supportérisme français
Interview

« Le football est enfin devenu en France un enjeu politique sérieux »

Marco Iacobucci Epp - Shutterstock.com

Les causes portées par les associations de supporters et autres groupes ultras sont-elles enfin entendues en France ? Si la politique menée à leur encontre est toujours jugée comme trop répressive par de nombreux groupes de supporters ; des améliorations dans la prise en compte des problématiques soulevées par le monde des tribunes sont à souligner depuis 2016. Notamment sous l’impulsion de certains parlementaires qui se sont saisis de telles questions. Sociologue à l’Ecole Centrale de Lyon, Spécialiste des supporters de football et personnalité qualifiée au sein de l’Instance Nationale du Supportérisme ; Nicolas Hourcade nous a accordé un entretien sur l’évolution du traitement des supporters en France tout en définissant en filigrane le chemin à suivre pour construire un solide modèle du supportérisme français.

Dans quelle direction les droits des supporters ont-ils évolué au cours des dernières années en France ?

L’approche française en matière de supportérisme a notablement changé depuis 2016. Pour saisir ces évolutions, il convient de les mettre en perspective historique. Les incidents autour des stades commencent à se développer en France dans la deuxième partie des années 1980, et des drames comme celui du Heysel modifient aussi le regard porté sur les comportements des supporters. Le « hooliganisme » devient un problème social. La première loi sur la sécurité des manifestations sportives date de 1993 : elle crée notamment l’interdiction de stade comme peine complémentaire suite à une condamnation d’un supporter par la justice. La gestion des supporters s’appuie alors sur les sanctions créées par cette loi, sur un renforcement des dispositifs policiers, sur l’obligation pour les clubs de gérer la sécurité à l’intérieur des stades (via une loi de 1995) et sur ce que les spécialistes appellent la « prévention situationnelle » – disparition des gradins debout, création d’un secteur visiteur, adaptation de l’architecture des stades, installation de la vidéo-surveillance… Pour autant, la France ne construit pas, à ce moment-là, de politique globale de gestion des supporters, contrairement à l’Angleterre, l’Allemagne ou même les Pays-Bas ou la Belgique. Il n’y a pas de ligne directrice clairement définie dans notre pays.

Un premier renforcement des mesures répressives a lieu en 2006, avec la création des interdictions administratives de stade, prononcées par le préfet de manière préventive, et avec la possibilité de dissoudre un groupe de supporters considéré comme violent. Mais ce n’est qu’à partir de la saison 2009-2010, particulièrement après la mort de Yann Lorence suite à des bagarres entre franges rivales de supporters parisiens en février 2010, que la France met en place une véritable politique de gestion du supportérisme, centrée sur les mots d’ordre de la « tolérance zéro » et du « principe de précaution ». Revendiquée par les autorités publiques et sportives, cette approche purement répressive est incarnée au niveau national par la Division Nationale de Lutte contre le Hooliganisme, créée à l’automne 2009, et à Paris par le « plan Leproux ». En 2010 puis en 2011, la loi allonge la durée des interdictions administratives de stade – initialement limitées à trois mois, leur plafond est porté en 2011 à un an voire deux ans en cas de récidive – et elle permet désormais d’interdire de déplacement l’ensemble des supporters d’une équipe, mesure qui devait être exceptionnelle mais dont l’utilisation a fortement augmenté au cours de la décennie sous l’impulsion notamment de la DNLH de l’époque.

Nombre d’arrêtés d’interdiction et d’encadrement de déplacements

A Paris, le plan Leproux est d’abord conçu comme une réponse exceptionnelle à une situation gravissime : le projet initial était de reconstruire progressivement un supportérisme actif en assurant la sécurité. Avec l’arrivée des actionnaires qataris à la tête du club en 2011, ce plan prend une autre tournure : il s’agit désormais d’écarter de manière systématique les groupes de supporters et les ultras du Parc et de privilégier un public plus familial et fortuné. Le PSG suit alors le modèle des grands clubs anglais en augmentant considérablement le prix des places et en développant son offre d’« hospitalités » (places business et VIP). A ce moment-là, de nombreux ultras français prétendaient que leur style de supportérisme était destiné à disparaître avec l’Euro 2016 et l’avènement de nouveaux stades voués à la consommation.

En fait, 2016 a marqué un tournant complètement différent. Il est vite apparu que le modèle parisien, consistant à changer largement de public avec une forte hausse du prix des places, n’était pas reproductible dans les autres clubs français, qui n’ont pas les moyens d’attirer des stars dans leur effectif et qui ne bénéficient pas d’un bassin de population aussi large que le PSG. Le club parisien est lui-même revenu en arrière, l’ambiance tiède du Parc ne correspondant pas à l’image d’un grand club que les Qataris voulaient véhiculer : depuis l’automne 2016, des ultras peuvent de nouveau occuper le virage Auteuil du Parc. La même année, une nouvelle loi accentue la lutte contre le hooliganisme tout en développant le dialogue avec les supporters. Initialement, c’était une proposition de loi uniquement répressive visant à alourdir encore la durée des interdictions administratives de stade et à permettre au club d’écarter lui-même des supporters de son stade, ce que le PSG voulait faire au moment où il luttait contre ses ultras. Mais l’intervention du secrétaire d’Etat aux sports Thierry Braillard, qui avait dans un précédent rapport préconisé une meilleure intégration des supporters dans le monde du football, et le lobbying intense de l’Association Nationale des Supporters ont conduit à une loi hybride renforçant les dispositifs répressifs – l’ANS n’a pas eu gain de cause sur tous les points qu’elle avait soulevés – et ouvrant, en même temps, la voie à un dialogue rénové avec les supporters. Pendant l’Euro 2016 est également signée une convention du conseil de l’Europe prônant une approche intégrée conciliant répression et prévention. Tout ça ouvre une nouvelle ère, d’autant qu’au même moment, il y a des changements à la tête de la LFP et de la DNLH, que les nouveaux responsables sont beaucoup plus ouverts au dialogue et qu’il existe désormais un interlocuteur représentatif et fiable du côté des supporters avec l’ANS, qui s’est structurée à partir de 2014.

« Le modèle parisien, consistant à changer largement de public avec une forte hausse du prix des places, n’était pas reproductible dans les autres clubs français »

Les problématiques des supporters sont-elles désormais entendues par les responsables politiques et les instances sportives ?

« Le football est enfin devenu en France un enjeu politique sérieux »
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