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« Ces inégalités remettent en question la soutenabilité de la forte croissance économique du football »

interview cédric roussel député lrem
Vlad1988 / Shutterstock.com

Alors que certains membres de l’opposition critiquent la politique sportive actuellement mise en place par le gouvernement Philippe – la jugeant défavorable au développement du sport amateur – Cédric Roussel, Député LREM des Alpes-Maritimes et Président du Groupe d’études Economie du Sport, nous dévoile, sans détour, sa vision de l’économie du football professionnel et amateur français.

Au mois de juin dernier, vous avez publié une tribune au sein du Huffington Post pour vous opposer au projet de nouvelle Coupe du Monde des clubs proposée par la FIFA. Parmi les griefs exprimés, vous évoquez la possible accélération de l’accroissement des inégalités entre les principaux clubs du Vieux Continent et les autres formations européennes via cette nouvelle compétition. L’accroissement des inégalités au sein du football français – et européen – est-il un sujet évoqué au sein de la classe politique française ? Des pistes sont-elles explorées pour rompre ce mouvement ? Le pouvoir exécutif français est-il sensible à cette question ?

La hausse des inégalités au sein du football français est un sujet préoccupant pour l’ensemble des acteurs politiques qui travaillent sur le sujet du sport. Car un élément spécifique de l’économie du sport est que l’inégalité nuit à l’intensité sportive. C’est un phénomène global qui ne se produit en France que depuis quelques années. Regardez partout en Europe dans les grands championnats, il y a rarement plus de 5 équipes en mesure de gagner le championnat. Et on le constate partout : si des locomotives sont nécessaires, la hausse des inégalités risque donc d’être néfaste à l’intérêt porté par les spectateurs pour la compétition. Ainsi, seule une poignée de clubs peuvent désormais prétendre au trophée du championnat de Ligue 1. En termes de suspense, on a vu mieux… Ces inégalités sont également préoccupantes car elles remettent en question la soutenabilité de la forte croissance économique du football. Sans une meilleure répartition des flux financiers au sein de la Ligue 1, on se dirige vers un football à deux vitesses avec d’un côté les mastodontes de l’élite européenne qui peuvent se permettre d’investir des centaines de millions d’euros, et de l’autre côté des clubs de moindre envergure qui peinent à assumer la hausse constante des coûts.

Des outils existent déjà pour réduire ces inégalités, mais ils relèvent pour la plupart des prérogatives de la Ligue professionnelle de football ou de la FIFA. La question de la répartition des recettes des droits de diffusion audiovisuels, entre les clubs de Ligue 1 et de la Ligue 1 vers la Ligue 2, est ainsi centrale.

Néanmoins, le pouvoir politique, qu’il soit législatif ou exécutif, a un rôle essentiel à jouer.  C’est le sens des démarches effectuées par le Président de la République auprès de la FIFA. C’est également le sens du travail mené à l’Assemblée nationale au sein du groupe d’études Economie du sport dont je suis le co-président. Nous travaillons ainsi sur différentes pistes pour limiter la hausse des inégalités entre les clubs, et assurer une meilleure redistribution de l’argent du football professionnel vers le football amateur.

Au cours des dernières années, le football professionnel français est parvenu à attirer de puissants investisseurs (QSI au PSG, Frank McCourt à l’OM, entrée d’IDG à hauteur de 20% dans le capital de l’OL). Et d’autres grands noms du football français, comme les Girondins de Bordeaux, pourraient basculer sous pavillon étranger au cours des prochains mois. Que vous inspire un tel mouvement ?

Il s’agit de bonnes nouvelles et je m’en réjouis ! C’est le signe que la Ligue 1 est attractive pour les investisseurs et cette attractivité est une condition indispensable pour que le championnat français puisse rattraper son retard par rapport aux ligues anglaise, allemande, italienne ou espagnole. La question essentielle n’est pas celle de la nationalité des investisseurs mais celle de leur fiabilité. A Nice, nous avons Jean-Pierre Rivère et peu importe qu’il soit Français, il est avant tout compétent. Par rapport au reste du monde, il faut se réjouir : le football français est sur la bonne voie grâce aux contrôles accrus de la DNCG et la diversification des sources de revenu. Nous sommes même à la pointe en Europe sur cette question.

cédric roussel interview

Pour le Député LREM, Cédric Roussel, l’arrivée d’investisseurs étrangers dans le capital social des clubs de L1 est une bonne chose.

A l’Assemblée Nationale, nous allons continuer de travailler sur l’attractivité de la France pour ces investisseurs, notamment dans le projet de loi PACTE que nous étudierons à la rentrée et qui comporte des dispositions incitatives pour l’investissement.

Je reste néanmoins très attentif sur deux points essentiels : tout d’abord l’attractivité ne doit pas creuser encore plus les inégalités en bénéficiant seulement à quelques grands clubs. Et ensuite, il faut que cet argent supplémentaire permette de protéger notre modèle national de formation sportive. Car ce sont les centres de formation français, associés aux talents du football amateur, qui permettent de former les grands joueurs dont nous sommes si fiers.

Des dirigeants de clubs amateurs français ont manifesté quelques inquiétudes au cours des derniers mois en raison de certaines décisions prises par le gouvernement Philippe. Parmi les décisions prises, deux mesures pourraient mettre en difficulté le monde amateur : la suppression des emplois aidés et la baisse des dotations aux collectivités locales. Les clubs amateurs doivent-ils faire évoluer leur modèle pour être moins dépendants des aides publiques ? La victoire de l’équipe de France au Mondial – qui va sans doute s’accompagner d’une augmentation du nombre de licenciés – peut-elle aider les clubs dans ce changement de modèle ?

Effectivement, les clubs amateurs doivent continuer à faire évoluer leur modèle pour être moins dépendants des aides publiques. C’est un mouvement que la plupart a déjà entamé. Pour cela, les clubs amateurs doivent développer les partenariats avec les acteurs économiques locaux, professionnaliser leur personnel encadrant et s’inscrire davantage dans les circuits de l’économie sociale et solidaire. Nous réfléchissons ainsi à de nouveaux outils juridiques qui pourraient les aider à aller dans ce sens.

Néanmoins je sais que la baisse du nombre d’emplois aidés a causé un certain nombre de difficultés pour les clubs amateurs. Je les rencontre dans le cadre de mes activités parlementaires. Mais cette mesure était nécessaire pour réduire la dépendance des clubs aux emplois précaires, et pour pouvoir mettre l’accent sur la formation aux métiers du sport pour les bénéficiaires de ces contrats aidés.

Ce qui me préoccupe davantage, c’est que cette diminution du nombre d’emplois aidés s’inscrit en parallèle d’une baisse des financements au sport accordés par l’Etat depuis la rentrée 2017.  Or, pour atteindre l’objectif fixé par la Ministre des sports de 3 millions de pratiquants sportifs supplémentaires d’ici 2022, il ne faut pas que cette diminution entrave la pratique sportive. La victoire de l’équipe de France, jeune et exemplaire, constitue une formidable chance et elle ne manquera pas d’attirer des pratiquants supplémentaires. Nous devons donc nous donner les moyens de nos ambitions pour faire de la France une nation sportive. C’est pour cette raison que je réclame, avec des députés de la majorité, un meilleur fléchage des taxes destinées au financement du sport lors de l’examen du prochain projet de loi de finances. Les recettes de ces taxes sur les droits audiovisuels, sur les paris sportifs et sur les recettes de la FDJ sont en effet en hausse grâce à l’attrait croissant des Français pour le sport. Pourtant le montant de leurs recettes qui est redistribué vers le sport est plafonné et le reste de l’argent prélevé contribue au budget général de l’Etat. Cela n’est pas logique : il faut que le sport puisse financer le sport. Nous nous montrerons donc très attentifs aux prochains choix effectués par le Gouvernement en matière de financement du sport, tout en conservant notre volonté d’aider les clubs à faire évoluer leur modèle économique.

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