Interview

A. Thiodet : « Le PSG n’est pas passé de 20 à plus de 100 M€ de revenus matchday simplement en achetant Ibrahimovic, puis Neymar »

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Malgré le renouvellement du parc des stades en France à l’occasion de l’EURO 2016, les clubs français peinent dans l’ensemble à accroître sensiblement leurs revenus « jour de match ». Pour mieux comprendre les difficultés rencontrées par les clubs de L1 dans ce domaine, Ecofoot.fr est parti à la rencontre d’Antony Thiodet, Fondateur de Time For Biz et expert des problématiques stades.

Malgré la livraison des nouvelles enceintes dans le cadre de l’organisation de l’EURO 2016, les recettes de billetterie et les affluences en Ligue 1 n’ont pas connu un bond en avant spectaculaire. Comment expliquez-vous cette tendance ?

Le marché de la vente de billetterie pour les spectacles sportifs est entré à l’échelle mondiale dans une phase de stagnation-régression. D’abord parce que les générations qui rentrent dans la vie active sont moins importantes en nombre d’individus que celles issues du baby-boom. Le marché est donc plus étroit.

Ensuite parce que ces générations attendent une autre forme d’offre que celle qui prévaut depuis des décennies. Le foot français doit à cet égard procéder urgemment au même type de mutation que celle entreprise par l’industrie du cinéma, passant des salles obscures de quartier aux multiplexes.

Enfin parce que le monde s’est rétréci avec le World Wide Web, mais aussi les voyages low-cost. Les consommateurs entrant sur le marché ont des référentiels qui les éloignent de leur environnement proche. A leurs yeux il est tout aussi accessible de se rendre à Madrid pour voir un match du Real que d’aller au Groupama Stadium quand ils sont Lyonnais.

Le foot français a longtemps cru que les stades de l’Euro 2016 – dessinés pour la plupart d’entre eux avant 2010 et par des architectes qui n’avaient jamais dessiné de stade auparavant – allaient constituer la réponse à tous les problèmes. Mais ces stades n’ont fait que les accentuer. Parce qu’en concrétisant une conséquente augmentation des capacités, les clubs ont accentué le déséquilibre entre offre et demande. En ne proposant pas, pour la plus grande partie des clubs, une diversité suffisante de produits, d’expériences, de services ; ils ne parviennent pas à répondre aux problèmes posés malgré l’exploitation de stades modernes.

A première vue, l’exploitation d’un outil moderne ne suffit pas pour entretenir sur la durée une croissance de ses recettes « matchday ». Comment les clubs de L1 peuvent-ils s’inscrire dans un cycle durable de croissance de leurs activités « matchday » ?

La question de l’équilibre offre/demande est centrale. Les clubs doivent restaurer cet équilibre en favorisant rapidement une situation de rareté. Pour atteindre cet objectif, deux leviers sont à leur disposition.

Les clubs doivent organiser une compression de l’offre, en considérant une réduction de capacité pour toutes les rencontres, y compris lors de la réception du PSG. Car plus le nombre de clients ponctuels frustrés de ne pouvoir assister à un tel match sera conséquent, plus il sera facile de remplir le stade lors des autres rencontres de championnat. Il faut maintenir une telle politique jusqu’à générer de nombreuses rencontres disputées à guichets fermés. L’augmentation de capacité ne pourra être envisagée qu’après avoir obtenu de très hauts niveaux de taux de remplissage durant plusieurs rencontres d’affiliée, voire plusieurs saisons. Il est donc ici question de stratégie à inscrire dans la durée, de capacités à sacrifier à court terme pour remplir des objectifs de croissance à long terme.

En complément de cette compression de l’offre, les clubs doivent densifier leurs forces commerciales pour aller draguer de nouvelles cibles et donc faire croitre la demande. Les clubs ne doivent plus se satisfaire de la demande naturelle, des gens qui se rendent spontanément dans les stades.

Bien évidemment, à destination de ces nouveaux clients, de nouveaux produits doivent être conçus. Un changement radical de promesse adressée aux spectateurs doit être impulsé. Les clubs doivent passer d’une promesse basée exclusivement sur la performance sportive à une promesse tenant mieux en compte la satisfaction d’autres besoins. C’est une révolution culturelle profonde qui doit être menée par les clubs.

Certains experts du secteur préconisent une « américanisation » de l’expérience spectateur afin de trouver de nouveaux relais de croissance. Mais cette évolution est-elle compatible avec la culture française de consommation du football ? Est-il possible de segmenter son offre pour proposer un spectacle capable de séduire tout type de public ?

Associés avec G2 Strategic, cabinet de consulting basé à Portland, nous faisons partie de ceux qui sont perçus comme les tenants d’une approche diaboliquement américanisée.

D’une part, nous l’assumons. Ayant étudié et œuvré dans l’univers du basket depuis les années 90, nous observons très attentivement les évolutions en NBA et dans les autres ligues américaines. Et nous constatons que les évolutions observées dans les ligues américaines finissent également par être adoptées par le secteur sportif européen. 5 ou 10 ans plus tard, et avec évidemment de naturels ajustements liés à nos spécificités culturelles.

D’autre part, nous encourageons toutes les personnes spontanément réfractaires aux pratiques US à prendre du recul et à observer le mouvement de globalisation culturelle actuellement en vigueur. Ces mêmes contestataires écoutent des groupes US à la radio. Se gavent de séries US sur Netflix. Achètent sur Amazon les mêmes produits que leurs pairs anglo-saxons. Vivant dans le pays de la gastronomie, ils se rendent régulièrement dans un des milliers de restaurants Mc Donald partout en France. Bien ou pas, la globalisation se propage. Et comment ne toucherait-elle pas l’industrie du sport spectacle dont le berceau est aux US ?

Enfin, j’encourage tous les acteurs du foot français à se rendre à un match de MLS, notamment sur la côte Ouest. D’abord parce qu’ils ont à apprendre d’une ligue qui est passée devant la LFP en termes de fréquentation moyenne. Mais surtout pour constater que l’atmosphère qui règne dans ces stades ferait grimper aux rideaux n’importe quel supporter de club français. Je n’ai jamais vu d’aussi beaux tifos que dans ces stades. Je n’ai jamais entendu plus de ferveur dans les chants des supporters que dans ces stades. Alors ne diabolisons pas les sports US et inspirons-nous de leur capacité à développer du business. Il n’y a aucune raison que nos spécificités se diluent dans ce processus.

Selon vous, quel club de Ligue 1 réalise le meilleur travail dans l’optimisation de ses revenus matchday ?

Evidemment, ce sont les clubs qui génèrent les plus importants revenus. Et notamment le PSG. Le club parisien n’est pas passé de 20 à plus de 100 M€ de revenus matchday par saison simplement en achetant Ibrahimovic, puis Neymar. Le club n’a jamais cessé d’optimiser sa stratégie de ticketing et de mobiliser des moyens pour développer cette source de revenus. Notamment en densifiant ses forces commerciales.

L’OL travaille aussi très bien, même si le déséquilibre offre/demande ralentit très probablement sa progression. Le PSG et l’OL ont accompli une mutation décisive. Comme le PSG, l’OL a également assimilé le poids et l’importance du B2B dans l’activité de billetterie. Les entreprises peuvent également acheter de la billetterie sèche et il faut savoir saisir cette opportunité de marché en se dotant des bonnes capacités commerciales.

D’autres clubs font, à leur échelle, un travail de très grande qualité. Je pense au Stade Rennais ou encore au SM Caen qui, malgré des difficultés sportives, a su consolider sa situation. Dans les cas de Bordeaux, Saint-Etienne, Nice ou Toulouse, le problème de la surcapacité est un boulet à trainer. Pour ces clubs, des mesures radicales devraient de notre point de vue être envisagées.

Enfin nous sommes curieux de voir ce qui va se passer à l’OM. Ils sortent d’un chantier délicat avec la reprise en main des virages. Sans avoir beaucoup d’informations sur ce qu’ils préparent, notre intuition nous dit qu’il peut se passer des choses du côté du club phocéen.

Mais à vrai dire, nous percevons beaucoup plus de réceptivité à nos principes dans les autres disciplines sportives. Dans le football, bien souvent, les présidents en viennent à privilégier le sportif au détriment de tout le reste.

Ainsi à Limoges dans le basket, à La Rochelle dans le rugby, à Nantes dans le handball, ou à Lyon dans le hockey, ces clubs ont été beaucoup plus radicaux dans la refonte de leur modèle que la grande majorité des clubs de foot. Or sans prise de conscience rapide de la nécessité de cette refonte, il est à craindre une dégradation de la situation dans la plupart des stades de la LFP.

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