Interview

P. Rondeau : « Nous travaillons pour et avec le football, pas contre lui »

interview pierre rondeau le foot va-t-il exploser
Ververidis Vasilis / Shutterstock.com

Dans « Le football va-t-il exploser », publié aux éditions de l’Aube en collaboration avec la fondation Jean Jaures, Pierre Rondeau, Economiste du Sport, et Richard Bouigue, Premier Adjoint à la Mairie du 12e arrondissement de Paris, défendent une meilleure régulation du football européen afin de lutter contre les dérives criantes et les inégalités croissantes. A cette occasion, Ecofoot.fr s’est entretenu avec les deux auteurs afin d’en savoir plus sur leur volonté de réguler l’activité économique générée par le ballon rond.

Dans votre dernier ouvrage, vous expliquez que les facteurs exogènes tirant la croissance économique du football européen pourraient à terme entraîner l’éclatement d’une bulle spéculative. Pourtant, au contraire, le football européen ne semble jamais s’être aussi bien porté financièrement : réduction importante des déficits, modèle économique bénéficiaire pour la plupart des grands clubs européens (le FC Bayern enregistre un résultat net positif saison après saison depuis plus d’une décennie, les clubs du Big 6 de Premier League ont tous engrangé des profits en 2016-17…). L’adaptation des (grands) clubs de football aux règles du libéralisme économique (internationalisation, développement d’une stratégie de marque, investissements dans de nouveaux actifs…) ne favorise-t-elle pas au contraire l’adoption de modèles pérennes, avec une corrélation plus faible aux aléas sportifs ?

Le but de notre ouvrage n’était pas de dénoncer ou d’accuser les méfaits du sport-business, de crier au loup et de jouer les oiseaux de mauvais augure. Nous aimons le football, c’est notre sport-chéri, et notre seul dessein est de le défendre face à ses propres maux.

Nous refusons la caricature gauchiste, souvent soulevée par une certaine élite politique, pour privilégier le dialogue et la réflexion. Avec le Foot va-t-il exploser ? il s’agissait surtout de trouver des alternatives pérennes et durables, sans entraver la bonne dynamique du sport, tant socialement qu’économiquement. Et non de pourfendre un modèle libéral ancré dans le capitalisme moderne. Il faut savoir être pragmatique et vivre avec son temps, avec son époque.

Ainsi, nous ne nions absolument pas les réussites des grands clubs européens, les succès de la législation économique européenne et la rationalisation de la gouvernance. Nous nous focalisons, au contraire, sur les externalités négatives, créées par ce modèle dérégulé : la montée des inégalités entre les joueurs, entre le monde professionnel et le monde amateur, la montée de la précarité, les difficiles reconversions, le manque de protection, de soutien, d’entraide, de solidarité, la faillite de l’intensité compétitive, de l’équité sportive, la télédépendance…

Autant de maux qu’il faut combattre.

Nous le répétons, nous travaillons pour et avec le football, pas contre lui.

Dans votre ouvrage, vous pointez du doigt les importantes inégalités présentes au sein du football européen. Des inégalités qui semblent d’ailleurs se creuser d’année en année. Vous présentez un certain nombre de mesures permettant de mettre en place un modèle redistributeur au sein du football européen (plafonnement des salaires, luxury tax, contribution coubertobin, incitation fiscale en faveur de la RSE, égalisation des droits TV, création d’une DNCG européenne). De telles mesures n’ont-elles pas vocation à dissuader l’entrée de nouveaux investisseurs ? Le fait d’épouser les règles du libéralisme économique n’est-il pas un facteur ayant contribué à l’accélération de la mondialisation du football ?

Nous pensons que le renforcement de la régulation, de l’entraide et de la solidarité devrait réduire l’incertitude macro et microéconomique et donc, par conséquence, attirer de nouveaux investisseurs.

En consolidant l’équité sportive et l’intensité compétitive, à travers toutes les mesures citées, nous soutenons le suspense et l’intérêt des compétitions, facteur d’attractivité pour les investisseurs.

En réduisant les inégalités et la précarisation du statut du footballeur, nous améliorons la pérennité du modèle sportif, de nouveau facteur d’attractivité pour les investisseurs.

Il faut bien comprendre que le libéralisme théorique n’est pas attaqué ici, c’est un modèle particulier qui est défié, celui du libéralisme égoïste et mortifère, celui qui ne tient pas compte des différences et qui laisse les géants s’imposer sans péril et sans gloire. Les premiers théoriciens du libéralisme étaient d’abord des socialistes qui défendaient une égalité des dotations et une protection des individus face aux aléas de la vie. Léon Walras, au XIX° siècle, le répétait sans cesse « tout socialiste éclairé s’honore du nom de libéral ; tout libéral sincère est socialiste ».

C’est ainsi que devrait être une compétition, une méritocratie totale : tout le monde commençant, sans héritage ni transmission sportive, à égalité. Seuls les lois du jeu et le terrain imposeront les différences. « Egalité des dotations, inégalités des positions ».

En tant que socialistes, nous souhaitons, sans aucune entrave au marché, garantir cette égalité des dotations, assurer une équité compétitive et corriger l’ensemble des défaillances créées. Il ne s’agit en aucun cas d’interventionnisme étatique ou de planification marxienne, loin de là. C’est l’essence même de la social-démocratie.

Encore une fois, nous le répétons, nous travaillons pour et avec le football, pas contre lui.

Les mesures dévoilées dans votre ouvrage seront-elles portées par les candidats du Parti Socialiste lors des prochaines élections ?

Les principaux leaders du Parti Socialiste ont reçu le livre. Olivier Faure, le nouveau premier secrétaire du Parti, notamment. Il se dit très intéressé et à l’écoute et nous souhaitons donc, bien évidemment, en discuter avec lui.

Notre principale initiative a été d’impulser un premier jet, nous avons mis une série de mesures sur la table, pour susciter le débat et faire en sorte que les partis politiques de gauche s’en saisissent, notamment à l’occasion des élections européennes.

Des discussions vont avoir lieu et nous continuerons à défendre et à promouvoir notre vision du football.

Pierre Rondeau et Richard Bouigue sont les auteurs du livre Le foot va-t-il exploser : pour une régulation du système économique du football, publié aux éditions de l’Aube

To Top
Send this to a friend