisation de 350 m$ (315 m€) avant de se raviser et de céder son entité au constructeur allemand Audi contre un chèque deux fois plus élevé.
Cette appréciation des valorisations est symbolisée par l’étude Forbes régulièrement mise à jour. Alors qu’en 2019, la valorisation moyenne d’une écurie se situait autour des 500 m$ (450 m€) selon le média américain, cette dernière a bondi de… 276% lors de la dernière édition réalisée en 2023 pour atteindre 1,88 Md$ (1,70 Md€) ! Désormais, les leaders du classement, à savoir Ferrari ou Mercedes, se situent autour des 4 Mds$.
Valorisation Forbes réalisée en 2023
Et les transactions dernièrement recensées au sein de la discipline confirment cette évolution. Alors qu’Ineos a acquis en 2022 un tiers des parts de l’écurie Mercedes sur la base d’une valorisation à 850 m$ (767 m€) ; les montants se sont envolés ces derniers mois. Un consortium américain mené par Red Bird Capital Partners et Otro Capital a ainsi acquis en 2023 une participation minoritaire dans l’écurie Alpine F1 pour une valorisation d’entreprise estimée à un peu plus de 900 m$. Plus récemment encore, le fonds américain Arctos est entré au capital d’Aston Martin F1 sur la base d’une valeur d’entreprise de l’ordre de 1,2 Md$.
Forte hausse des revenus en F1
Depuis le rachat de la discipline par Liberty Media, la Formule 1 est parvenue à sensiblement développer ses revenus. Pour de nombreux observateurs, la série Drive to Survive diffusée sur Netflix constitue l’élément clé ayant initié ce cercle vertueux. « Le succès de la série Drive to Survive a ouvert de nouveaux marchés à la F1, d’un point de vue géographique mais aussi démographique » nous éclaire Christina Philippou, Professeur Associé en Finance du Sport à l’Université de Portsmouth.
L’effet Netflix est notamment palpable aux Etats-Unis. Sur ce marché en pleine expansion pour la F1, la discipline est parvenue ces dernières années à considérablement développer ses audiences mais aussi ses revenus TV. Le groupe Walt Disney verse actuellement une somme estimée à 83 m$ (75 m€) par saison pour retransmettre les GP sur ses antennes.
Mais l’Amérique du Nord n’est pas le seul marché en plein boom pour la discipline. Selon une étude menée par Seaport Research Partners, les droits audiovisuels de la F1 ont déjà franchi la barre du milliard de dollars et devraient se situer autour de 1,4 Md$ (1,25 Md€) à horizon 2029. Une courbe de croissance à rendre jalouses d’autres organisations sportives…
Le plafond budgétaire, un game changer ?
Au-delà du développement du chiffre d’affaires, une décision réglementaire a joué un rôle majeur dans la hausse d’intérêt des investisseurs pour la discipline. En 2021, la Formule 1 a introduit un nouveau règlement financier fixant un plafond budgétaire fixe. Ainsi, en cet exercice 2024, les 10 écuries ne peuvent dépasser la limite de 135 m$ (122 m€) pour leurs dépenses opérationnelles. Néanmoins, quelques lignes de dépenses sont exclues de ce calcul dont le salaire des pilotes, les frais pour la motorisation ou encore les trois plus hauts revenus de la structure.
Cette nouvelle règle a mis fin à la course effrénée aux dépenses pour développer les voitures, certaines écuries investissant plus de 400 m$ par saison au milieu des années 2010 pour satisfaire leurs objectifs ! « Les nouvelles règles avec le plafond budgétaire ont rendu les écuries de F1 profitables. Elles n’ont plus besoin de sur-dépenser pour gagner » analyse justement Christina Philippou.
L’effet a ainsi été immédiat sur la profitabilité des différentes écuries. Alors que ces dernières affichaient un résultat opérationnel combiné négatif à hauteur de 200 m$ en 2019 ; elles ont généré un EBITDA positif supérieur à 600 m$ (550 m€) en 2023 ! « Les revenus centralisés ont par ailleurs tellement augmenté ces dernières saisons qu’une écurie a seulement besoin d’aller chercher une enveloppe de sponsoring autour de 50 m$ par saison pour atteindre le plafond budgétaire tout en présentant un résultat à l’équilibre » expliquait dernièrement un spécialiste du secteur dans les colonnes de Forbes.
Une écurie de F1, un actif rare
Cette hausse de la profitabilité des écuries n’est évidemment pas passée inaperçu aux yeux des investisseurs institutionnels. Avant même les entrées de Red Bird Capital Partners, d’Otro Capital ou encore d’Arctos ; d’autres fonds nord-américains avaient pris des participations minoritaires ou majoritaires dans le capital d’écuries. C’est le cas notamment de Dorilton Capital qui a racheté l’écurie Williams en 2020 pour un montant de l’ordre de 200 m$ ou encore de MSP Sports Capital qui a acquis un peu plus de 30% du capital de McLaren en plusieurs transactions.
Et l’intérêt des investisseurs institutionnels pour les écuries de F1 ne devrait pas s’arrêter là à en croire les spécialistes de la question. « La valorisation d’une écurie dépend du montant que les potentiels acquéreurs sont enclins à investir. Et ce montant dépend lui-même de deux facteurs : le retour sur investissement attendu et en quoi la détention d’une écurie de F1 permet de gagner en attractivité en termes d’image » décrypte Christina Philippou. « La Formule 1 est aujourd’hui devenue une ligue fermée avec un tout petit nombre d’équipes. Une écurie est désormais un actif très rare sur le marché » poursuit notre experte.
D’autant que les fonds d’investissement ne sont pas les seuls acteurs intéressés pour intégrer la discipline. Certains grands groupes industriels, notamment dans l’univers de l’automobile, regardent avec appétit l’évolution de la F1. Un acteur comme Toyota réfléchirait à un retour dans la discipline phare du sport automobile. Les valorisations des écuries de F1 n’ont donc pas fini de grimper…