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C. Lepetit : « Ce n’est pas le Mondial qui influera de façon significative sur le niveau de croissance du PIB de la Russie pour 2018 »

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protoper / Shutterstock.com

Alors que de nombreuses études – parfois aux conclusions contradictoires – tentent d’évaluer l’impact de l’organisation de la Coupe du Monde 2018 sur l’économie russe, Ecofoot.fr a décidé d’interroger Christophe Lepetit, Responsable des études économiques au Centre de Droit et d’Économie du Sport de Limoges, afin d’y voir plus clair sur les retombées réelles de l’organisation d’un grand événement sportif pour le pays hôte.

Selon différentes estimations, la Russie a dépensé environ 15 Mds€ pour organiser la Coupe du Monde 2018. Quel retour sur investissement peut espérer la Russie suite à l’organisation de ce grand événement sportif ?

La mesure de l’impact économique des grands évènements sportifs est un exercice difficile, d’autant plus lorsqu’il est réalisé en amont des compétitions. Selon la qualité de l’information à laquelle vous avez accès quant aux dépenses d’investissements et des dépenses d’organisation – avec notamment la possibilité d’identifier de façon fine qui finance et où sont localisées les dépenses – mais aussi les hypothèses que vous posez quant à la fréquentation touristique et aux comportements de consommation, les résultats des études d’impact économique qualifiées d’ex-ante peuvent en effet varier de façon considérable. Et c’est exactement ce qui s’est passé sur les exercices menés sur la Coupe du Monde 2018 puisqu’en quelques semaines nous avons entendu simultanément l’annonce d’une première évaluation – citée par le comité d’organisation – qui tablait sur un impact de 2,8 milliards d’euros sur une période de 5 ans, alors que l’agence Moody’s a elle estimé dernièrement que l’impact serait « très limité au niveau national et de courte durée ».

Quoiqu’il arrive, et comme nous le rappelons systématiquement au Centre de Droit et d’Economie du Sport, il faut bien avoir en tête que les grands évènements sportifs internationaux ont toujours un impact économique extrêmement réduit, voire marginal, au niveau macro-économique, c’est-à-dire à l’échelle d’un pays entier. A titre d’exemple, nous avions chiffré l’impact économique de l’Euro 2016 à 1,3 milliard d’euros, un chiffre qui avait paru exorbitant pour certains, mais qui ne représentait en fait que… 0,1% du PIB français pour cette même année !

Ce n’est donc pas le Mondial qui influera de façon significative sur le niveau de croissance du Produit Intérieur Brut de la Russie pour 2018. Néanmoins, il serait intéressant de réaliser l’exercice ex-post et à un niveau territorial plus fin afin de voir si, ici ou là, la Coupe du Monde a pu avoir un impact significatif. C’est très certainement au niveau territorial que ce type d’évènements peuvent avoir de vraies répercussions. De même qu’il serait intéressant de savoir si l’accueil de cette compétition pourrait laisser un héritage durable pour certains territoires en contribuant à les désenclaver ou à assurer leur revitalisation sur le plan économique, démographique… Mais là-encore sur ce plan, je suis assez réservé en ce qui concerne ce mondial Russe, dont l’organisation me semble davantage tenir à des considérations géopolitiques et d’affirmation de la puissance russe – et plus particulièrement de celle de Vladimir Poutine – aux yeux du monde…

Une grosse partie des investissements consacrés par la Russie a été allouée à la construction des stades. De nombreux experts estiment que ces stades vont devenir des « éléphants blancs » une fois la Coupe du Monde achevée. Quel est votre sentiment à ce sujet ? Ce parc de nouveaux stades ne peut-il pas profiter au football professionnel russe ?

On peut en effet se poser la question du devenir de ces stades. D’autant plus que la Russie a un certain « passif » en la matière d’éléphants blancs, quand on voit ce que sont devenues les infrastructures Olympiques construites et utilisées pour les Jeux d’hiver de Sotchi, sans parler du désastre écologique que cela a représenté…

Je ne suis pas un grand spécialiste du football russe, mais il ne me semble pas que les infrastructures construites répondent à un besoin clairement identifié. Le championnat russe de première division reste relativement confidentiel, en tout cas pas dans les leaders européens en la matière, et les affluences enregistrées par les clubs dans le championnat national sont extrêmement limitées (sauf pour les 2 clubs phares du championnat). Et certains stades à la jauge très imposante serviront à des clubs qui n’évoluent même pas dans l’élite (comme par exemple la Batlika Arena, 35 000 places, qui héberge le FK Baltika qui évolue en D2 russe, ou le stade de Mordovie, 44 000 places, qui héberge le club de Saransk qui végète entre la 2e et la 3e division russe).

Dès lors, on peut se demander s’il était opportun d’investir autant d’argent dans la rénovation de ce parc de stades, et s’il n’aurait pas fallu privilégier des structures moins lourdes et temporaires (utilisées partiellement à Ekaterinbourg notamment). J’ai donc bien peur que les contribuables russes se retrouvent à nouveau avec des éléphants blancs sur les bras à l’issue du mois de compétition…

Régulièrement, les pays accueillant de grands événements sportifs dépensent des montants importants pour organiser de telles compétitions pour un impact minime sur l’économie du pays. Avez-vous en tête l’exemple d’une compétition ayant été rentable pour son pays / sa ville hôte ? Quels ont été les facteurs contribuant à ce succès économique ?

Tout d’abord, je voudrais bien rappeler que l’impact économique, aussi positif et important soit-il, ne peut et ne pourra jamais justifier et légitimer à lui-seul les dépenses engagées pour l’accueil d’évènements sportifs. Si on voulait justifier ou prendre une décision sur la base d’un simple calcul d’impact, il faudrait raisonner en termes de coût d’opportunité, c’est-à-dire : j’ai dépensé X millions d’euros pour accueillir cet évènement qui a généré un impact de Y millions d’euros ; si j’avais dépensé le même montant dans un autre projet (éducation, culture, santé, peu importe), l’impact aurait été de Z millions. Si à investissement égal, Y est supérieur à Z, c’est-à-dire si l’impact économique de l’évènement sportif est supérieur à celui d’un autre projet, alors on peut éventuellement conclure au bienfondé d’un investissement dans le projet sportif. Mais ce type d’exercice n’est quasiment jamais réalisé car il faudrait le faire ex-ante, ce qui repose les questions évoquées précédemment. Une autre possibilité serait d’adjoindre au calcul d’impact économique un calcul de rentabilité sociale et analyser la balance entre les deux pour pouvoir choisir entre plusieurs investissements ou évaluer la rentabilité des évènements sportifs.

Mais au-delà de ces éléments, il faut aussi s’entendre sur ce qu’on entend par « rentable » : rentable économiquement ? Rentable socialement ? Rentable sur le plan environnemental (ce qui, au passage est une vaste fumisterie, les évènements sportifs étant par nature forcément néfastes sur ce plan) ? Pour aborder tout le spectre, il faudrait procéder à des calculs coûts-bénéfices. La théorie économique permet ce genre de calcul. Mais ils imposent de pouvoir lister précisément tous les coûts de toute nature que ce soit et de savoir évaluer de façon fiable l’ensemble des bénéfices. Au final, c’est un exercice qui est à la fois long à mettre en œuvre (les coûts et les bénéfices pouvant se disperser dans le temps) et extrêmement coûteux du fait d’une méthodologie particulièrement lourde.

Pour tenter malgré tout de répondre à votre question, on pourrait donner deux exemples d’évènements qu’on pourrait qualifier de « rentables » : tout d’abord les Jeux de Los Angeles 1984. Une rentabilité économique essentiellement, qui s’explique par le fait que Los Angeles était la seule ville candidate et avait donc évité les affres de la malédiction du vainqueur et pu imposer des conditions très strictes au CIO. Les Jeux de Barcelone en 1992, dans un autre style de rentabilité, qui ont profondément transformé la ville et l’ont (re)positionnée sur l’échiquier international. Avec les Jeux, Barcelone a certainement gagné 20 ans sur son développement et est devenue une ville monde. L’héritage pour la ville a donc été extrêmement conséquent… non sans avoir malheureusement eu quelques effets négatifs qu’il faudrait mesurer sur le temps long en termes de déplacement de population ou de ségrégation spatiale du fait d’une pression foncière devenue très forte.

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