Cette semaine, Ecofoot.fr a eu la chance de s’entretenir avec Thomas Lintz, Product Manager pour Transfermarkt. Site de référence en termes de définition de la valeur marchande des joueurs, Thomas Lintz nous dévoile son mode de fonctionnement et partage sa vision du marché des transferts. Propos recueillis par Emmanuel Mériaux.
Quel est le public ciblé par Transfermarkt et comment le site fonctionne-t-il ?
Notre cible, ce sont toutes les personnes intéressées par le football. Si l’on regarde de plus près, nous intéressons particulièrement les grands passionnés, ceux qui aiment parcourir les statistiques pour se souvenir de matchs qu’ils ont vus il y a 20 ans.
Nous nous concentrons sur trois domaines bien précis. Le premier est la base de données : nous sommes sur le point d’y enregistrer notre 500 000ème joueur et la barre du million de matchs devrait être dépassée dans les mois qui viennent. Cette base de données est principalement entretenue par des volontaires, de la même façon qu’un site comme Wikipédia. Une fois enregistré comme utilisateur sur le site, vous pouvez vous rendre sur la fiche d’un joueur et modifier manuellement les informations (âge, taille, etc). Les modifications seront par la suite validées ou non par un modérateur.
Le deuxième domaine concerne la partie éditoriale du site. Une équipe de 6 personnes se charge de couvrir les informations quotidiennes, avec une attention particulière portée sur les transferts et les rumeurs les accompagnant.
Le troisième domaine est celui du forum. Celui-ci contient les discussions relatives à la valeur des joueurs et aux différentes rumeurs. Le forum constitue un élément essentiel au bon fonctionnement du site.
Quel est votre rôle dans l’organisation ?
Au sein de l’organisation, j’ai débuté en tant que simple utilisateur. Puis lorsque je suis venu m’installer à Hambourg, j’ai pris en charge l’équipe internationale.
Le poste que j’occupe actuellement est celui de Product Owner. Nos développeurs travaillent sur l’intégration de nouvelles fonctionnalités et de nouvelles statistiques sur le site. En tant que Product Owner, je suis donc chargé de fixer les priorités de développement Web et je supervise l’évolution du produit.
Comment le site définit-il la valeur d’un joueur ?
C’est une question qu’on nous pose régulièrement. Il s’agit en fait d’un processus très ouvert : il n’existe pas d’algorithme ou de formule secrète qui calculerait une valeur à partir de données que l’on entrerait.
Nous avons une approche qualitative et finalement assez simple : les utilisateurs les plus passionnés par leur club, leurs joueurs ou leur championnat, discutent sur le forum. Ils comparent, argumentent, pour savoir si la valeur du joueur en question devrait rester à son niveau actuel ou évoluer.
Deux fois par an, les modérateurs concluent la conversation et tranchent en définissant une nouvelle valeur par joueur, ce qui n’est pas toujours évident. Ils proposent ensuite ces valeurs à notre équipe d’Hambourg qui les approuve la plupart du temps. Puis le processus redémarre avec de nouvelles discussions.
Les joueurs les plus populaires ne risquent-ils pas d’être surévalués par une telle méthode ?
Non, car il ne s’agit pas d’un vote démocratique. On ne choisit pas nécessairement la valeur rassemblant le plus de voix. Il s’agit vraiment d’une approche qualitative : les arguments sont analysés et les joueurs sont comparés.
Cependant, quand bien même la popularité aurait une influence, elle constitue une donnée du marché en tant que telle. Le Bayern Munich et le Borussia Dortmund ont un grand nombre de fans et cela a naturellement une influence sur la valeur « marketing » de leurs joueurs : ces joueurs vendent certainement plus de maillots que ceux de clubs moins huppés, attirent les sponsors, etc. Donc la popularité ne peut pas être considérée comme un biais venant fausser notre analyse.
La valeur des joueurs définie par Transfermarkt tient-elle compte des données du marché telles que l’inflation, provoquée notamment par les nouveaux droits TV ?
Comme évoqué précédemment, nous n’utilisons pas de formule scientifique. Cela dit, nous prenons effectivement en compte un certain nombre de critères tels que l’âge du joueur, ses perspectives, les données marketing…
Un point qu’il ne faut pas oublier pour définir la valeur d’un joueur est également son historique sur le marché : un club a-t-il déjà dépensé de l’argent pour le faire venir ? Ou le joueur a-t-il plutôt tendance à partir gratuitement en fin de contrat ?
Il est vrai qu’en Premier League, les nouveaux contrats de droits TV ont eu un impact important. On se demande alors « comment se fait-il que tel joueur soit acheté pour telle somme ? ».
Si on prend l’exemple de Kevin De Bruyne, Manchester City a payé un montant important pour le faire venir de Wolfsburg. On sait donc que Wolfsburg dispose de cet argent et cela a naturellement un effet sur le marché allemand et son inflation. De plus, un tel prix pour ce joueur aura pour effet mécanique d’augmenter celui des autres joueurs, par effet de comparaison.
Le transfert de Paul Pogba est le dernier à avoir dépassé la barre des 100 M€. Pensez-vous que cette somme sera à nouveau dépassée cette année ? Kylian Mbappé peut-il être le prochain à le faire ?
Tout-à-fait. Si vous m’aviez demandé de vous donner des noms, il fait effectivement partie de ceux que j’aurais mentionnés. Mbappé peut dépasser la barre des 100 M€.
Cependant, le marché des transferts est toujours difficile à prévoir. Les « produits » ne sont pas « standardisés ». Chaque joueur est unique. Par conséquent, un transfert ne concerne qu’un petit nombre de personnes : deux clubs, un joueur et son agent. Beaucoup de paramètres peuvent influencer la somme dépensée lors d’un transfert.
C’est également le cas pour les clauses de départ incluses dans les contrats, ainsi que la situation d’un club face au Fair-Play Financier. Donc on ne peut jamais être sûr que telle ou telle somme sera dépassée. Mais si vous regardez notamment les montants dépensés en Chine, on peut sans aucun doute s’attendre à ce que les 100 M€ soient à nouveau dépassés rapidement.
On entend parler actuellement d’un possible transfert de David De Gea vers le Real Madrid pour 75 M€, ce qui battrait le transfert record de Gianluigi Buffon (53 M€, de Parme vers la Juventus en 2001). Comment expliquez-vous la valeur moindre de ce poste décisif de gardien par rapport aux autres ?
Nous intégrons cette donnée du marché à nos évaluations des gardiens. Ils n’ont effectivement pas la même valeur sur le marché que celle des meilleurs attaquants.
Nous ne savons pas si ce transfert aura effectivement lieu – vous vous souvenez bien entendu de son dernier transfert avorté en 2015. Mais si un gardien majeur (De Gea, Oblak, Courtois…) venait à être transféré pour une telle somme, cela pourrait rééquilibrer le marché des gardiens. D’autres clubs pourraient alors investir sur un gardien en espérant le revendre plus tard pour une somme importante.
Le président de l’UEFA, Aleksander Ceferin, a dernièrement évoqué une possible évolution du système des transferts afin de corriger les inégalités au sein du football européen. L’abolition du système de transfert payant est-elle une évolution réaliste du système économique footballistique ?
Honnêtement, je ne pense pas. Une telle mesure prise par la FIFA ou l’UEFA entraînerait un changement de réglementations de l’ensemble des pays adoptant l’actuel système des transferts. Je ne crois pas que ça soit possible dans un avenir proche.
Vous ne croyez donc pas à une possible nouvelle « Affaire Bosman » ?
L’Arrêt Bosman découle du fait que le précédent système ne respectait pas la loi européenne. Si l’Union Européenne décidait d’interdire ce système, alors cela prendrait effectivement effet. Mais je ne vois pas ce qui pousserait l’Union Européenne à prendre une telle décision, car cela aurait notamment un impact sur le marché du travail de manière générale.
Si vous souhaitez poursuivre la discussion, n’hésitez pas à suivre les comptes Twitter de Thomas Lintz (Follow @ThomasLintz ) et d’Emmanuel Mériaux (Follow @ManuMeriaux )
Source photo à la Une : Capture vidéo Youtube (LFP)
