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V. Caillet : « J’émets un sérieux doute sur la capacité à convaincre 6 ou 7 millions de Français à s’abonner à une chaîne 100% football »

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Mediapro tiendra-t-il parole en lançant une chaine 100% football en France pour diffuser la Ligue 1 à partir de la saison 2020-21 ? Alors que le groupe média espagnol a mené une véritable campagne de communication depuis l’acquisition des principaux lots de droits TV domestiques de L1 pour rassurer sur ses intentions, beaucoup d’experts doutent du lancement d’une telle chaîne sur le marché français. Ecofoot.fr est parti à la rencontre de Virgile Caillet, Délégué Général chez UNION Sport & Cycle, pour tenter de décrypter la future stratégie de Mediapro.

Suite à l’acquisition des droits TV domestiques de L1 pour la période 2020-24 contre un investissement de 780 M€ par saison, le groupe Mediapro ne cesse d’affirmer qu’il diffusera la compétition sur ses propres antennes, via notamment la création d’une chaîne 100% Ligue 1. Mediapro parviendra-t-il à rentabiliser ses investissements de cette manière ? Un tel modèle est-il viable ?

Pour créer une chaine de télévision, il faut des programmes. Et n’importe quel responsable de programmation vous indiquera que l’achat de 8 rencontres de L1 par journée n’est pas suffisant pour remplir la totalité d’une grille de programmation.

Si Mediapro a réellement l’intention de lancer une chaine 100% foot en France, le groupe devra alors aller chercher d’autres droits. Il se positionnera certainement sur les droits TV de Ligue 2. Le groupe devra également aller chercher d’autres programmes pour pouvoir compléter sa grille en semaine.

Cela va alors demander un investissement considérable. Mediapro va déjà verser près de 800 M€ par saison pour diffuser la Ligue 1. Et on peut facilement imaginer plus de 200 M€ d’investissements supplémentaires pour acquérir d’autres droits.

Le coût de la grille sportive pourrait alors excéder la barre du milliard d’euros. Un montant qui n’a jamais été investi en France ! Canal + dépense pour le moment un peu plus de 700 M€ par an dans ses programmes sportifs. BeIN Sports n’a jamais dépassé la barre des 400 M€. Et RMC Sport va se situer autour des 500 M€ d’investissement, en comptabilisant les droits TV des compétitions européennes.

Être en capacité de débourser 1 milliard d’euros d’investissement sans même avoir lancé sa chaîne de TV, cela interpelle ! Mettre en place une telle stratégie parait difficile à orchestrer. Si le timing est réaliste, Mediapro va en revanche devoir dépenser beaucoup d’argent sans en encaisser. En sera-t-il capable ? Seul l’avenir nous le dira.

Mediapro fait-il un pari à long terme à travers cette stratégie d’investissement ?

Mediapro a acquis beaucoup d’expérience sur plusieurs marchés. Le groupe est très présent en Espagne. Et malgré un dénouement infructueux, Mediapro avait également réussi à remporter dernièrement les droits TV domestiques de Serie A.

En revanche, je ne pense pas qu’on puisse comparer la culture espagnole ou italienne en matière de consommation de sport – et plus particulièrement de football – à la TV aux habitudes françaises. J’émets un sérieux doute sur la capacité à convaincre 6 ou 7 millions de Français à s’abonner à une chaîne 100% football. Par le passé, d’autres opérateurs ont tenté de lancer une chaîne sportive avec comme produit phare la Ligue 1 – à l’image d’Orange Sport – mais ça n’a pas fonctionné. En France, on a été habitué à Canal +, qui ne diffuse pas que du sport sur ses antennes, loin de là.

Dans la mise en place d’un contenu orienté 100% sport, le meilleur exemple en France est BeIN Sports. Le groupe a développé une bonne stratégie, en acquérant de nombreux droits à prix réduit. BeIN a conduit une politique de volume. Et en six ans, le groupe qatari est parvenu en France à passer de 0 à plus de 3,5 millions d’abonnés. C’est une croissance assez remarquable. Pour autant, 3,5 millions d’abonnés ne suffiraient pas à Mediapro pour rentabiliser sa nouvelle chaîne !

Derrière sa stratégie de communication, le groupe Mediapro ne compte-t-il pas sur l’entrée de nouveaux acteurs pour sous-licencier au prix fort les lots acquis auprès de la LFP ?

Sur le plan tactique, il est important pour Mediapro d’annoncer la création d’une chaîne de télévision pour diffuser les droits nouvellement acquis. En adoptant cette stratégie de communication, Mediapro se retrouve en position de force sur le marché. Si Mediapro avait immédiatement communiqué sur sa volonté de sous-licencier les droits, le rapport offre/demande aurait été moins avantageux pour le groupe espagnol.

Mais, effectivement, je pense que Mediapro va adopter une double-stratégie. Tout en avançant sur son projet de création de chaîne, il ne va pas fermer la porte à la revente des droits. Et d’ailleurs, s’il rentre dans cette logique d’octroi de sous-licences, Mediapro va vraisemblablement sous-licencier tous les lots.

Néanmoins, il serait étonnant que les acteurs traditionnels – Canal +, RMC Sport ou BeIN Sports – se positionnent pour des lots sous-licenciés. Auquel cas, ils auraient au préalable formulé des offres conséquentes pour les remporter lors du dernier appel d’offres organisé par la LFP. Et commercialiser les lots à un prix inférieur au montant déboursé serait un non-sens économique pour Mediapro.

Mediapro mise donc certainement sur l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché d’ici deux ans. Et les GAFA pourraient être au rendez-vous : Amazon a d’ailleurs dernièrement acquis un lot de droits TV domestiques de Premier League. Les BATX – équivalents chinois des GAFA et réunissant Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi – pourraient également être intéressés par une incursion sur le marché français. Et la mise en relation entre les BATX et Mediapro pourrait être facilitée par la présence d’un actionnaire majoritaire chinois à la tête du nouvel acquéreur des droits TV de L1.

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