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L’analyse de données : un enjeu économico-sportif crucial pour les clubs de foot ?

exploitation données football
Laszlo Szirtesi / Shutterstock.com

Avec l’avènement des réseaux sociaux ou plus récemment l’entrée en vigueur du RGPD, le volet business de l’analyse de données se retrouve de plus en plus au centre de l’attention. Pourtant, il est important de rappeler que dans le football professionnel, l’analytics se déploie d’abord et surtout au niveau du terrain. A l’origine, son développement fut ainsi motivé exclusivement par la quête d’avantages compétitifs, dans un sport où tout gain – même marginal – peut faire la différence entre une victoire et une défaite. Néanmoins, l’amélioration continue des pratiques et des technologies n’a-t-elle pas étendu l’apport du football analytics au-delà du seul rectangle vert ? Décryptage par Charles Salvanet.

Un outil au service du terrain…

Dès le départ, le football analytics a été pensé comme un élément permettant d’améliorer les performances sportives d’une équipe, à travers trois champs d’application principaux.

D’abord la gestion tactique. Alors qu’auparavant, seuls les entraîneurs étaient chargés d’évaluer les performances de leurs joueurs et adversaires, ce sur un mode essentiellement intuitif, l’analytics a introduit de toutes autres capacités d’analyse. Aujourd’hui, la puissance de calcul des ordinateurs et l’intelligence artificielle permettent de digérer en quelques secondes une quantité de matchs que deux analystes vidéo décortiqueraient en plusieurs semaines. Grâce aux données dont ils disposent, et à condition que celles-ci soient exploitées correctement (ce qui n’est pas une sinécure), les entraîneurs peuvent désormais s’appuyer sur des éléments beaucoup plus objectifs et nombreux, le tout de manière quasi-instantanée. Cette manne d’informations s’avère dès lors une aide à la décision précieuse dans nombre de situations, depuis le choix des joueurs à aligner avant un match jusqu’à celui de changer de schéma tactique en cours de jeu. Le titre de champion du Danemark glané par le FC Midtjylland lors de la saison 2014-2015 en est une bonne illustration. Premier de l’histoire du club, celui-ci a en effet été acquis après que le staff s’est mis à analyser et à transmettre au coach des statistiques en temps réel lors de tous les matchs de championnat.

Ensuite, dans le champ médical. A nouveau, la valeur ajoutée que présente l’exploitation des data concerne la fiabilité et l’objectivité des informations qu’elle permet d’obtenir. A l’heure où les footballeurs professionnels sont tenus aux plus hauts standards de performance athlétique, la collecte de données métriques telles que celles issues des GPS permet de conditionner les joueurs aux efforts spécifiques des matchs selon le moment de la saison, les positions, etc… In fine, la data apporte une connaissance précise du niveau de fraîcheur des joueurs, ce qui permet d’optimiser leurs pics de forme et de prévenir leurs blessures. A titre d’exemple, Catapult et Kitman Labs, deux entreprises d’analytics, affirment que les équipes utilisant leurs technologies constatent une réduction des  blessures de 25% en moyenne, un chiffre considérable dans un univers aussi compétitif que le football professionnel.

Enfin, la formation et le recrutement. Alors qu’un rapport de Deloitte qualifiait en 2017 de « considérables » les opportunités offertes par l’analytics dans le secteur des ressources humaines, le football ne fait pas exception. Pour les clubs, construire une équipe performante repose en grande partie sur la capacité à repérer des joueurs à fort potentiel de manière plus fiable et plus précoce que ses concurrents. Or, c’est précisément l’un des usages de l’analytics, lequel permet non seulement d’objectiver rapidement les performances et le potentiel d’un individu, mais aussi d’évaluer sa capacité à s’intégrer dans le système tactique d’une équipe donnée. Pour ce faire, les clubs ont deux solutions. Tandis que la plupart des top clubs développent des ressources en interne (recrutement d’analystes, achat de matériel…), il est également possible d’externaliser cette tâche, en payant un abonnement périodique à une base de données. L’une des plus utilisée est le SciSkill Index, qui analyse chaque semaine plus de 1500 matchs dans 210 championnats différents, afin d’estimer à l’aide d’algorithmes le talent, le potentiel et la valeur de plus de 200 000 joueurs.

…aux conséquences économiques non négligeables

Pour autant, l’analytics n’est pas sans produire de conséquences en dehors du rectangle vert.

Dans un premier temps, parce que ses effets dans le domaine sportif induisent une hausse de revenus, via deux biais indirects. Le plus évident concerne les revenus supplémentaires qu’engendre mécaniquement pour un club une amélioration de ses performances sportives. Les droits TV par exemple, intègrent dans le calcul de leur répartition des critères de performance liés notamment au classement. En France, lors de la saison 2014-2015, 28% de leur montant global était concerné (23% lié au classement de fin de saison, 5% à celui des 5 saisons précédentes). En Premier League, pour la même saison, ce système de paiement au mérite a permis à chaque club d’enregistrer près d’1,5M€ supplémentaire par place gagnée. Outre les droits TV, de meilleurs résultats en championnat peuvent également entraîner une qualification pour les compétitions européennes, synonyme pour les clubs de revenus supplémentaires (droits TV, billetterie, dotations…). Alors que la saison dernière, l’OM a échoué à se qualifier en Ligue des Champions pour un seul point, l’on comprend en quoi l’analytics, même en contribuant marginalement à améliorer les performances sportives d’une équipe, peut permettre des bénéfices économiques substantiels.

Le second biais, lui, concerne la conséquence économique de la réduction des blessures.  En prévenant ces dernières, l’analytics permet d’abord d’éviter une importante gabegie financière, les coûts occasionnés lors de la blessure d’un joueur représentant en moyenne 12,4 millions de dollars par équipe en 2015. Par ailleurs, à l’heure où les montants déboursés sur le marché des transferts explosent, les joueurs sont devenus pour les clubs de véritables actifs. Une blessure entraînant mécaniquement la dévalorisation (durable ou non) d’un joueur, elle devient donc potentiellement un important manque à gagner pour son club. En permettant de réduire leur survenance, le football analytics joue donc un rôle économique certain dans la sauvegarde des intérêts financiers d’une équipe.

Outre ces conséquences indirectes, le football analytics permet aussi aux clubs d’engranger des revenus supplémentaires à dessein, notamment via son utilisation dans le domaine des transferts. L’analyse de données est en effet l’élément à la base du “trading de joueurs”, stratégie adoptée par de nombreux clubs ces dernières années (Porto, Monaco, Bale) qui vise à réaliser une économie immédiate et/ou une plus-value à terme. Pour ce faire, les clubs cherchent à identifier les « market inefficiencies », c’est-à-dire les joueurs dont la valorisation à un moment T (la somme que son club serait prêt à accepter pour le céder à un autre) est inférieure à sa « fair value » (la somme que vaut réellement ce joueur sur un marché parfait, eu égard à ses compétences et à son potentiel). Or, cela nécessite de disposer à la fois d’un algorithme fiable pour évaluer la fair value, et d’un bon modèle statistique pour estimer le potentiel. L’une des références en la matière a été développée par le CIES, et avait par exemple permis de pointer du doigt la sous-évaluation de Mohamed Salah lors de son achat par Liverpool pour « seulement » 50 millions d’euros. Huit mois plus tard, l’observatoire estimait grâce à ce même outil la valeur de l’Egyptien à 163 millions d’euros, soit une plus-value potentielle de plus de 100 millions d’euros en moins d’un an. Même pour un club aussi fortuné que Liverpool, cela représente tout de même un bénéfice potentiel d’environ 25% de ses revenus totaux (424,2 millions d’euros), ce qui permet de saisir le rôle prépondérant que peut jouer l’analytics sur les performances économiques d’un club. D’autres équipes l’ont d’ailleurs bien compris, à l’image de Monaco, qui a encaissé plus de 360 millions d’euros de plus-value entre 2014 et 2017.

Un apport global à nuancer

Si l’impact de l’analyse de données a aujourd’hui indubitablement dépassé le seul cadre sportif, il convient toutefois de relativiser son impact économique. D’abord car le rôle exact joué par l’analyse de données dans l’amélioration des performances reste impossible à quantifier. Mais aussi et surtout car l’ensemble des outils qui sont nécessaires à son efficacité ont un coût, lequel diminue d’autant son impact net. Si des solutions plus économiques existent, l’investissement moyen pour mettre en place un projet analytics d’envergure oscille ainsi aux alentours des 5 M€… une somme qui a de quoi refroidir plus d’une équipe.

Par Charles Salvanet

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