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Stratégie

Nommer un ancien joueur à la tête d’un club : une bonne idée ?

MDI / Shutterstock.com

La norme veut que le président d’un club professionnel soit un chef d’entreprise. Car un club, dans l’ère moderne, se dirige comme une entreprise. Et c’est encore plus vrai lorsqu’il s’agit du top 5 européen, dont les revenus fluctuent désormais entre 500 millions et 1 milliard d’euros par saison. Seulement, certaines anciennes gloires du football arrivent à tirer leur épingle du jeu dans la gestion d’un club grâce à leur connaissance et leur expérience du milieu. A l’image d’Edwin Van der Sar. Décryptage par Antoine Blouin.

Du terrain à l’organigramme

Légendaire gardien de Manchester United au milieu des années 2000, passé par l’Ajax Amsterdam, la Juventus ou encore Fulham, le portier néerlandais a raccroché les crampons à l’été 2011, après la finale de Champions League perdue avec les mancuniens face au FC Barcelone. Il décide alors d’entamer sa transition vers la partie managériale du football, et suit pendant près d’un an une formation avancée aux fondamentaux économiques du football. Période au cours de laquelle il sera choisi pour être le directeur marketing de l’Ajax Amsterdam, club qui l’a révélé et avec lequel il a remporté la Champions League en 1995.

Fort de sa rapide compréhension du métier et du fonctionnement interne du club, il est ensuite nommé directeur général de l’Ajax en 2016. Fait rare pour un ancien joueur, ce poste étant généralement occupé par un dirigeant d’entreprise – à l’image de Florentino Perez, emblématique président du Real Madrid mais aussi PDG du géant du BTP espagnol ACS ou encore Jean-Michel Aulas, fondateur et président du groupe CEGID avant d’accéder en 1987 à la présidence de l’Olympique Lyonnais.

Un mandat qui coïncide avec le renouveau sportif et économique de l’Ajax

Depuis qu’il est en poste, force est de constater que Van Der Sar réussit plutôt bien la mission principale que doit assurer tout président : pérenniser les succès sportifs de l’équipe.

Si la formation néerlandaise a réussi à remporter l’Eredivisie la saison dernière, et est bien partie pour conserver son titre cette saison, elle a surtout su retrouver ses lettres de noblesse sur la scène européenne. En effet, après avoir été finaliste de l’Europa League en 2017, l’Ajax a surtout brillé en se hissant jusqu’en demi-finale de la Champions League en 2019 (notamment après avoir éliminé le Real Madrid et la Juventus), dévoilant au passage une nouvelle génération dorée incarnée par Frenkie de Jong, Matthijs de Ligt ou encore Hakim Ziyech. Génération dont le talent a pu éclore grâce au « Plan Cruyff » que ce dernier a mis en place en 2010, et que Van der Sar a continué à appliquer en misant sur la formation et le jeu spectaculaire.

Ces succès sportifs ont également coïncidé avec une croissance économique pour le géant néerlandais. Après avoir récupéré un club dont le chiffre d’affaires n’excédait pas les 100 M€ et accusait un déficit de 500k€ lors de la saison 2015/16, Van der Sar a pour sa 1ère année de présidence permis à l’’Ajax d’enregistrer des recettes record de 118 M€ avec un bénéfice de 49,7M€. Si la saison suivante a été décevante (92M€ de recettes) suite à l’absence de parcours européen, la saison 2018/19 fut en revanche historique, le club amstellodamois frôlant pour la 1ère fois la barre des 200 millions d’euros de revenus (199M€ générés) et enregistrant un résultat net de +52M€, soit le bénéfice le plus important des vainqueurs des 8 grands championnats européens, comme l’explique KPMG Football Benchmark.

Des résultats économiques qui sont donc fortement dépendants du parcours européen du club, comme l’atteste le résultat de la saison 2017/18, et le fait qu’une part importante (77,9M€) des revenus de la saison dernière soit issue des droits TV perçus lors de la campagne en Champions League. Une dépendance que Van der Sar s’efforce d’atténuer grâce à un développement des recettes commerciales du club, en hausse constante et atteignant aujourd’hui les 58M€.

En effet, depuis sa prise de fonction, l’ancien portier mancunien et sa direction commerciale, supervisée par Menno Geelen, sont parvenus à renouveler les principaux contrats de sponsoring, notamment celui avec Adidas jusqu’en 2025 (estimé à quelques 8,6 M€ par saison), ou encore celui avec Ziggo, qui continuera d’être le sponsor maillot de l’Ajax jusqu’en 2022, pour un montant réévalué à 10M€ par an (contre 8 auparavant).

Le 1er sponsor manche de l’histoire du club, Curaçao Tourist Board, a également été officialisé en ce début janvier, permettant à l’Ajax, d’après plusieurs médias néerlandais, de gonfler ses recettes commerciales de 2M€ supplémentaires par saison.

Par ailleurs, plusieurs partenariats importants, tels qu’Azerion en tant que 1er partenaire eSport, et ABN Ambro comme sponsor maillot de l’équipe féminine de l’Ajax, ont été signés courant 2019, montrant que les dirigeants de l’Ajax ont su profiter d’un parcours européen exceptionnel et d’un regain de popularité pour étendre leur rayonnement commercial.

Enfin, le club amstellodamois a amplifié son processus d’internationalisation en ouvrant des bureaux à New-York (avec dans la foulée la signature d’un partenariat avec ESPN couvrant tout le continent américain) et à Guangzhou (Chine), afin de pouvoir, à l’image des cadors européens, développer sa puissance commerciale sur des marchés porteurs.

La passion pour le club et le football : l’atout qui fait la différence

Mais là où l’ancien portier des Oranjes se distingue des autres, c’est bien dans la passion qui continue à l’animer, contrastant avec le pragmatisme et le sérieux exigés habituellement chez le dirigeant d’un grand club.

Véritable supporter de l’Ajax, Van der Sar n’hésite pas, malgré son statut de président, à délaisser la tribune présidentielle pour assister au match avec les supporters ultras du F-Side, chantant et sautant à leur rythme, comme par exemple lors du déplacement de l’équipe néerlandaise à Lille en marge de la phase de groupes de Champions League. Un soutien public adressé aux groupes de supporters du club, à une époque où leurs homologues européens se heurtent souvent à la répression orchestrée par les pouvoirs publics et les instances.

En tant qu’ancien portier de classe mondiale, il n’hésite pas non plus à rechausser les crampons et enfiler les gants pour partager une séance d’entraînement avec ses joueurs, comme il l’a fait lors du stage de mi-saison de l’équipe à Doha au début de l’année. D’abord car le football coule toujours dans ses veines, mais sans doute aussi pour garder une certaine proximité entre l’équipe et leur dirigeant. Proximité qui s’avère payante, à en croire la bonne ambiance qui semble régner dans le groupe amstellodamois depuis plusieurs années.

Cette proximité avec les supporters et le staff technique, Edwin Van der Sar la rend public en étant très actif sur les réseaux sociaux, utilisant par exemple son compte Instagram pour montrer l’envers du décor d’un déplacement de l’équipe, ou pour partager ses différents voyages d’affaires à travers le monde. On y découvre un président plutôt bienveillant, comme lorsqu’il mentionne le FC Barcelone et la Juventus en leur demandant de prendre soin de Frenkie De Jong et Mathis De Ligt, deux pépites révélées avec l’Ajax la saison dernière.

Une communication personnelle très similaire à celle du club, se voulant enthousiaste et parfois taquine – à l’image de la vidéo de « punition » de la nouvelle recrue pro-Feyenoord, le jeune Kjell Scherpen – et qui contribue à renforcer un peu plus cette image d’une Ajax moderne, dynamique et sympathique. Mais qui devra néanmoins batailler pour retrouver les sommets européens de manière durable.

Par Antoine Blouin.

Nommer un ancien joueur à la tête d’un club : une bonne idée ?
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