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L’arbitrage vidéo est-il rendu inévitable par les enjeux économiques ?

arbitrage vidéo enjeux économiques
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Alors que l’arrivée de l’assistance vidéo à l’arbitrage (VAR) s’installe dans le paysage footballistique petit à petit, celle-ci ne cesse de faire débat. Et alors que la grande majorité des arguments pro-vidéo est en rapport direct avec le football et le spectacle qu’il propose, apparaissent de plus en plus de considérations « économiques ». Les enjeux économiques seraient-ils donc devenus trop importants pour tolérer les imperfections arbitrales ? Tribune d’Emmanuel Mériaux.

Déjà utilisé cette saison en Bundesliga, en Serie A, mais également en Liga NOS, l’arbitrage vidéo prend place en France. Après un premier usage en barrage Ligue 1 – Ligue 2 en fin de saison dernière, la LFP a de nouveau fait appel au dispositif pour la Coupe de la Ligue. La Ligue 1 devrait suivre dès la saison prochaine, si l’International Board décide au mois de mars de continuer le processus de développement du dispositif.

Des débuts compliqués

L’institution en charge des règles du jeu a reconnu des difficultés et sait que le système va devoir s’améliorer, alors qu’il est l’origine de polémiques, semaine après semaine, en Allemagne comme en Italie. Ce qui interroge donc sur la volonté de la LFP de vouloir accélérer sur ce dossier !

En effet, l’organisation présidée par Nathalie Boy de La Tour aurait pu être tentée de jouer la montre, en attendant une possible éclaircie. Mais c’est donc tout le contraire qui se produit. Et si Didier Quillot, Directeur Général de la Ligue, ne cache pas son attrait pour l’innovation technologique dans le football, l’arbitrage vidéo n’est pas un simple gadget : il touche directement au jeu, à son rythme… et à l’image faite de l’arbitre.

Limiter l’impact de l’arbitre

Avec un tel système, l’arbitre semble être de moins en moins considéré comme un acteur ayant une obligation de moyen, mais bien comme ayant une obligation de résultat. Il ne doit pas se tromper – quand bien même l’arbitrage serait basé sur l’interprétation, naturellement subjective.

Ainsi pour réduire son influence – potentiellement néfaste – il faut aider l’arbitre en lui mettant en main tous les outils possibles : Goal Line Technology (GLT), VAR, etc. On finit ainsi par attendre de l’arbitre des résultats que même les diffuseurs peinent à produire, malgré leurs nombreux outils et moyens à disposition. Le « révélateur de hors-jeu » en est ainsi le parfait exemple.

Si l’on peut penser que cette assistance vidéo permettra au contraire de faciliter le rôle de l’arbitre et d’apaiser les supporters soucieux d’atteindre un niveau d’équité sportive élevé et constant, les derniers évènements en provenance d’Italie nous permettent d’en douter. S’estimant « lésé[s] dans [leur] droit à pouvoir vivre [leur] passion sportive », des fans de la Lazio Rome ont en effet décidé d’attaquer en justice l’arbitre du match opposant leur club au Torino, ainsi que son assistant vidéo. En cause, une interprétation arbitrale pas à leur goût…

Réduire l’incertitude économique

Si la LFP a donc pris ces dernières années un virage pour tenter de rattraper son retard économique vis-à-vis des 4 autres grands championnats européens, elle ne met pas de côté les questions relatives à l’arbitrage. Celui-ci, contesté en France, est clairement remis en question. Un lien semble se dessiner entre niveau d’arbitrage et performance économique. En-dehors de l’aspect gadget qui pourrait ravir les diffuseurs voire les sponsors, l’intégration de la VAR semble venir satisfaire un désir de réduction de l’incertitude sportive, et donc économique.

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« Que le meilleur gagne » … Oui mais voilà : les écarts économiques grandissant entre gros et petits budgets d’un même championnat, les meilleurs joueurs ont tendance à se retrouver naturellement au sein des équipes les plus fortunées. Et les favoris comptent bien rentabiliser leur investissement. De ce fait, l’idée qu’une – supposée – erreur d’arbitrage puisse remettre en question un investissement, une stratégie entrepreneuriale, devient de moins en moins supportable, à mesure que le nombre de millions augmente.

Le récent tweet de Jacques-Henri Eyraud, président de l’Olympique de Marseille, au sujet des querelles d’arbitrage, dévoile une certaine incohérence : en effet, en mettant en avant la colère de Jean-Michel Aulas reprochant à un arbitre le coût d’une supposée erreur, le président marseillais fait écho à sa propre réaction. Quelques semaines auparavant, il avait lui-même protesté et réclamé la mise en place de l’arbitrage vidéo, suite à l’élimination de son équipe en Coupe de la Ligue.

En glissant vers le « tout business », en ne regardant un match que comme une ligne de compte, le risque est donc d’abîmer sans le vouloir le fameux « produit » que la Ligue cherche tant à valoriser. En faisant primer la volonté des présidents sur celle des spectateurs présents dans le stade, ne perdons-nous pas de vue l’idée qui veut que le football soit avant tout un jeu, un divertissement ?

Annonciateur de réformes structurelles

A rationnaliser ce sport plus que de raison, en n’acceptant plus sa dimension aléatoire, comment pourrait-on encore tolérer une organisation ne garantissant pas avec certitude le retour sur investissement, ou a minima la poursuite d’activités ? En faisant primer les intérêts économiques sur le jeu et en cherchant donc à limiter artificiellement l’impact de l’arbitrage, sans même en mesurer vraiment les conséquences, il devient impensable de voir ces mêmes arguments économiques ne pas réformer en profondeur les compétitions elles-mêmes.

L’UEFA et l’ECA ont d’ailleurs déjà emprunté cette route, la version 2018-2019 de la Champions League en sera un premier aperçu. Avant que les grands clubs ne décident de continuer à grandir seuls ? Combien de temps les championnats à l’européenne pourront-ils résister ? La logique économique seule leur préférera bientôt des ligues fermées, plus sûres financièrement.

En procédant de cette manière, il est à nouveau question de fermer la porte derrière soi en affirmant de fait que les positions actuelles ne doivent/peuvent pas évoluer. Et tant pis pour les clubs sans histoire, mais qui se rêvent un futur plus grand. Tant pis pour l’arbitrage. Et tant pis pour le jeu.

Par Emmanuel Mériaux 

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