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Faut-il sanctionner durement les clubs rencontrant des problèmes financiers ?

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Ecofoot.fr

Alors que l’action menée par la DNCG – et notamment la Commission de Contrôle des Clubs Professionnels – est régulièrement saluée par les professionnels du secteur ; la prononciation de rétrogradation de plusieurs divisions appliquée aux clubs connaissant des problèmes de solvabilité peut parfois apparaître comme sévère en comparaison des sanctions appliquées dans d’autres championnats européens. Pour évaluer l’efficacité des missions remplies par la DNCG, Ecofoot.fr a interrogé Nicolas Scelles, Senior Lecturer au sein de la Sport Policy Unit de Manchester Metropolitan University et auteur de plusieurs travaux académiques au sujet de la DNCG.

En France, le rôle exercé par la DNCG a régulièrement été loué par les professionnels du secteur. Il a notamment souvent été dit/écrit que la présence de cet organe de contrôle permettait au football hexagonal d’afficher une meilleure santé financière par rapport aux concurrents européens. Pourtant, selon votre publication Insolvency in French soccer : The case of payment failure, le football professionnel français n’a pas connu un nombre de faillites inférieur aux autres championnats européens au cours des dernières décennies (notamment par rapport au football anglais). Le travail de contrôle mené par la DNCG est-il réellement efficace ?

Il me semble tout d’abord important de préciser que ce que nous appelons la DNCG dans notre publication avec Stefan Szymanski et Nadine Dermit-Richard est en fait la Commission de Contrôle des Clubs Professionnels. En effet, la DNCG est composée à la fois de cette commission mais aussi de la Commission Fédérale de Contrôle des Clubs, des Commissions Régionales de Contrôle des Clubs et d’une Commission d’Appel. Les raisons pour notre choix tiennent au fait que la DNCG est associée au football professionnel français dans la littérature académique et que nous n’avons pas voulu générer de la confusion par rapport à cette utilisation habituelle, bien qu’imprécise. Dans la mesure où cette interview se concentre sur les clubs professionnels français, je me permets de parler de DNCG pour Commission de Contrôle des Clubs Professionnels.

Notre publication s’arrêtant à la saison 2013-2014 rend compte de 50 cas d’insolvabilité dans le football professionnel français depuis la saison 1990-1991 marquant l’avènement de la DNCG, professionnel étant entendu ici comme toute division comportant au moins une équipe première professionnelle. Ces 50 insolvabilités intègrent les clubs de troisième division. Toutefois, la DNCG ne les a contrôlés dans leur intégralité qu’entre 1993-1994 et 1995-1996, se concentrant ensuite sur les seuls clubs professionnels et laissant le soin à la Commission Fédérale de Contrôle des Clubs de contrôler les clubs non professionnels à partir de 1996-1997.

Si nous nous concentrons sur les seuls clubs de première et deuxième divisions, 22 insolvabilités sont comptabilisées depuis 1990-1991. Si nous excluons la saison 1990-1991 en considérant que la DNCG ne pouvait pas encore réellement contrôler les clubs au point d’éviter leur insolvabilité et qu’elle devait dans le même temps montrer son pouvoir de sanction pour s’assurer que les clubs allaient la prendre au sérieux, 15 insolvabilités ont eu lieu dans les deux premières divisions sur la période 1991-2014 contre 29 sur la période 1970-1990.

Sur la base de ces données, on peut affirmer que la DNCG est efficace. Toutefois, cela serait négliger les transformations du football professionnel français avec le passage de 68 clubs sur la période 1970-1972 puis 56 clubs sur la période 1972-1993 à un nombre compris entre 38 et 42 clubs depuis 1993-1994. En réalité, notre base de données montre qu’un certain nombre de clubs ont été insolvables en étant entre la 43e et la 56e place du football français, c’est-à-dire en deuxième division avant 1993 puis en troisième division ensuite. Autrement dit, ces insolvabilités sont passées de la deuxième à la troisième division du fait des transformations du football français plutôt que de l’efficacité de la DNCG. Lorsque nous contrôlons pour ce type de transformations, nos résultats ne rendent pas compte d’un impact significativement positif de la DNCG sur la réduction du nombre d’insolvabilités. Toutefois, ce n’est pas loin d’être le cas.

Au final, j’aurais tout de même tendance à conclure que le travail de contrôle mené par la DNCG a été plutôt efficace, d’autant qu’elle peut difficilement être tenue responsable d’insolvabilités de clubs ayant pris des risques excessifs en dépit de ses alertes. Le problème est qu’elle coexiste maintenant avec le Fair-Play Financier de l’UEFA dont elle ne partage pas le même objectif – solvabilité contre rentabilité pour l’UEFA – avec pour conséquence qu’elle ne prépare pas les clubs français aux exigences de l’UEFA comme l’illustrent les problèmes rencontrés par le Paris-Saint-Germain après ceux qu’a connus Monaco dans le passé. Nous avons souligné ce problème dans un autre article publié avec Nadine Dermit-Richard et Stephen Morrow.

Dans votre publication Insolvency in French soccer : The case of payment failure, vous montrez que les clubs connaissant des problèmes d’insolvabilité en France rencontrent par la suite de gros problèmes à retrouver leur niveau sportif. Une difficulté qui s’explique notamment par la sanction administrative appliquée par la DNCG, qui entraîne généralement une relégation de plusieurs divisions. La DNCG n’est-elle pas trop sévère à l’encontre des clubs rencontrant des problèmes de solvabilité ?

Nous concluons l’article sur ce questionnement, en sous-entendant que la DNCG est en effet trop sévère à l’encontre des clubs rencontrant des problèmes de solvabilité, notamment par rapport au football professionnel anglais qui ne les sanctionne pas nécessairement d’une relégation administrative. Le problème est que les clubs français insolvables doivent faire face à une relégation pouvant être de plusieurs divisions diminuant sensiblement les recettes générées dans une situation où ils ne sont déjà pas au mieux financièrement.

Il est compréhensible que la DNCG applique une sanction suffisamment forte pour inciter les clubs à ne pas prendre de risques inconsidérés. Toutefois, comme nous le montrons dans l’article, une insolvabilité n’est pas nécessairement la conséquence d’une mauvaise gestion financière – ou pas seulement – mais également de chocs de demande – c’est-à-dire une demande moins forte que ce qu’elle devrait être pour un niveau de performance sportive donné. Stefan Szymanski montre dans le football anglais qu’elle peut également être la conséquence d’un choc de productivité – c’est-à-dire une performance sportive moins bonne que ce qu’elle devrait être pour un niveau de dépense salariale donné. Autrement dit, un club peut subir une double sanction, c’est-à-dire un choc de demande ou de productivité menant à son insolvabilité et le couperet de la DNCG le reléguant de plusieurs divisions.

Au regard de ces éléments, une relégation soit sportive soit administrative d’une division et pas plus (plutôt qu’au minimum) – sauf dans un cas de figure précis sur lequel je vais revenir – me paraîtrait plus mesurée. En d’autres termes, je ne crois pas nécessaire en général d’assortir une relégation sportive d’une relégation administrative. Le club a déjà été pénalisé par sa mauvaise performance sportive ayant sans doute eu un impact négatif sur ses revenus. La relégation sportive signifie qu’il va générer moins de revenus au cours de la saison à venir. Ajouter une relégation administrative signifie encore moins de revenus pour le club.

Une relégation sportive assortie d’une relégation administrative ou une relégation administrative de deux divisions pourrait se justifier si le club de la division directement inferieure relégué sportivement le mieux classé ou le club évoluant deux divisions en dessous non promu le mieux classé a été lésé par le comportement trop dépensier du club insolvable. Il pourrait être avancé qu’il existe un préjudice indirect si le club insolvable a acheté un joueur à un des deux clubs concernés sans honorer complètement ses obligations financières. Le club de division inférieure n’a pu alors réinvestir l’argent de la vente du joueur, ce qui pourrait expliquer en partie sa relégation ou non promotion sportive.

Au sein de votre travail, vous montrez que les problèmes d’insolvabilité sont souvent dus à des chocs de demande ou de productivité. Les ligues européennes ne peuvent-elles pas mettre en place des mécanismes permettant de limiter le risque de faillite ? L’adoption d’un modèle de redistribution des droits TV égalitaire ou la mise en place de « parachute payments » en cas de relégation peuvent-elles réduire le nombre de faillites ?

Le contrôle de la DNCG française permet de limiter le risque de faillite. En outre, si le Fair Play Financier de l’UEFA a pour objectif la rentabilité et non la solvabilité, la rentabilité doit avoir pour conséquence la solvabilité des clubs. Autrement dit, des garde-fous existent déjà, la question étant de savoir dans quelle mesure la coexistence de mécanismes différents aux échelles européenne et nationales est viable comme je l’ai évoqué plus tôt. Dans notre publication avec Nadine Dermit-Richard et Stephen Morrow, nous militons pour une application des règles du Fair Play Financier de l’UEFA à l’échelle des championnats domestiques afin que tous les clubs soient logés à la même enseigne. Cela pose évidemment la question de savoir si tous les championnats européens l’appliqueraient avec la même rigueur. Et cela pourrait ne pas s’avérer suffisant pour réduire le nombre d’insolvabilités.

Stefan Szymanski considère que le système de promotions / relégations est en partie responsable des insolvabilités. Pour autant, tendre vers des ligues fermées ne me semble pas une évolution souhaitable pour le football européen car cela réduirait sensiblement l’attractivité des compétitions avec une majorité de clubs n’ayant plus d’enjeu sportif à défendre. Dès lors, vos propositions méritent d’être considérées. Je suis sceptique sur l’adoption d’un modèle de redistribution des droits TV égalitaire dont je ne suis pas certain qu’il diminuerait le nombre d’insolvabilités et qui serait combattu par les clubs les plus riches contribuant plus à la demande télévisuelle et ayant besoin d’optimiser leurs revenus pour être compétitifs dans les compétitions continentales. Les « parachute payments » me paraissent plus appropriés s’ils sont bien dosés, c’est-à-dire proportionnés aux charges financières que les clubs relégués ne peuvent pas réellement annulées d’une saison à une autre sans leur donner un avantage financier trop important par rapport aux autres clubs de leur nouvelle division.

Au-delà de ces solutions potentielles, il serait sans doute souhaitable que les clubs instaurent une part variable plus importante dans les salaires des joueurs – comme le fait ou en tout cas le faisait par exemple l’AS Saint-Etienne – fonction des revenus dépendant de la performance sportive et ceux générés en dehors du terrain par les joueurs, via par exemple les ventes de maillots. Toutefois, pour que cela fonctionne, il faudrait l’imposer aux clubs puisqu’il serait difficile pour un club de se l’imposer à lui-même au moment de faire une proposition salariale à un joueur convoité par un autre club ne s’imposant pas une telle contrainte et, de fait, potentiellement plus attractif pour le joueur. Cette immixtion supplémentaire dans la gestion financière des clubs ne serait sans doute pas accueillie favorablement, notamment par les clubs les plus riches déjà incités à évoluer dans une Super Ligue européenne fermée pour mettre en œuvre leur propre régulation leur étant favorable plutôt que de devoir se plier aux exigences du Fair-Play Financier de l’UEFA.

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