Edito

Le football est-il toujours un sport populaire ?

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Paolo Bona / Shutterstock.com

Dans ce nouvel édito, Pierre Rondeau, Économiste du sport, s’interroge sur le modèle de développement de compétitions basé prioritairement sur la vente à la hausse des droits audiovisuels à des opérateurs de TV payante. Au détriment du fan de football.

Dans Une histoire populaire du football, Mickaël Correia commence son livre par la sentence suivante «créé par le pauvre, volé par le riche».

Elle semble malheureusement d’actualité. On savait les équipes accaparées par des fonds d’investissement, attirés par la seule quête de lucrativité et de rentabilité. On connaissait les fans abandonnés par les instances, par les dirigeants, au profit d’une unique caste de spectateurs désabonnés aux joutes populaires et festives, seulement intéressés par la starification du système.

On découvre à présent l’hyperinflation des droits TV, principale source de revenus des clubs professionnels, et les conséquences abjectes sur les téléspectateurs. Dorénavant, en France, avec l’ouverture à la concurrence, il faudra souscrire dès la saison prochaine des abonnements à trois opérateurs (Canal +, BeIN Sports et RMC Sport) pour pouvoir suivre l’ensemble des compétitions françaises et européennes.

On savait le pays déjà peu friand de football, avec des stades loin d’être remplis toutes les semaines, cette nouvelle n’est pas prête d’inverser la tendance. Qui paierait autant pour du foot ?

D’aucuns pourtant affirment que c’est une bonne chose pour l’économie. Que l’augmentation du coût d’entrée permettra de faire croître les recettes d’exploitation et donc, en retour, d’insuffler une croissance importante des budgets des clubs de football. Qui dit des abonnements plus chers, dit des ressources financières à la hausse, dit une volonté de négocier des droits plus élevés et, a posteriori, une redistribution plus forte en faveur des équipes.

Alors que certains s’insurgent contre la privatisation à marche forcée du football, à une spoliation du sport le plus populaire du monde, d’autres se félicitent de cette nouvelle, en pronostiquant une inflation des droits à 1,2 milliard d’euros dès 2021.

N’en jetez plus, c’est merveilleux !

Mais quelle est la logique de long terme ici ? A trop vouloir tirer sur la corde, on prend le risque de déstabiliser toute la stratégie du football professionnel, de faire éclater une bulle inflationniste, de perdre l’âme populaire du sport et de faire fuir les supporters.

Les événements passés devraient pourtant nous faire tilter. Dans les années 2000, en Angleterre, la chaine de télévision payante ITV Digital avait racheté les droits de retransmission des 3 divisions inférieures britanniques, pour 315 millions de livres. Or, dès 2001, la chaîne n’était plus capable d’honorer ses engagements – pas assez de clients – et proposa à la ligue anglaise une réduction de 130 millions de livres de la valeur du contrat.

En 2002, ITV sport fut placée en redressement judiciaire et provoqua un enchainement de graves difficultés financières pour de nombreux clubs d’outre-Manche. Au total, 10 se déclarèrent en faillite et déposèrent le bilan, le budget agrégé de l’ensemble des clubs de deuxième division baissa de 15% en seulement une saison.

C’est ce qui va nous arriver ? Une faillite généralisée des chaînes de télé et, par effet domino, une explosion des clubs ? BeIn Sports a déjà perdu plus de 1 milliard d’euros depuis son lancement en France, Canal+, après la reprise de Bolloré, vit des heures difficiles, en termes d’audiences. Quant à SFR, sa stratégie a été totalement revue, après quelques échecs commerciaux.

Mais que voulez-vous, les droits augmentent, c’est une bonne chose pour le sport …

Par Pierre Rondeau

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