Géopolitique

« L’équipe de France serait l’expression la plus populaire, la plus universelle de cette nouvelle dynamique nationale »

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Alizada Studios / Shutterstock.com

L’organisation ou la victoire en Coupe du Monde peut-elle changer l’image renvoyée par un pays à l’international ? Pour étudier cette question à travers les exemples russe et français, Ecofoot.fr a interrogé Carole Gomez, Chercheuse à l’institut IRIS sur la géopolitique du sport.

Alors que certaines craintes existaient en amont de l’événement (hooliganisme, actes homophobes, actes racistes en tribune observés lors du France – Russie du mois de mars dernier…), la plupart des observateurs et supporters internationaux ont salué la qualité d’organisation du Mondial en Russie. Une telle réussite peut-elle modifier durablement l’image renvoyée par le pays, notamment auprès des Occidentaux ?

La Russie a rempli son contrat en évitant tout débordement durant cette compétition. D’après les informations rapportées, il n’y a eu aucun incident majeur si ce n’est l’intrusion sur la pelouse des Pussy Riots durant la finale. En conséquence, les observateurs internationaux vont retenir une image positive de la compétition. Le président de la FIFA, Gianni Infantino, est même allé jusqu’à dire qu’il s’agissait de la plus belle Coupe du Monde organisée dans l’histoire de la compétition. Même s’il s’agit d’une phrase diplomatique, destinée à flatter l’égo de Vladimir Poutine, la Russie a réussi son pari en rendant une copie quasiment parfaite.

Indéniablement, en amont de la compétition, la Russie était attendue au tournant, notamment sur les questions sécuritaires, liées au terrorisme et à l’hooliganisme. Sujets pris très au sérieux par les autorités russes. Concernant notamment la lutte contre le hooliganisme, un travail en profondeur a été mené par le FSB pour éviter tout risque de débordement. Quelques « visites de courtoisie » ont alors été rendues aux hooligans connus en leur recommandant de quitter le pays durant le mois de compétition pour éviter tout risque d’affrontement. Et, concernant les comportements racistes ou homophobes en tribune, il n’y a pas eu de faits notables contrairement à ce qui peut malheureusement parfois être observé lors des rencontres du championnat russe.

Si le pari de la Coupe du monde a été réussi, les observateurs se demandent désormais si la Russie sera en mesure de maintenir un tel ordre lors de la reprise des compétitions domestiques et continentales. Si de nouveaux incidents venaient à éclater, ils viendraient rapidement ternir l’image lisse renvoyée par la Russie durant la compétition. Et la récente annulation du transfert d’Erving Joe Botaka-Ioboma au Torpedo Moscou fait craindre le retour rapide de certaines dérives.

Cette réussite en termes d’organisation peut-elle renforcer le rayonnement diplomatique de la Russie ? Vladimir Poutine a semblé apparaître comme le grand gagnant lors du dernier sommet d’Helsinki…

Organiser une Coupe du Monde était un challenge complexe à relever pour la Russie de par sa géographie, de par ses difficultés économiques, de par les tensions géopolitiques actuelles… Dès l’attribution du Mondial à la Russie en décembre 2010, des menaces de boycott avaient été exprimées par certains médias britanniques, sans qu’elles ne soient pour autant relayées par les chancelleries. Pourtant, à la suite de l’affaire Skripal, Londres a annoncé un boycott diplomatique de la compétition. Boycott diplomatique qui s’est révélé être un cinglant échec, n’étant suivi par quasiment aucun autre Etat.

Grâce à ce succès d’organisation, les médias internationaux ont parlé de la Russie de manière positive durant tout le mois de compétition, relayant au second voire au troisième plan, les critiques couramment exprimées au sujet du Kremlin. Au cours des dernières années, le pays n’a cessé d’être sous le feu des critiques– notamment par les médias occidentaux – pour ses positions géopolitiques (annexion de la Crimée, soutien au régime de Bachar el-Assad…), pour des faits divers (affaire Skripal) ou encore pour des scandales de dopage.

Par ailleurs, Vladimir Poutine a pu rencontrer les différents chefs de gouvernement ou d’Etat des équipes présentes au Mondial. Des rencontres qui ont permis à la Russie d’initier « une diplomatie de couloir » avec la mise en place de sommets informels, loin des caméras de télévision. Dans les prochains mois, on pourrait assister au renforcement de certaines relations bilatérales entre la Russie et certains pays présents à cette Coupe du Monde. Notamment grâce aux discussions officieuses organisées en marge de la compétition.

La victoire de la France lors de ce Mondial 2018 peut-elle alimenter le storytelling que tente de construire le Président Macron, autour d’une nation jeune, dynamique, en phase avec la mondialisation et triomphante ? 

Cette victoire constitue une opportunité politique qu’Emmanuel Macron a tenté de saisir. Il a souhaité capitaliser sur cet événement positif. Toutefois, le président français est un vrai passionné de football. Il n’a pas eu à se forcer pour vanter les mérites de ce sport. Il a alors bien pu rebondir sur ce succès international conquis par les Bleus.

Dans ses différentes prises de parole, Emmanuel Macron a fait référence à la France qui gagne. Un discours qui a été totalement en phase avec la réaction des joueurs de l’équipe de France. Les différents membres de cette équipe ont alimenté ce sentiment de fierté d’être Français dans leur communication. Ils ont mis en avant cette France prête à se surpasser pour conquérir des sacres mondiaux.

D’ailleurs, plusieurs joueurs ont achevé leur discours en criant un « Vive la République, vive la France ». Cela peut paraître anodin mais cela participe à alimenter ce sentiment de fierté autour de la nation.

Cette victoire peut-elle réellement changer la perception de notre pays à l’international ?

Il est un peu trop tôt pour en tirer des conclusions définitives. Mais l’image renvoyée à la planète est clairement positive. En plus de triompher sur les terrains, la communication des joueurs de l’équipe de France a été parfaite. Ce sans-faute a contribué à cette dynamique générale.

Hormis certains médias étrangers qui ont lancé une polémique sur une prétendue victoire « africaine » au Mondial, de nombreux pays ont senti, à travers ce sacre, un mouvement positif qui est en train de naître en France. L’équipe de France serait alors l’expression la plus populaire, la plus universelle de cette nouvelle dynamique nationale.

Maintenant, il faudra voir si cette vision de la France à l’international perdurera dans le temps. Car, aujourd’hui, tout va très vite. Par exemple, si l’affaire « Benalla » venait à avoir une portée internationale (ndlr : interview réalisée vendredi dernier), elle pourrait reléguer au second plan l’impression laissée par le sacre des Bleus.

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