Interview

« Pour un joueur de foot, être fun sur les réseaux sociaux c’est bankable ! »

Afin d’éviter les erreurs de communication sur les réseaux sociaux, les joueurs de football s’entourent de plus en plus d’agences spécialisées, leur permettant d’optimiser leur communication sur les supports numériques. Ecofoot.fr a interrogé cette semaine Gaëlle Laurent, Fondatrice d’Eleven Agency, au sujet des paramètres à maîtriser pour un joueur de foot afin de réussir sa communication sur les réseaux sociaux.

Comment avez-vous eu l’idée de lancer votre propre agence de communication à destination des footballeurs ?

Avant de lancer mon agence, Eleven Agency, j’ai été journaliste durant 17 ans. Lors des 5 dernières années, j’ai notamment été correspondante dans le Nord pour le Parisien.

En exerçant une telle activité, j’ai tissé des liens de confiance avec certains joueurs, évoluant notamment au LOSC à l’époque. J’ai alors décidé de basculer dans le domaine de la communication en ouvrant ma propre structure. Aujourd’hui, parmi nos clients, nous comptons notamment plusieurs anciens joueurs de Lille dont Sébastien Corchia, Florian Balmont ou encore Rony Lopes. Concernant ce dernier, nous gérons ses réseaux sociaux en collaboration avec une autre agence basée au Portugal.

Puis, de bouche à oreille, nous avons dernièrement étendu nos activités à de nouveaux joueurs. Nous gérons notamment la stratégie « social media » d’un jeune joueur du Paris FC, Rayane Aabid, ou encore de Gaëtan Bussmann, qui évolue aujourd’hui au sein du club de Mainz 05. C’est un vrai défi pour nous d’étendre nos activités à un joueur évoluant en Bundesliga.

gaelle laurent interview eleven agency

Enfin, nos activités ne se cantonnent pas exclusivement à la gestion des réseaux sociaux de nos joueurs. Nous sommes une agence 360°. Pour nos joueurs, nous nous occupons également de leurs activités RP (prises de rendez-vous, organisation, media training…), de l’organisation d’activités caritatives ou encore du démarchage de sponsors.

Concrètement, comment collaborez-vous avec vos clients sur les réseaux sociaux ?

En règle générale, une collaboration démarre par un lancement de compte, notamment sur Twitter. Mais, avant de démarrer toute stratégie de communication, je réalise un gros travail de prévention afin d’avertir les joueurs concernant les risques liées à une mauvaise utilisation des réseaux sociaux.

Quand vous êtes une personnalité publique, tout compte dans votre communication, notamment à travers les réseaux sociaux. La moindre petite bévue – une faute d’orthographe par exemple – sera relayée et amplifiée !

Ensuite, concernant la collaboration avec les joueurs, je leur propose un vrai accompagnement avec un suivi quotidien. Il ne s’écoule pas un jour sans qu’il y ait des échanges au sujet de la stratégie de communication.

J’essaie également de voir régulièrement mes clients pour faire un point sur les travaux réalisés et les projets à venir. Même si certains évoluent désormais à l’étranger. Par exemple, j’ai dernièrement profité du déplacement de Séville en C1 à Liverpool pour voir Sébastien Corchia en Angleterre.

Concernant la publication d’un message, nous travaillons sur un système de double validation. En règle générale, un message n’est pas posté tant que le joueur et moi-même n’avons pas validé le contenu. Ce système de double validation permet d’éviter les maladresses, voire des dérapages.

En revanche, la prise de parole est toujours initiée par le joueur. Je leur préconise notamment de poster des photos exclusives, notamment des séances d’entraînement. Des contenus que les fans apprécient beaucoup. Je les encourage aussi à répondre directement aux fans. Car c’est l’un des gros avantages d’un réseau social comme Twitter.

Sur les réseaux sociaux, les joueurs doivent parfois affronter des critiques virulentes et récurrentes. Comment appréhendent-ils ces critiques ?

Lors de mon travail de prévention, je mets notamment en garde les joueurs contre les insultes sur les réseaux sociaux. Même si ce n’est pas la nature des joueurs avec lesquels je collabore, un dérapage peut très vite arriver.

D’autant que la violence verbale sur un réseau social comme Twitter est quotidienne ! Face à ce type de messages, les joueurs doivent absolument prendre du recul. Et, surtout, ils ne doivent pas répondre à chaud ! Car c’est la meilleure manière de commettre une bêtise.

De nombreux dérapages sur Twitter sont liés à des réponses à des supporters adoptant une attitude provocatrice. Si un joueur répond à chaud, la communication n’est alors plus maîtrisée. Les joueurs doivent absolument prendre conscience de la portée de chacun de leur mot. C’est très important.

Certains joueurs me demandent de bloquer les personnes qui tiennent des propos violents et injurieux. Cela peut constituer une solution, surtout si les insultes sont réalisées de manière récurrente.

Néanmoins, toutes les critiques ne sont pas nécessairement ignorées. Si un fan émet une critique constructive, elle est acceptée. Le joueur peut même y formuler une réponse, permettant d’engager un débat intéressant.

Vous n’êtes donc pas favorable à la stratégie de Jean-Michel Aulas, qui n’hésite pas à répondre à tout type de messages sur Twitter.

En effet, Jean-Michel Aulas est un parfait contre-exemple. Il n’hésite pas à aller au front sur Twitter pour protéger son club. C’est une stratégie qui lui appartient mais nous ne la recommandons pas à nos joueurs. De notre côté, on préfère ignorer les insultes.

Après, concernant nos joueurs, nous avons rarement fait face à des situations de crise. Un joueur comme Sébastien Corchia reçoit très peu de messages négatifs. Cela est dû à son personnage. C’est un joueur calme, très réfléchi et qui ne fait pas de vagues.

Employer un ton humoristique constitue aujourd’hui un des facteurs clés de succès dans l’animation des comptes sociaux. Essayez-vous de mettre en place un ton décalé avec vos joueurs ?

Il ne faut pas se le cacher : être fun sur les réseaux sociaux, c’est bankable ! Antoine Griezmann en est la parfaite illustration. Même si la visibilité sur les supports digitaux est avant tout liée aux performances sportives, Griezmann attire sans doute beaucoup de sponsors grâce à son attitude décalée.

Toutefois, je refuse formellement de conférer à un joueur une image qui ne colle pas à sa personnalité ! D’ailleurs, c’est l’un des premiers conseils que je donne à mes clients : ne surtout pas animer son compte de manière « contre nature ». Dans notre travail, nous cherchons surtout à construire une image qui colle au mieux à la personnalité du joueur. L’authenticité est la meilleure formule pour construire une relation durable avec sa communauté.

En revanche, je préconise à nos joueurs d’interagir sur l’actualité. Sur Twitter, il est important de prendre la parole à des moments clés. Par exemple, si devant sa TV, le joueur assiste à un but incroyable de Lionel Messi ou de C. Ronaldo, il ne faut pas qu’il hésite à tweeter son humeur ou ses impressions, avec les smileys adéquats !

Est-ce facile de convaincre les annonceurs de signer des accords de sponsoring avec vos joueurs, en mettant en avant une stratégie « social media » optimisée ?

Ce n’est pas simple, loin de là ! Les annonceurs ont un large choix pour sélectionner les influenceurs ou personnalités publiques avec lesquels ils souhaitent travailler. En plus, dans l’univers du football, les marques ont plutôt pour habitude de signer des contrats avec les clubs. Il existe des liens historiques entre certains clubs et leurs sponsors.

Quand nous lançons le compte social d’un joueur, le sponsoring constitue l’étape ultime de la stratégie. Ce n’est pas possible de démarcher des sponsors en seulement quelques mois d’activités. Une stratégie pertinente sur les réseaux sociaux, ça se construit pas à pas et minutieusement. En tout cas, c’est notre philosophie.

Lors de l’élaboration de la stratégie SMO d’un joueur, nous n’avons pas forcément en tête de marques précises qui pourraient être intéressées par une collaboration commerciale. En revanche, nous savons déjà quelles sont les marques avec lesquelles nous refuserons de collaborer. Parce qu’elles ne collent tout simplement pas à la personnalité du joueur.

Via le développement des réseaux sociaux, les clubs perdent peu à peu la main sur la stratégie de communication de leurs joueurs. Comment peuvent-ils appréhender au mieux ce phénomène ?

Beaucoup de clubs s’interrogent actuellement sur la meilleure manière d’agir pour mieux maîtriser la communication de leurs joueurs sur les réseaux sociaux. C’est un sujet délicat pour eux. Si le joueur est lié au club par son contrat, en revanche, sa communication est personnelle. Il est libre de communiquer sur les sujets qu’il souhaite sur ses propres supports. Les clubs ne peuvent donc se prémunir contre tout risque de débordement.

De plus, la gestion des réseaux sociaux est un sujet relativement neuf pour les clubs. Et ils ne savent pas encore très bien réagir face à un débordement de l’un de leurs joueurs. Par exemple, lors de l’affaire Aurier, le PSG a mis beaucoup de temps pour communiquer.

De mon côté, je travaille en toute transparence avec les clubs dans lesquels mes clients évoluent. Je leur présente mon plan stratégique permettant de développer la présence sociale des joueurs. Mon activité est souvent très bien accueillie par les clubs. Cela les rassure de voir les joueurs s’entourer de professionnels dans la gestion de leurs réseaux sociaux.

Les clubs doivent-ils former leurs joueurs à l’utilisation des réseaux sociaux ?

Oui, certainement. Et dès le plus jeune âge. Les risques de débordement sont d’ailleurs les plus forts au sein des U15, U16… C’est à cet âge qu’on aime afficher ses couleurs sur les différents canaux de communication.

Des messages qui peuvent fermer des portes par la suite. A cet âge-là, on ne cerne pas forcément la portée de ses messages. C’est important de mener des actions de sensibilisation au sein des centres de formation.

Certains joueurs ont dernièrement utilisé les réseaux sociaux pour manifester leurs états d’âme (Hatem Ben Arfa, Rod Fanni…). Des messages que l’on avait plutôt l’habitude de retrouver dans la presse par le passé. Que pensez-vous d’une telle stratégie ?

L’un des gros avantages des réseaux sociaux c’est de pouvoir s’adresser directement aux supporters, sans filtre ni intermédiaire. Personne n’interprète les propos du joueur. L’information vient directement du joueur. Elle est vérifiée, confirmée et surtout elle n’est pas déformée.

Ainsi, dans le cadre d’une communication de crise, il vaut peut-être mieux en effet s’adresser directement aux supporters plutôt que par voie de presse. Echanger directement avec les fans, c’est quelque chose d’exceptionnel ! Quelque chose d’exceptionnel pour les fans, mais aussi pour le joueur ! C’est l’un des gros atouts de ces nouveaux organes de communication.

Sources photos : Eleven Agency / Gaëlle Laurent

To Top
Send this to a friend